Mesrine - L'Instinct de Mort / L'Ennemi Public N°1
Le 24/10/2008 à 18:01Par Kevin Prin
Les deux films ne forment qu'un à la base. Et pourtant, chacun a son style, ses ambitions différentes, son casting et son époque. C'est pourquoi ils seront à la fois traités séparément et ensemble sur cette page.
L'instint de mort
L'Instinct de Mort (Sortie : 22 Octobre 2008 - Durée : 1h52) Note : 14/20
Première partie du diptyque sur Mesrine, L'Instinct de mort s'impose comme un film bicéphale, avec d'un côté un film de gangster bien emballé, possédant un véritable univers aussi bien reconstitué techniquement et viscéralement, que joliment habité par ses comédiens, Vincent Cassel en tête de liste (dont l'interprétation est prémonitoire d'un César bien mérité). Une excellente nouvelle en soi dans le paysage cinématographique français. De l'autre, malgré certaines audaces et réussites fulgurantes, le film enchaîne les ellipses au point de nuire à notre immersion, notre attachement aux personnages et à son rythme global. Un goût amer de film finalement un peu quelconque en bouche, on garde quand même de ce Mesrine Part One la satisfaction d'un divertissement populaire qui ne cherche pas la facilité. Essai confirmé dans la seconde partie ?
L'Ennemi public n°1
L'Ennemi public n°1 (Sortie : 19 Novembre 2008 - Durée : 2h12) Note 13/20
Attention, film complètement différent du premier ! Au point que la vision de L'Instinct de Mort n'est vraiment pas nécessaire pour aborder celui-ci, tant l'absence de pont entre les deux films est flagrante. Livrant un nombre de scènes d'action bien plus élevé, L'Ennemi Public n°1 se montre plus homogène et plus rythmé, les sauts de puce dans le temps étant beaucoup moins dérangeant. Les défauts du premier (son rythme en dents de scie, son manque de finesse flagrant dans des scènes qui en aurait nécessité) sont effacés mais malheureusement remplacés par une grosse baisse des ambitions. Voire Mesrine s'évader plusieurs fois et narguer la justice française avec gouaille est effectivement jouissif, mais les promesses établies par le premier film, notamment un profil du personnage nuancé, s'amenuisent. Mesrine est ainsi présenté comme un gangster dévoré par son aura, le film évoquant trop superficiellement sa réflexion sur sa célébrité ou ses pulsions révolutionnaires qui expliquent pourtant sa personnalité tout entière. A la place nous assistons à un biopic "seulement" classique, certes encore une fois du cinéma populaire au dessus du lot, mais loin de remplir les ambitions d'une thématique sur un tel personnage. Efficace mais loin de la grandeur espérée.
Que donnent les deux films ensemble et digérés ?
On retiendra surtout la performance incroyable de Vincent Cassel ainsi que des seconds rôles, de Gérard Depardieu (vraiment bon) à Mathieu Amalric et même Samuel Le Bihan, avec toutefois un bémol pour les rôles féminins, un peu mis de côté voire complètement transparent dans le cas de Cécile de France (présente à l'écran 10 minutes max).
Des acteurs qui se sont parfaitement immergés, une production très solide (Thomas Langmann, loin du simplisme d'un Astérix, prouve qu'il est un producteur essentiel) pour un sujet que le scénariste et le réalisateur semblent moins bien tenir sur la longueur. Le manque de finesse essentiel du premier film, une narration nuisant à l'immersion, un point de vue imposé dans la seconde partie, et une mise en scène tour à tour fulgurante de brio ou "juste" calibrée et efficace... Faut-il bouder notre plaisir ? Mesrine 1+2 reste une expérience unique, une tentative de grand cinéma en France en partie réussie, qui met en valeur également les limites que les productions hexagonales se doivent de franchir. Ce qui est déjà une bonne nouvelle !
La Critique complète
Qui était Mesrine ? Un homme issu de la petite bourgeoisie, reniant ces origines en devenant gangster pour se révolter contre le système à son propre profit. Des ambitions destructives guident cet homme qui n'a pas peur de s'exposer, de se mettre en scène ou de jouer avec les médias tout en narguant les forces de police qui le poursuivent. Et pourtant, il reste un meurtrier, une ordure, un sacré connard même qui n'a pas peur d'assassiner froidement pour argumenter son idéal.
L'instinct de Mort
Se déroulant sur une dizaine d'années, L'Instinct de mort enchaîne sans réel lien des scènes de la vie de Mesrine. Un principe qu'un certain Michael Mann employa avec génie dans Ali, lui permettant de tracer un portrait fidèle de la personnalité du boxeur, en mixant avec justesse des évènements célèbres à des scènes plus intimes. Mais là où Mann faisait preuve d'une répartie remarquable sur chaque scène, Jean-François Richet et son scénariste dosent mal ces éléments, passant de scènes sans grande importance à d'autres au potentiel élevé, très souvent handicapées par des maladresses. Le film s'ouvre sans doute sur ce qui restera la meilleure scène des 4 heures du diptyque : l'assassinat de Mesrine, vu du point de vue de la victime et présenté dans un brillant split-screen découpant sa peur et sa méfiance à la fois. Mais si on ne peut pas reprocher à Richet de soigner sa mise en scène, d'avoir visiblement pensé et préparé son film de bout en bout, la narration trop rapide finit par faire perdre sa saveur à chaque idée. Mesrine est en prison et souffre le martyr de ses gardiens ? Nous n'aurons pas le temps de ressentir de la compassion. Mesrine quitte la demeure de ses parents en balançant violemment à son père tout ce qu'il lui reproche ? Le personnage paternel ayant été à peine évoqué, la déchirure n'est pas très marquante. Etcetera pendant 1h52.
Jean-François Richet (au milieu) avec Vincent Cassel et Cécile de France
L'Instinct de mort souffre ainsi constamment d'un manque de souffle, rongeant ses énormes qualités de biopic pour ne laisser qu'une impression de film un peu creux. Pourtant les points forts sont foisons, à commencer par une reconstitution plus vraie que nature et surtout un casting de haute volée. Le cas de Vincent Cassel est incontestable : il EST Jacques Mesrine et s'est imprégné du personnage et du sujet comme rarement un acteur français ne l'aura fait pour son rôle. Chaque mimique, chaque ligne de dialogue, tout son jeu physique et émotionnel sont au service de la construction psychologique de cette personnalité complexe, donnant vie à Mesrine devant nos yeux hébétés. Le reste du casting pouvait faire craindre le pire sur le papier, car composé d'acteurs talentueux dans des films intimes mais souvent mal dirigés dans des productions de cette envergure. Il n'en n'est rien et Richet peut se targuer d'une direction d'acteurs bluffante, de Gérard Depardieu en parrain parisien à la fois humain et effrayant, à Gilles Lelouche, très sobre dans le rôle du meilleur pote de Mesrine. Un seul regret de taille du côté des personnages : la faible présence des rôles féminins à l'écran, notamment celui de Cécile de France, complètement effacée et au potentiel tout juste effleuré. La déception est de mise pour la gente féminine.
La grande réussite de ce premier film est surtout de construire son histoire autour d'un Mesrine méconnu, les conséquences de la Guerre d'Algérie sur sa personnalité jusqu'à son accession au statut d'ennemi public numéro un au Canada, où là encore le casting se montre de haute volée. Et pourtant, malgré les efforts d'exhaustivité, la trop grande rapidité du récit pour un rythme en plus inégal (la dernière demi-heure se fait sentir), vient handicaper ce qui aurait pu être une mise en place parfaite pour le second film.
L'ENNEMI PUBLIC N°1
Etrangement, nous sommes presque « cueillis » au début de ce second film. Si la conclusion du premier se montrait expéditive, allant jusqu'à faire disparaître en 2-3 cartons le peu de personnages secondaires auquel on commençait à s'attacher, L'Ennemi Public Numéro un démarre sur les chapeaux de roue quelques années plus tard. Tout juste a-t-on le temps de constater qu'il n'y a pratiquement aucun lien scénaristique entre les deux films (on peut découvrir le second sans avoir vu le premier !), si ce n'est que Mesrine accède de plus en plus au statut de célébrité en France et s'attire les foudres des forces judiciaires.
Vincent Cassel et Mathieu Amalric (L'Ennemi Public N°1)
Un second volet beaucoup plus orienté sur le divertissement pur et dur puisqu'il couvre les périodes les plus médiatisées de Jacques Mesrine : ses multiples évasions, ses braquages les plus démonstratifs, ses interviews à la presse alors qu'il est recherché par la police, etc. Si le premier film se montrait surprenant en dévoilant les origines du personnage, sa suite ne révèlera rien d'aussi ambitieux (à peine une scène de retrouvaille entre Mesrine père et fils, effectivement émouvante), se contentant de retracer l'histoire que nous connaissons déjà via les médias. Utilisant toujours des ellipses pour passer d'une époque à une autre, celles-ci s'avèrent beaucoup moins flagrantes et surtout moins nuisibles au rythme du récit, trouvant ses pulsations dans les hauts faits du brigand. Le manque de finesse du premier opus est une nouvelle fois présent, mais moins gênant puisque tout ici est coups de feu, humour, sexe et évasions et donc propice au rentre-dedans. Le casting s'étoffe : on retrouve Mathieu Amalric en complice glacial de Mesrine, Ludivine Sagnier dans le rôle de sa (nouvelle) promise, Samuel Le Bihan en homme de main et Olivier Gourmet en commissaire méconnaissable. Au milieu, Vincent Cassel se montre toujours aussi efficace en Mesrine, donnant une énergie et une folie à son personnage qui portera l'intégralité du film. Sa performance est néanmoins moins marquante, puisque, comme expliqué plus haut, la psychologie du personnage se limite cette fois-ci à un héros de film d'action.
L'Ennemi Public n°1
Un film d'action bien moins audacieux donc, ce qui se retrouve dans sa mise en scène beaucoup plus calibrée, Richet prouvant qu'il a été à bonne école aux Etats-Unis. Du divertissement avec un grand « d » mais qui se contente pendant une majeure partie du temps de ce statut sans continuer à creuser les zones d'ombre de l'affaire. Là où le bât blesse (le plus) réside en cette soudaine prise de position par rapport au « héros », tout à coup montré sous son plus mauvais jour par la caméra et transformé en martyr lors de la dernière scène où la musique de Marco Beltrami (Hellboy) vient surligner à grand renforts de violons l'injustice de son assassinat. Le scénario et la morale passent ainsi sans transition d'une dénonciation maladroite à une glorification (involontaire ?), là où l'histoire ne se commentait pas elle-même jusqu'à présent et laissait le personnage et ses faits parler d'eux-mêmes. Etait-il nécessaire de la part du scénario de se chercher une conscience ? Et si oui, pourquoi achever ses quatre heures de film cumulées de la sorte ? Une question qui laisse dubitatif et s'avère symptomatique des maladresses décelées depuis le premier opus. Mesrine 1 & 2 forme un vrai film populaire au sens noble du terme, certes, mais ce genre d'imperfection, de frilosité, d'absence de maîtrise du sujet et cette obligation de se sentir obligé à montrer du gros doigt que Mesrine tue et que c'est mal, casse l'aura du personnage.