Ce sont les derniers titres à rejoindre la collection DVD Les Introuvables de Wild Side Vidéo. Incident de frontière et La Rue de la mort, deux polars noirs comme une nuit sans lune signés Anthony Mann, ainsi que Libre comme le vent, western au final inoubliable de Robert Parrish. L'occasion de faire le point avec vous sur ces nouveaux DVD retrouvés.

Unique western écrit par Rod Serling, le créateur de la série La Quatrième Dimension, Libre comme le vent conte la rivalité grandissante de deux frères : Tony Sinclair, incarné par le bouillonnant John Cassavetes, ne supporte plus l'autorité de son grand frère Steve, interprété par un Robert Taylor droit dans ses bottes. L'amour qui lui porte la belle Joan (Julie London) ne l'empêchera pas de prendre les armes pour faire sa loi. Jusqu'à un final forcément tragique... Si le thème du conflit entre frères n'est pas neuf, Libre comme le vent est porté par une mise en scène rigoureuse (Parrish a fait ses armes dans la salle de montage des films de John Ford) et une formidable direction d'acteurs. Cassavetes bien entendu, mais aussi dans de plus petits rôles, Charles McGraw en pistolero refusant de dégainer, et Royal Dano, ancienne Tunique bleue qui pour protéger sa terre se voit contraint de reprendre les armes.


Et s'il n'est officiellement pas crédité, signalons que John Sturges a terminé le film à la suite de la mise à l'écart de Robert Parrish par les producteurs, mécontents notamment que leur star, Robert Taylor, alors la quarantaine bien tassée, ait l'air si vieux à l'écran. Sturges, qui venait de mettre en scène Règlement de comptes à OK Corral, dut tourner un "bon nombre de plans de coupe, surtout à la fin, et une ou deux scènes avec Taylor" (dixit Parrish dans Amis Américains : Entretiens avec les grands Auteurs d'Hollywood de Bertrand Tavernier).

Après trois brillants polars (Railroaded !, La Brigade du suicide et Marché de brutes) et un film d'aventure dans la France de Robespierre (Le Livre noir) produits par la Eagle-Lion Films, Anthony Mann est embauché à la MGM par Dore Schary, récemment nommé vice-président chargé de la production par Louis B. Mayer. Fini les budgets étriqués, le cinéaste se voit offrir des budgets plus importants.

 

Premier film pour la MGM, premier chef d'oeuvre. Littéralement. Incident de frontière suit l'enquête de deux policiers qui tentent de démanteler un réseau d'exploitation d'ouvriers mexicains. L'un, américain (George Murphy), infiltre le gang de criminels, l'autre, mexicain (Ricardo Montalban), se fait embaucher comme ouvrier. Mann poursuit sa collaboration avec le brillant chef opérateur John Alton et, en formaliste rigoureux, signe un film d'une beauté plastique suffocante à coups de cadrages obliques souvent en contre-plongés (afin de marquer les points de fuites) et de jeux d'ombres expressionnistes, quasi-expérimentaux. Deux ans après La Brigade du suicide, le cinéaste reprend l'argument documentariste (le scénario est inspiré de faits réels, assure-t-on en off à l'ouverture) puis se dirige vers un polar brutal, d'une violence rare pour l'époque. Dans un vrombissement assourdissant, un homme finira broyé par une moissonneuse batteuse.

 

Le cinéaste retrouve ensuite l'enfer de la jungle urbaine. Joe Norson, un modeste facteur new yorkais à qui Farley Granger (La Corde, Senso) prête son visage, dérobe une enveloppe bourrée de billets verts de chez un avocat véreux (Edmon Ryan) afin de subvenir aux besoins de sa femme enceinte. Pris de remords, il se décide à le restituer mais les criminels se sont déjà lancés à sa recherche... Suite au succès des Amants de la nuit, la MGM met rapidement en chantier La Rue de la mort afin de réunir de nouveau à l'écran le couple vedette façon Bonnie and Clyde du premier film de Nicholas Ray, Granger et la blonde Cathy O'Donnell. Le scénariste Sydney Boehm respecte les thèmes et codes du genre (un homme emporté bien malgré lui dans un sombre affaire, les bas-fonds sordides, la dragon lady), mais la violence sèche qui caractérisait jusqu'alors les films noirs d'Anthony Mann n'est plus. Peut-être est-ce du au fait que John Alton a laissé sa place à Joseph Ruttenberg (Furie, Marqué par la haine), que le noir et blanc über-contrasté du Marché de brutes et d'Incident de frontière se fait plus neutre. S'il n'atteint pas ses précédentes réussites, le dernier film noir du cinéaste avant qu'il ne prenne la route des vastes espaces du Grand Ouest reste néanmoins un thriller efficace, haletant jusqu'à, en guise de final, la mémorable course poursuite en voiture au milieu des gratte-ciels.


Dans la collection DVD Les Introuvables de Wild Side, chaque film est accompagné d'une présentation d'un spécialiste de cet âge d'or du cinéma américain : Bertrand Tavernier sur Libre comme le vent, le cinéaste français ayant co-réalisé le dernier film de Robert Parrish, Mississippi Blues, le macmahonnien Pierre Rissient sur Incident de Frontière, tandis que de son côté, plutôt que présenter La Rue de la mort, Michel Boujut revient sur l'ensemble de la carrière d'Anthony Mann et sur l'impact que ses films ont eu sur cinéphiles et cinéastes, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol et Wim Wenders en tête.