Ce nouveau master restauré met en valeur la splendide photo du film perdu de Max Ophüls à travers de beaux contrastes même si l'éditeur a fait mieux dans le genre. Si la restauration est acceptable pour un film longtemps disparu, il demeure de nombreuses scories, points blancs (plus apparents durant les séquences nocturnes), rayures verticales, deux ou trois problèmes de définition (des visages flous notamment) et un grain très accentué sur les parties claires. Prenons par exemple la scène où Joan Bennett se débarasse du cadavre (20ème minute) où le ciel apparaît constamment rugueux et fourmillant. La palette de gris est néanmoins chatoyante, les noirs souvent compacts et certaines séquences s'en tirent indéniablement mieux que d'autres avec une image plus lisse et lumineuse. Les divers accrocs constatés n'empêchent cependant pas un agréable visionnage.
Commençons par les choses qui fâchent (un peu) en ce qui concerne la version française. Jamais l'éditeur ne nous avait délivré une piste aussi douteuse. Les dialogues demeurent en permanence inaudibles et semblent avoir été enregistrés sous l'eau. Les voix ressemblent à s'y méprendre à une personne en train de se gargariser la gorge pendant 1h20 et seule la musique s'avère à peu près convenable. Il est d'ailleurs étrange que l'éditeur ait proposé un mixage aussi imperceptible. Vu le niveau de la piste française, la note technique ne tient finalement pas compte de cet incident de parcours de l'éditeur et nous préférons nous concentrer sur la version originale. Heureusement il n'y a rien à redire la concernant. Les dialogues sont autrement plus percutants et le mixage propre, sans souffle et met en valeur continuellement la belle musique d'Hans J. Salter. La propreté de cette piste fait oublier la déconvenue de son homologue française, d'autant plus qu'un film avec James Mason ne se regarde exclusivement qu'en version originale !
Faire un film américain (41min49)
Rarement un historien du cinéma nous avait passionnés à ce point durant plus de quarante minutes. C'est bien simple, on croirait que notre interlocuteur, Lutz Bacher (auteur de Max Ophüls in the Hollywood Studios), a véritablement assisté à toutes les phases de la production du film de Max Ophüls. Cet épatant entretien nous permet de tout savoir sur les débuts de la carrière américaine du réalisateur français d'origine allemande, ses oeuvres diverses réalisées aux Etats-Unis (Lettre d'une inconnue, Pris au piège) jusqu'au film qui nous intéresse, Les Désemparés dont le titre original est The Reckless Moment. Lutz Bacher évoque point par point la préproduction du film, l'évolution du scénario, le casting et l'équipe technique (imposée au réalisateur malgré lui), ainsi que le déroulement du tournage, contant notamment les frictions survenues entre le réalisateur et la Columbia qui lui refusait alors les quelques libertés artistiques qu'il souhaitait mettre en oeuvre. Enfin, à l'instar d'un commentaire audio, l'historien du cinéma dissèque quelques séquences clés du film. Un supplément fabuleux s'inscrivant directement parmi le meilleur concocté jusque-là par l'éditeur.
Maternal overdrive (22min)
Comme lors de son entretien réalisé pour la sortie en DVD du chef d'oeuvre de Douglas Sirk (disponible chez le même éditeur) Tout ce que le ciel permet, le réalisateur et scénariste américain Todd Haynes rend ici un hommage à sa deuxième influence, Max Ophüls, dont il s'est largement inspiré pour son film Loin du paradis. Avec une passion contagieuse du cinéma, en particulier du mélodrame américain des années 40 et 50, Todd Haynes livre une brillante analyse des Désemparés, qu'il connaît visiblement par coeur, en se penchant notamment sur la figure de la femme au foyer, interprétée par Joan Bennett. Si certains propos font parfois écho à ceux distillés dans l'interview de Lutz Bacher, le cinéaste donne son interprétation du classique perdu de Max Ophüls tout en détaillant scrupuleusement le fond et la forme qu'il croise astucieusement. Une analyse à ne pas rater mais à suivre évidemment après avoir visionné le film car toutes les séquences principales sont abordées.