Jeph Loeb : "Christopher Nolan et Matt Reeves se sont inspirés de mes Batman" interview
Le 17/07/2024 à 16:25Par Olivier Portnoi
Jeph Loeb : Absolument. Quel plaisir de pouvoir rencontrer les fans. C’est cliché de le répéter mais on leur doit vraiment tout. Venir à leur rencontre est vraiment un plaisir pour moi. Je ne pourrais jamais assez les remercier. Je me sens comme le type le plus chanceux au monde. Quand j’étais à la tête de Marvel Televisions, je n’avais pas le temps de me rendre à ces conventions. Dire que c’est ma première fois à Paris pour un évènement de ce genre.
Que vous demandent les fans en général ? Que vous font-ils signer ?
On me demande souvent de dédicacer du Batman, très souvent Un long halloween et Batman Hush. En France, on me parle beaucoup de Buffy (Joph Loeb a scénarisé plusieurs épisodes de la série de Joss Whedon -ndr).
Vous avez toujours voulu vous orienter vers les comics ?
Absolument pas. Je voulais travailler dans le cinéma. J’ai suivi des études de cinéma (Paul Schrader et Milos Forman ont notamment été ses professeurs -ndr). J’ai eu beaucoup de chance car on m’a offert la possibilité d’écrire Teen Wolf alors que je n’avais que 22 ou 23 ans. Puis j’ai enchaîné sur Commando. J’ai vraiment cru que travailler pour le cinéma était facile. La suite m’a montré bien évidemment que non.
"Teen Wolf, en gros, c’est l’histoire de Peter Parker mais en loup-garou (rires)."
Comment vous êtes vous retrouvé à scénariser Teen Wolf ?
Une société de production m’a contacté en expliquant chercher des idées de teen comedy à petit budget qui se déroulent au lycée. Du tac au tac, j’ai répondu que j’avais une bonne idée, alors que je l’ai inventé au fil de la conversation avec un co-scénariste. A l’époque, j’étais prêt à tout pour trouver un job. Valley Girl (1983 avec Nicolas Cage) avait été un succès et les studios cherchaient d’autres productions teens fauchées qui leur feraient gagner de l’argent. Mon idée de film s’appelait Teen Wolf et traitait de loups-garous mais pas avec une approche horreur. J’imaginais une comédie. C’était l’histoire d’un kid impopulaire à l’école qui galérait, se faisait harceler et avait du mal avec les filles jusqu’à temps que la puberté arrive et qu’il comprenne qu’il a du sang de loup-garou. En gros, c’est l’histoire de Peter Parker mais en loup-garou (rires). Le studio m’a dit de leur envoyer mon scénario et j’ai dû l’écrire en quelques jours après avoir prétendu qu’il existait.
A sa sortie en 1985, Teen Wolf a été une sensation étant le premier film de Michael J Fox à sortir au cinéma après Retour vers le futur.
Alors qu’on l’a tourné avant. Sinon on aurait jamais eu Michael. A l’époque Michael était star de sitcom (Family Ties) et voulait faire du cinéma. Quand le studio a appris qu’il tournait Retour vers le futur produit par Spielberg après Teen Wolf, il a eu le flair de repousser notre sortie de nombreux mois. Comme ça, on a pu profiter du carton de Retour vers le futur. Sans ça, je ne sais pas si Teen Wolf aurait autant fonctionné.
Il y a eu un Teen Wolf 2 avec Jason Bateman par la suite.
Oui mais je n’y ai pas vraiment contribué. Jason Bateman était censé être le cousin de Michael J Fox. A l’époque, on était en guerre avec le studio qui prétendait que Teen Wolf n’avait fait aucun profit alors qu’il avait récolté 70 millions de dollars dans le monde pour un budget ridicule.
"Commando était censé être réalisé par Walter Hill avec Nick Nolte. Mais en cours de route, le studio décide de le passer à Arnold Schwarzenegger. Du coup, on nous demande d’enlever le côté polar et de tuer le maximum de monde en 1h30. Avec de l’humour !"
Vous enchaînez ensuite avec Commando de Mark L. Lester.
Oui. On a écrit ce script et on l’a vendu à Joel Silver et à la Fox. On nous avait demandé une histoire violente et sombre. Au départ, Commando était censé être réalisé par Walter Hill avec Nick Nolte. Avec eux, le film aurait été bien différent. Mais en cours de route, le studio décide de le passer à Arnold Schwarzenegger. Du coup, on nous demande d’enlever le côté polar et de tuer le maximum de monde en 1h30. Avec de l’humour ! J’ai compris alors que l’on écrivait pas le même film pour Nick Nolte ou Arnold. Les scénarios doivent s’adapter aux spécificités des acteurs quand ceux-ci sont larger than life.
Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage ?
Des bons. Notamment de ma rencontre avec Arnold. On est restés en contact toutes ces années. C’est quelqu’un de très drôle et fidèle. Des années plus tard, il m’a appelé sur le tournage de son film de Noël, Christmas in Connecticut qu’il réalisait. (Il s’agit d’un téléfilm de 1992 avec Kris Kristofferson et c’est la première réalisation de Schwarzenegger -ndr). Il avait besoin d’aide. J’y suis allé sans réfléchir.
Predator se passe à Val Verde comme Commando.
Oui. John Matrix et Dutch Schaeffer sont clairement le même personnage. Predator est à voir comme un prequel de Commando. On a inventé Val Verde pour ne jamais avoir à montrer du doigt un vrai pays de dictateurs.
"Michael J Fox devait être The Flash"
Quand décidez-vous de vous orienter vers les comics ?
Après The Flash. J’ai bossé un temps sur une adaptation sur grand écran. Warner nous commande un scénario. Il se disait que Michael J Fox pourrait être le premier rôle mais je ne crois pas qu’il ait jamais été démarché. Le projet capote malgré notre travail. Il est compliqué à l’époque de mettre en images l’histoire d’un type qui court vite. Et ça l’est toujours visiblement… Face à cette frustration, je me dis qu’écrire des comic books était plus immédiat. Pas la peine de se bagarrer des années sur un projet en espérant qu’il voit le jour. Rien n’est impossible dans le monde des comics. A partir de là, j’ai été mordu. Puis les films ne durent que deux heures. Il y a tellement plus de possibilités et de temps pour raconter une histoire en comics même si on doit suivre un cahier des charges. Sur 22 pages, il faut au moins 5, 6 pages de combats. J’ai toujours essayé de rendre mes comics plus cinématographiques. Il y a clairement un lien entre mon travail pour le cinéma et la télé et celui pour les comics.
Croyez-vous en la superhero fatigue, ce trop plein de films et de séries de super-héros, dont parlent les médias ?
Non. Et je ne le croyais pas plus quand j’étais à la tête de Marvel Televisions. On ne parle pas de saturation autour de séries médicales ou de séries policières. Ou de séries avec des avocats qui se déroulent au tribunal. Les super-héros sont un genre aussi riche. C’est avant tout un prétexte pour raconter des histoires. Il suffit juste de trouver les bons sujets et les bons réalisateurs et scénaristes. Quand on a démarré Smallville ou Heroes, les gens ne les ont pas perçues comme de simples séries de super-héros. On racontait autre chose. Lost a fait de même. Si vous regardez bien, ce n’est pas si loin des X-Men. John Locke finit chauve en fauteuil roulant et Sawyer est clairement Wolverine (rires). Même si cela n’a pas écrit comme ça, ça y ressemble pas mal.
Vous avez été à la tête de Marvel Televisions de 2010 à 2019. De quelle série êtes-vous la plus fière ?
Impossible de choisir. Elles ont toutes été importantes pour moi même si on me parle beaucoup de Daredevil. Mais je suis aussi fière d’Agents of shield.
"Les artistes de comic books ne sont pas remerciés comme ils le mériteraient par le cinéma".
Que pensez-vous de James Gunn à la tête de DC ? Va-t-il mettre fin au chaos qui règne dans le DCEU ?
James Gunn est un très bon choix. On se connait. C’est un vrai fan de comics et de super-héros. Il a prouvé sa valeur chez Marvel et j’ai hâte de voir son Superman. Puis il m’a cité (rires). Je ne peux que soutenir quelqu’un qui dit que mon travail a été une inspiration pour lui (rires).
Vous pensez que les artistes de comic books ne sont pas suffisamment cités et remerciés ?
Absolument. Tout le monde s’inspire de nous mais personne, ou très peu, nous cite. Je ne peux que remercier Matt Reeves, qui est un ami, de m’avoir confié à quel point un Long Halloween a inspiré son The Batman. Sur un Long Halloween, j’avais clairement en tête d’écrire un polar plus qu’une histoire de super-héros. C’est le cas du Batman de Matt Reeves. Sa catwoman est clairement un mélange entre celle que j’ai imaginé et celle imaginée par Frank Miller. Tous les personnages du film The Batman sont abîmés. On ne voit pas ça dans beaucoup de comics à part mes Batman et ceux de Miller. Les artistes de comic books ne sont pas suffisamment reconnus. On cite que trop rarement ceux qui apportent la matière première à Hollywood. Il faut souvent attendre la fin du générique pour voir un remerciement ou une mention. Ca a été le cas pour le Spider-Verse de Miles Morales, que j’adore en passant, ou encore Civil War.
Et Christopher Nolan ?
Je sais que son The Dark Knight s’inspire de mon Batman et de celui de Frank Miller. Il aurait pu démarrer son film en le disant clairement. Bon, j’en reste pas moins fier. C’est un énorme cinéaste.