SEULS "Je voulais faire un film d'horreur pour enfants" interview David Moreau
Le 10/02/2017 à 19:31Par Olivier Portnoi
Seuls, l'adaptation de la BD de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti dans laquelle 5 ados se réveillent un beau matin seuls dans leur ville, est sur nos écrans depuis le 8 février.
Leïla, Dodji, Terry, Yvan et Camille se retrouvent livrer à eux-mêmes. Ils vont devoir apprendre à survivre dans une cité devenue hostile et percer le mystère de la disparition de tous les autres habitants.
Réalisé par David Moreau (Ils, The Eye, 20 ans d'écart), Seuls est visuellement réussi et riche en sensations fortes. Le fantastique étant un genre trop peu abordé en France, on ne peut que soutenir ce projet ambitieux et captivant. FilmsActu a rencontré David Moreau.
Qu’est ce qui t’a attiré dans ce projet ? Connaissais-tu déjà la BD ?
David Moreau : Non. C’est un copain scénariste qui m’en a parlé. Ses enfants en étaient super fans et connaissant mes goûts, il a trouvé que cela m’irait bien. Il ne s’est pas trompé. Après cinq pages, je savais que je voulais en faire un film. Cette BD rassemble tous mes fantasmes d’ados. Elle a eu une résonance quasi inédite chez moi.
Les droits ont-ils été compliqués à obtenir auprès des créateurs ?
J’ai dû les draguer pour les droits. Il y avait déjà eu plusieurs propositions dont une de série et une de film. Mais contrairement à nous, les autres personnes qui voulaient l’adapter n’aimaient pas l’explication du mystère de pourquoi ces gamins se retrouvent seuls. Nous si. C’est pour moi l’ADN de cette histoire. C’est la noirceur de cette révélation qui m’a séduit. De ce fait, ils se sont sentis rassurer que l’essence de leur histoire ne serait pas trahie. Que j’avais aussi réalisé des films d’horreur et de la comédie, deux genres que l’on dit ne rien avoir en commun ce dont je ne suis pas d’accord, les a aussi mis en confiance. La suite a été un bonheur.
Le film est plus sombre que la BD dans son traitement.
La BD est sombre mais comme ses dessins sont très colorés, cela apporte une autre sensation. Mais quand on regarde les couvertures des albums, elles sont toutes assez violentes. Les auteurs ont eu l’honnêteté de prévenir les parents qu’ils n’allaient pas lire des histoires de gamins qui volent des bonbons dans les supermarchés mais que ceux-ci allaient manier des armes, être confrontés à la mort, à la sexualité. Ils abordent des thèmes d’adultes pour des enfants. J’ai retranscris cette noirceur à l’écran. Je voulais que le film soit réaliste. Seuls s’est assombri au fur et à mesure de sa fabrication. J’ai coupé beaucoup de blagues et de vannes. Je me suis rendu compte que de faire ses gosses se marrer face à des situations extrêmes ne fonctionnait pas à l’écran. Contrairement à la BD. Seuls est un film d'horreur pour les enfants.
Le casting a-t-il été difficile à trouver ?
Il nous a pris deux ans. Dès l’écriture du scénario, on s’est mis à chercher nos acteurs. Du coup, on écrivait en fonction de nos comédiens potentiels. On les a vieillis par souci de crédibilité. C’était trop complexe à raconter avec des trop jeunes. Terri qui est le plus vieilli à 5 ans dans la BD et 12 dans le film. Mais ils restent jeunes. C’était important que nos personnages soient des ados et pas des young adults comme dans les films américains où ils ont tous 25 ans. C'est le cas dans Labyrinthe. Le plus âgé chez nous a été Stéphane Bak, 18 ans, et Sofia Lesaffre, 17 ans au moment du tournage.
Y-a-t-il une scène de la BD que tu aurais aimé inclure dans le film mais qui n’a pas été possible ?
J’adorais les animaux dans la BD. Le requin sera dans le 2 si on peut faire une suite. Dans les premières versions du film, il y avait des animaux. Notamment les singes que j'adore. Mais je me suis rendu compte que les animaux ajoutés à la complexité de faire ce genre de film en France, aux moyens que l’on avait, qui étaient corrects mais très loin des ceux nécessaires pour ce genre de film, plus les enfants, cela serait beaucoup trop. J’ai dû me séparer des singes la mort dans l'âme.
Combien d’entrées Seuls doit-il faire pour être considéré comme un succès ?
A 600, 700 000 entrées, on commence à avoir des résultats satisfaisants pour ce genre de cinéma. Mais je connais le problème pour avoir commencé ma carrière en France avec un film d’horreur. Quand tu es à 250 000 entrées, ce que l’on avait sur Ils (son premier film co réalisé avec Xavier Palud en 2006), tu es au max. Seuls est à la croisée de deux mondes. C’est l’adaptation d’une BD à succès pour un public jeune, ce n’est pas non plus Astérix ou Boule et Bill qui sont familiaux et connus de tous, et en même temps c’est un film de genre qui traite d’une histoire fantastique qui se déroule en France. Cet espace narratif est habituellement réservé aux américains. Et le gros problème en France, c’est que dès que c’est français, les gens n’y croient pas. Le public est réfractaire à ce genre d’histoire dans le cinéma français comme si pour aller dans l’espace ou affronter des zombies, il fallait parler l’américain. Pour la majorité des gens qui n’y sont pas allés, l’Amérique est une réalité fictive. Cela leur permet de croire à des histoires fantastiques. Moi au contraire, ce que j’adore c’est être dans notre quotidien et que là arrive le fantastique. Je trouve cela plus fort. C’est ma réalité que l’on twiste et pas celle des américains. J’aurai adoré me retrouver seul dans Paris. Est-ce que le public répondra présent ? Je l’espère. Certains producteurs qui ont défendu des films de genre pendant des années se sont rapatriés vers la comédie car c’est trop dur. C’est une bataille constante.
Monter un projet comme Seuls a donc été plus dur que de monter une comédie comme 20 ans d’écart (son précédent film avec Virginie Efira) ?
Oui. Mais j’ai adoré 20 ans d’écart (2013). Je l’ai pensé de la même manière qu’un autre de mes films. De manière cinématographique. La comédie n’est pas un sous genre. Contrairement à ce que l'on croit souvent, il faut produire le même effort cinématographique et visuel pour raconter ton histoire que dans un film fantastique. J’aimerai en refaire une. Mais ce succès m’a peut-être permis de faire Seuls.
As-tu eu d’autres films en tête en réalisant Seuls ?
Les films qui m’ont donné envie de faire du cinéma sont ceux du milieu des années 80 que j’ai vu alors que j’avais une dizaine d’années. Je voyais des gamins de mon âge à qui il arrivait des histoires incroyables. Ils allaient chasser des trésors (Goonies), rencontraient un extra-terrestre (E.T), partaient dans l’espace (Explorers), étaient Sherlock Holmes (Young Sherlock Holmes : Le secret de la pyramide)… toutes les productions Spielberg ont été impactantes chez moi en tant que spectateur. Du coup, filmer des gamins seuls dans Paris je ne pouvais qu’adorer. Forcément, le film doit être truffé de ces références mais elles sont inconscientes.
Le personnage du maître des couteaux est filmé comme Michael Myers dans Halloween de John Carpenter.
Je suis un inconditionnel de Carpenter. Tout comme le compositeur de Seuls, Rob (Robin Coudert). On était tous les deux au concert de John Carpenter au Grand Rex. J’ai eu la chance de passer une après-midi avec lui. Quand Xavier et moi sommes allés tourner The Eye (2008) à Hollywood (avec Jessica Alba), on avait dit aux producteurs ‘ok pour faire le film avec vous à une condition, que l’on rencontre notre idole John Carpenter’. Ils lui ont montré notre premier film et il nous a accueillis chez lui avec un brie, comme on était français, et on a parlé cinéma pendant trois heures. On a parlé de nos références, de western, du fait qu’il a été obligé de faire des films d’horreur toute sa vie alors qu’il aurait aimé faire autre chose. Il m’a sorti la phrase dite par une personne du cinéma qui m’a le plus marqué : 'ne rêve pas du meilleur film que tu puisses faire, rêve du meilleur film que tu peux faire avec les moyens que tu as'. C’est très précieux.
Quel est ton film préféré de Carpenter ?
En ce moment, c’est Christine, un film de commande basé sur le roman de Stephen King. C’est un super film très très bien filmé sur l’adolescence. Carpenter a tant de films incroyables. The Thing est un chef d’œuvre. Sa musique aussi est phénoménale.
Seuls 2 est déjà en projet ?
Si le film fonctionne, on est partant. Notre film possède une fin avec une ouverture sur autre chose que l’on pourrait développer. On sait où l’on veut aller. Si le public répond présent, on repartira. Ce que j’adorerai.
Que conserves-tu de ton expérience à Hollywood ?
Notre expérience américaine avec Xavier Palud a été géniale et en même temps extrêmement violente parce que l’on prend tes rêves et que l’on te les mets dans les fesses pour parler poliment. On a pu rencontrer Carpenter, déjeuner avec William Friedkin, ces cinéastes qui m’ont donné envie de faire des films, cette partie là était merveilleuse. Ce cinéma que j’aime est culturel là-bas. Il y a des tonnes de projets. Par contre, la façon qu’ils font des films est différente de la nôtre. On a rien à leur envier si ce n’est leur budget. Leur approche du montage, le pouvoir des producteurs sur la finalisation d’un film est gerbant. En France, c’est l’auteur qui a la responsabilité artistique d’un film. Aux Etats-Unis, c’est le producteur. C’est lui qui a les pouvoirs de monter le film. Peu de réalisateurs ont le final cut. Et comme dans l’horreur, ils ont l’impression d’avoir une recette, ils se disent plus qualifiés que toi pour raconter cette histoire… on a eu une post production très compliquée pour au final voir un montage qui n’est pas de nous. The Eye est un film que j’aime autant que je déteste. Le film que les gens ont vu n’est pas le nôtre. Si je devais repartir là-bas, je serai moins naîf. Je serai plus équipé aujourd’hui. Mais Hollywood fait moins envie ces derniers temps. Son cinéma est devenu l’illustration d’une bande-annonce. Il y a toujours des films extraordinaires mais ils sont plus rares. Ma dernière grosse claque est The Strangers. Je n'avais pas pris une telle claque depuis 5 ans.