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Interview Pierre Tchernia

Le 21/11/2008 à 09:30
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Interview Pierre Tchernia

Il faudrait plusieurs pages et de longues heures pour parler de Pierre Tchernia, monument de la télévision française, scénariste et réalisateur. Le temps nous semble bien trop court quand Monsieur Cinéma a l'amabilité de répondre à nos questions, entre autres sur la sortie du coffret 3 DVD qui lui est consacré (édité par StudioCanal et récemment critiqué dans nos colonnes).

 

 

Parlez nous de la sortie de ce coffret comprenant trois de vos films. Comment êtes-vous arrivé sur le projet ?

On m'en a tout simplement parlé. Le fils de Saul Cooper, le producteur des Gaspards, qui travaille aujourd'hui dans le cinéma, avait toujours regretté que le film ne soit pas disponible en DVD. Lorsque j'ai appris que le film sortait, cela m'a ravi car c'est une œuvre chère à mon cœur, une rêverie pour laquelle j'avais été heureux de trouver deux producteurs qui s'intéressaient à ce sujet et qui étaient prêts à le financer. Beaucoup de personnes m'arrêtaient dans la rue pour me parler de ce film et le désir qu'ils avaient de le revoir. Cela me ravit vraiment !

 

Vous avez suivi la restauration des films ?

Non mais cela me fait penser au plan final mutilé des Gaspards (évoqué dans le commentaire audio). Lors de son passage à la télévision dans les années 80, je suis tombé des nues en visionnant la fin du film. Quand mes films sont diffusés, il m'arrive de regarder uniquement le début ou le final afin de voir l'état de la copie, mais ce jour là j'ai eu la stupéfaction de voir le plan truqué mutilé. La partie supérieure qui devait montrer un embouteillage à un carrefour tandis que la troupe des gaspards joue de la musique dans la cave était tout simplement perdue ! J'ai beau avoir mené ma petite enquête, ni le laboratoire ni la monteuse n'ont pu trouver une explication sur la disparition du plan truqué sur le négatif. Seule la partie inférieure du plan était intacte !

 

Est-ce que Le Viager n'était pas avant toute chose un prétexte pour réunir toute votre bande de copains ?

Vous savez, quand on écrit on pense aux comédiens qui seraient parfaits pour le rôle. Un génie comme Jacques Prévert n'a jamais fait autre chose que d'écrire pour les acteurs qu'il envisageait. Pour Les Gaspards par exemple, Michel Serrault était déjà bien présent dans mon esprit. Il me fallait également un personnage cocasse pour interpréter le commissaire de police. Je venais de tourner Le Viager alors j'ai pensé à Michel Galabru. Les deux comédiens ont donné leur accord alors que le scénario n'était pas encore terminé. Quant au chef des gaspards, j'en ai parlé à Philippe Noiret dont l'idée l'a beaucoup amusé. Enfin, pour  le ministre des travaux publics je rêvais depuis longtemps de travailler avec Charles Denner. Au cours d'une longue promenade où je lui ai raconté l'histoire, il a finalement accepté et j'en étais très heureux.

 

Interview Pierre Tchernia

 

Il est évident que les gens qui étaient là étaient de ma génération. Ces comédiens n'avaient pas besoin  qu'on leur explique ce qu'il fallait faire. Pour Le Viager, dès le départ Michel Serrault incarnerait le rôle principal. Concernant Jean-Pierre Darras, j'ai toujours pensé qu'il se délecterait dans ce rôle de composition qu'il incarne avec une grande astuce. Quant à Odette Laure, elle amène au personnage de Marguerite, une petite dame un peu sotte, une véritable et touchante sensibilité. Je savais à l'avance que ces acteurs seraient à leur place et qu'ils seraient heureux de le faire. Il y a néanmoins des comédiens que je connaissais à peine comme au moment de constituer le casting des Gaspards. Pour le rôle du clochard collé à la gouttière, j'ai pensé à Daniel Ivernel.  Je l'avais rencontré une ou deux fois, je suis allé le voir pour lui expliquer le personnage. Il a été tout de suite enthousiaste en me disant « ah ben volontiers, il pense comme moi ! ». Il était très content de ce petit rôle.

 

L'univers du Viager est très proche de celui de l'écrivain Marcel Aymé que vous avez adapté à plusieurs reprises pour la télévision quelques années plus tard...

C'est le monde des petites gens, celui qu'affectionnait également Vittorio De Sica. J'ai découvert Marcel Aymé quand j'avais 15 ans en 1943. Un copain m'en avait parlé et m'avait dit que j'allais me marrer en lisant un livre qui appartenait à son père. Lorsque j'ai découvert cet univers j'ai été ébloui à la pensée qu'on pouvait écrire des contes de fées au XXème siècle. Après cela, j'ai dévoré toute l'œuvre de Marcel Aymé. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait quelques points communs avec cet univers dans Le Viager. Mon désir était de me pencher sur les gens qui ne seraient pas forcément des héros de romans ou de pièces de théâtre, de les aimer et de sourire avec eux. Le Viager est également une idée de René Goscinny. Nous l'avons écrit tous les deux et avons chacun apporté des éléments qui se sont très heureusement et affectueusement accordés. C'était un auteur magnifique, un homme d'une grande rigueur et d'une grande honnêteté intellectuelle. François Truffaut avait aimé Le Viager et m'avait écrit une belle lettre. Il me disait qu'il y avait également un aspect Sacha Guitry.

 

Interview Pierre Tchernia

Pierre Tchernia fait une apparition dans Le Viager


J'avais introduit dans le film l'idée du raccourci afin de montrer les années qui passent car l'histoire se déroulait sur quarante ans. L'idée m'est venue de recourir aux journaux télévisés montrant les années qui passent avec les changements des Présidents de la République. Un procédé que j'utilisais déjà dans le générique d'ouverture pour remonter le cours du temps de 1970 à 1930, l'année où commence l'histoire de Louis Martinet. Cette conduite du récit était un procédé qu'utilisera souvent Sacha Guitry et ce dès son premier grand film, Le Roman d'un tricheur. La conduite de la narration impose de s'éloigner du réalisme afin de faire participer le public et afin qu'il ne se trompe pas sur le fait qu'on lui raconte une histoire.

 

Les Gaspards est votre film visuellement le plus élaboré, avec des décors souterrains impressionnants doublés de fameux gags visuels très inspirés...

Dans Le Viager, toute une séquence se déroule à Paris où la famille Galipeau tente d'épuiser Louis Martinet pour qu'il meure enfin. Toute une séquence était prévue dans les Catacombes de Paris. René Goscinny et moi l'avions écrite mais en raison du budget nous n'aurions eu qu'une seule journée pour les prises de vue. Cela impliquait de venir, d'installer les lumières, de les régler, de tourner, démonter, etc... de trop gros problèmes logistiques. Finalement j'ai décidé qu'il fallait simplifier cela. Le seul plan visible dans le film est la séquence où Marguerite (Odette Laure) appelle à l'aide son mari Léon (Michel Galabru) car il semble qu'elle se soit perdue dans les catacombes. On voit alors Michel Galabru descendre quelques marches et appeler sa femme. En réalité cette petite scène a été tournée à l'Eglise Saint-Sulpice. J'avais alors fait quelques petites recherches sur les catacombes en demandant à un assistant d'aller me chercher des photos du dit lieu. Il m'a ramené un petit album composé de cartes postales vendues essentiellement aux touristes. Parmi elles, il y en avait dix consacrées aux catacombes, une autre pour une champignonnière située dans les environs de Paris et la dernière montrait une carrière de gypse de 16 mètres de haut. Quand j'ai commencé à chercher une autre idée pour un prochain film suite au succès du Viager, je me suis rappelé cette carte et me suis dis que personne ne tournait dans ce genre d'endroits ! L'idée m'est apparue, faire un film sur les sous-sols de Paris. Les choses sont venues petit à petit, les gags germaient tout comme l'idée des gens qui aimaient vivre loin des bruits des travaux qui transformaient alors la capitale.

 

On pense d'ailleurs à PlayTime de Jacques Tati avec le refus de la modernisation et le désir de retrouver la chaleur humaine propre à l'amitié.

Oui c'est vrai. On abimait Paris qui était percé de partout, l'occasion était trop belle pour en parler à travers le discours du ministre des travaux publics incarné brillamment par Charles Denner .

 

Dans Le Viager et Les Gaspards, on note aussi les débuts d'un certain Gérard Depardieu...

Oui. Au moment du casting concernant les personnages secondaires, je me suis dis qu'il fallait un voyou plus jeune aux côtés de Jean Richard que j'avais déjà choisi. Je me suis souvenu de cet acteur extraordinaire que j'avais vu au théâtre dans une pièce où il avait deux ou trois scènes à jouer. Dans cette pièce intitulée Les Garçons de la bande, on ne voyait que lui parmi la dizaine d'acteurs. Une présence extraordinaire !  Je l'ai fait venir au bureau de la production et il ne m'a pas caché son enthousiasme lorsque je lui ai annoncé que le personnage principal était incarné par Michel Serrault pour qui il avait une admiration sans bornes.  Je lui ai dis que le rôle ne se résumait peut-être qu'à une silhouette mais que ça me ferait grand plaisir qu'il soit avec nous. Il était deux fois plus heureux quand il a su qu'il serait aux côtés de Jean Richard. Quand on a commencé à finaliser la distribution des Gaspards j'avais envie de le revoir. Je l'ai appelé. Toujours enjoué, il me demande quand se déroulera le tournage et pour combien de jours car il allait bientôt commencer un autre tournage avec Bertrand Blier. Ce film s'intitulait Les Valseuses. Il est venu tourner les tous premiers jours les scènes avec le libraire (incarné par Michel Serrault) dans une petite boutique vide qui devait être revendue et qui donnait une vérité à l'histoire car on y voyait le quartier qu'on désirait.

 

 

Interview Pierre Tchernia

 

 

Le troisième film de ce coffret est La Gueule de l'autre...

Jean Poiret, avec qui j'étais très ami, me téléphone un jour pour me dire qu'il y avait un producteur qui désirait qu'il écrive et tourne un film. Il souhaitait me voir pour en parler car il pensait réutiliser le thème d'une pièce qu'il avait monté quelques années auparavant avec Michel Serrault, dont le héros était un acteur qui partait aux Etats-Unis et disparaissait. Cette histoire impliquait l'apparition d'un sosie. N'ayant pas les moyens de tourner ou même de reproduire une partie des Etats-Unis, l'idée lui est venue de transposer cette idée dans le milieu politique. Je l'ai immédiatement encouragé à développer cette histoire. Nous avons donc adapté son propre texte et au bout de quinze jours, il m'a demandé si je désirais réaliser le film car il ne se sentait pas capable de tenir chaque jour une production à lui seul. J'ai donné mon accord d'autant plus qu'avec le travail que j'avais effectué sur le scénario, j'étais à même de pouvoir le faire. Le tournage a été un grand plaisir et d'autant plus efficace puisque partageant l'affiche avec Michel Serrault, Jean Poiret était présent au cas où le scénario devait être revu ou une réplique changée.

 

La Gueule de l'autre est un film différent de vos deux autres réalisations. Etiez-vous familier de l'univers décrit par Jean Poiret ?

Bien sûr ! La Gueule de l'autre ne possède certes pas la même couleur que les deux autres films, mais c'est à cause du sujet abordé. Ce n'est pas non plus le même monde. Nous riions des grands bourgeois alors que le petit libraire des Gaspards était un monsieur plus modeste.

 

Vous avez été depuis peu nommé Président d'honneur du Forum des images à Paris...

Et oui et pendant 15 ans, de 1993 à octobre 2008 j'en ai été le président ! L'année dernière j'ai réalisé que j'allais avoir 80 ans ! Je me suis dit qu'il était temps peut-être de laisser la place et j'ai donc fait une belle lettre à Monsieur le maire pour l'informer de ma décision. Ce qui me fait le plus plaisir aujourd'hui, avec la sortie de ce coffret DVD, c'est que mes films, surtout Les Gaspards, soient mis à la disposition des spectateurs.  Il existe un livre de poèmes de Paul Eluard intitulé Donner à voir, c'est ce qui aujourd'hui m'importe le plus et me rend heureux. Il y a six mois de ça une dame m'arrête dans la rue pour justement me dire qu'elle avait malheureusement raté la diffusion du film à la télévision. Je lui ai demandé sa carte de visite afin de lui envoyer un petit mot lorsque le film sera rediffusé ou même pour lui envoyer le DVD.

 

C'est aussi ça Pierre Tchernia, un homme de coeur qui partage avec un immense plaisir des anecdotes drôles et sincères relatives à sa vie et à sa carrière. Quarante ans après son émission, Pierre Tchernia reste aujourd'hui encore "l'ami public N°1" !

 

Propos recueillis par Sabrina Piazzi

 







Coffret Pierre Tchernia - DVD
Coffret Pierre Tchernia - DVD
Sortie : 14 Octobre 2008
Éditeur : Studio Canal Video

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