Le Premier jour du reste de ta vie
Le 05/06/2008 à 07:23Par Michèle Bori
Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de le dire : Le premier jour du reste de ta vie marque la naissance d'un cinéaste, un vrai, sur lequel le cinéma français devra certainement compter dans les années à venir. En réconciliant avec panache et talent cinéma d'auteur et divertissement populaire (ça c'est pour vous messieurs Desplechin et Garrel), Rémi Bezançon pourrait vite prendre la relève de Cédric Klapisch (qui semble, depuis Paris, tombé du côté bobo de la force) et devenir un réalisateur incontournable du 7e Art de notre beau pays. Tenons-nous là le nouveau Péril Jeune ? On n'en est pas loin en tout cas.
Déborah François est assise dans sa salle de bain, un test de grossesse à la main. On la voit en plongée. La caméra descend vers elle et vient se placer devant son visage. En fond sonore, la chanson Le premier jour du reste de ma vie d'Etienne Daho. Déborah regarde la caméra en souriant. Cut au noir.
Un clin d'œil maladroit à Magnolia de Paul Thomas Anderson et du Daho en guise de générique, voilà donc les deux seules fautes de goûts du nouveau film de Rémi Bezançon, Le premier jour du reste de ta vie. Et il aura fallu attendre les ultimes instants de la toute dernière bobine pour les voir. Avant cela ? Tout simplement le film français le plus intéressant depuis bien longtemps. Car derrière ses faux airs de comédie dramatique familiale comme il en pullule tant sur nos écrans, Le premier jour... est un véritable beau film de cinéma, un film touchant, poétique drôle et intelligent à la fois, un film qui mérite largement sa place à 10€ et son esquimau à la vanille, et accessoirement l'œuvre d'un jeune cinéaste qui fera clairement taire ceux qui pensaient qu'il ne fallait pas attendre grand chose de lui. On en faisait partie, honte à nous.
Déjà, le pitch était accrocheur. Douze années de la vie d'une famille racontées en cinq journées-clé qui ont à jamais bouleversé l'histoire de ses cinq membres. Film choral ? Film à sketch ? Le premier jour... est un peu des deux à la fois... mais sans vraiment l'être non plus. Au final ce ne sont pas cinq histoires séparées qui nous sont racontées ici, mais belle et bien une seule, celle d'une famille, traitée comme s'il s'agissait d'un personnage unique, une entité à part entière. Un père, une mère et trois enfants certes, mais surtout une cellule familiale confrontée à des conflits internes, comme si souvent dus à un manque de communication, résultats d'une incompréhension entre les générations. D'un côté nous avons les parents. Un père effacé (Robert, incarné par Jacques Gamblin), incapable de surmonter le fait qu'il n'est jamais été considéré à sa juste valeur par son propre géniteur et une mère couveuse (Marie-Jeanne, Zabou Breitman) qui a du mal à se faire à l'idée qu'elle n'est plus la jeune fille qu'elle était. De l'autre les enfants. Un ainé colérique (Albert, joué par le débutant et très prometteur Pio Marmaï), un benjamin rêveur (Raphaël, campé par l'énorme Marc-André Grondin, vu dans C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée) et une cadette rebelle (Fleur, la douce Déborah François).
C'est vrai, écrit comme ça, on croirait avoir affaire à des clichés sur pellicule, vivant des banalités de tous les jours. Et pourtant il n'en est rien ! La force du film de Rémi Bezançon est d'arriver à nous rendre passionnantes ces histoires du quotidien - ou plutôt ces instantanés du quotidien - qui nous sont familiers à tous, via des personnages immédiatement attachants. Et même s'il est vrai que dès qu'il se penche sur les protagonistes féminins, Bezançon fait preuve d'un peu moins d'audace dans son écriture que lorsqu'il dépeint les tourments masculins (la journée tournant autour de Raphaël est juste monumentale de A à Z, avec une mention spéciale pour une scène surréaliste d'un concours d'Air Guitar, qui vaut à elle seule la vision du film), il parvient créer un fragile équilibre qui rend l'ensemble totalement passionnant. Et surtout extrêmement touchant, du début à la fin. Rares sont les films qui arrivent à nous donner des frissons à plusieurs reprises en moins de deux heures... Le premier jour du reste de ta vie en fait partie.
Bref, côté scénario, pas grand chose à redire. Mais là où Bezançon réussit vraiment son coup (et arrive au passage à nous faire oublier le trop brouillon Ma vie en l'air), c'est en donnant à son film une mise en image digne de l'histoire qu'il porte, totalement réfléchie de la première à la dernière image. Pour faire simple : chaque « journée » racontée dans Le premier jour... dispose de ses propres codes visuels, renforçant plus encore la caractérisation des personnages. Ou comme l'explique si bien le réalisateur « nous avons fait en sorte que chaque journée ait sa propre logique cinématographique, qu'elle soit traitée à chaque fois à travers le prisme du personnage que nous suivons. Par exemple la journée d'Albert, le fils ainé qui quitte le nid familial, a été filmé en courte focale ce qui a la particularité d'accentuer les distances, d'éloigner les sujets les uns des autres et donc de souligner la prise d'indépendance du personnage.[...] Pour Raphaël l'enfant du milieu, on a utilisé une steadycam, une caméra un peu flottante à son image. Marie-Jeanne, la mère, est quant à elle enveloppé dans un écrin d'intimité. Le décor disparait derrière elle en fou grâce à la longue focale.[...] » Un parti pris visuel audacieux et diablement efficace, qui colle parfaitement avec la volonté de Bezançon de décrire le fossé psychique qui peut exister entre les membres d'une même famille. Et si par moment cette technique peut rendre l'ensemble bancal, presque inégal, on ne peut que souligner une nouvelle fois la prise de risque de la démarche, qui nous change un peu des téléfilms en cinémascope qu'on a le déplaisir de visionner chaque semaine.
Mais la cerise sur le gâteau, voire la merguez sur le couscous, c'est indéniablement l'univers et le contexte historique du film. Se déroulant entre 1988 et 2000, Le premier jour du reste de ta vie fait défiler sous nos yeux toutes les années 90 qui, on ne le dira jamais assez, sont certainement les années les plus sous-exploitées dans le cinéma (et pour qu'elles ne le soient plus, il faudra attendre que les 90's deviennent tendance - comme le sont actuellement les 80's - ce qui ne saurait tarder). On avait déjà apprécié la démarche dans le très sympathique Nos 18 ans de Frédéric Berthe, mais ce que fait Bezançon est d'un niveau encore supérieur. Quelle joie de redécouvrir la une « Inqualifiable » de l'Equipe au lendemain de la déroute des bleus face à la Bulgarie d'Emil Kostadinov ! Quel bonheur de voir Fleur pleurer la mort de Kurt Cobain ! Quel plaisir d'entendre Raphaël disserter des qualités de guitaristes d'Angus Young ! Bref, quel plaisir de revivre l'espace de quelques instants ces années mémorables qui ont été si riches en bouleversements culturels ! Et puis, comme Rémi Bezançon est un homme de goût (il cite American Beauty comme référence, et - comme on l'avait déjà pressenti dans Ma vie en l'air - semble avoir Magnolia comme film de chevet), il se permet de glisser quelques morceaux de musique, anachroniques certes, mais dont la puissance fait souvent décoller le film vers des sphères que seul Cédric Klapisch avait réussi à atteindre en France ces dernières années. Summertime de Janis Joplin, In Poursuit of Happiness de The Divine Comedy, Time de David Bowie... à ce niveau, c'est plus une bande originale, c'est un Best of. Bref, Le premier jour du reste de ta vie est un plaisir pour les yeux, les oreilles, pour le cœur et l'esprit ... merde, que demander de plus ?