Shine a Light
Le 18/03/2008 à 07:30Par Michèle Bori
Certainement l'œuvre la plus réussie de Scorsese depuis la première demi-heure de Gangs of New York, Shine a Light marque une nouvelle étape dans l'histoire des concerts filmés. Puissant, énergique, parfois drôle, souvent émouvant, ce film est un véritable hommage rendu par un cinéaste passionné à des icônes indémodables de la musique. Peut-être est-il réservé à un public averti (un concert de 2h au cinéma sans possibilité de faire avance rapide, ça peut en dérouter plus d'un), mais Shine a Light n'en reste pas moins un document à découvrir absolument, et si possible en salle, pour profiter un maximum de ses images et de sa bande-son. Et puis Keith Richards a vraiment la classe !
Lorsqu’un monstre sacré du cinéma, dernier survivant d’une génération de cinéastes anticonformistes des années 70, décide de parler d’un groupe de rock sacrosaint et dernier survivant du temps béni des 60’s, ça donne Shine a Light. Martin Scorsese meets The Rolling Stones. Tout est dans le titre. Comme si Godzilla rencontrait King Kong. Comme si Zidane et Maradona jouaient ensemble le temps d’un match. En gros : que Shine a Light soit ou non un bon film importait finalement peu, car quel que soit le résultat à l’écran, la rencontre resterait dans les mémoires. Mais comme la vie n’est pas toujours chienne, la montagne n’a pas accouchée d’une souris, car en plus de marquer l’histoire par cette rencontre anthologique, Shine a Light n’est ni plus ni moins que le concert filmé le plus beau jamais tourné.
Passons rapidement sur le détail qui fâche un peu. Non, le film de Scorsese n’est pas un documentaire sur l’histoire des Stones contrairement à ce que pouvait laisser imaginer la bande annonce. Il s’agit « juste » d’un concert du groupe, filmé au Beacon Theatre de New York et entrecoupé ça et là de quelques images d’archives et d’instantanés de back stage où l’on voit le réalisateur de Casino préparer contentieusement sa mise en scène. Pas de plongée dans l’univers sex, drug and Rock & Roll des Stones donc, juste une performance de deux heures où le groupe de Richmond va se donner à fond devant 16 caméras et un parterre de fans. Rien de plus, rien de moins. Mais alors quel concert !
Plastiquement époustouflant, Shine a Light est de très loin le plus beau concert qu’il nous ait été donné de voir depuis le Heart of Gold de Jonathan Demme sur Neil Young. Il faut dire que Scorsese s’est donné les moyens d’offrir aux spectateurs de son film une expérience incroyable. Un décor somptueux (le Beacon Theatre), une scénographie sobre mais efficace et surtout un paquet de cadors derrière un paquet de caméras toutes judicieusement placées. C’est simple, pour filmer les meilleurs, Martin Scorsese a choisi les meilleurs. Robert Richardson (chef opérateur de Casino et Kill Bill), John Toll (Braveheart, la Ligne Rouge), Emmanuel Lubezki (Le Nouveau monde, Les Fils de l’homme), Stuart Dryburgh (L’Ame des guerriers, La Leçon de piano), Ellen Kuras (Eternal Sunshine), Robert Elswit (There Will Be Blood) et Mitchell Amundsen (Transformers) ont donc été les yeux de Scorsese durant le tournage, nous offrant des plans magnifiquement composés, allant du mouvement de grue hallucinant au gros plan rempli d’émotions. Un travail d’orfèvres, qui mérite à lui seul qu’on prenne le temps de voir le film.
Autre point fort du film, qui vaut qu’on se déplace en salle pour être apprécier à sa juste valeur : le son. C’est simple, en sortant de la salle de projection, on a les oreilles qui sifflent comme lors d’un vrai concert. Les basses sont surpuissantes, les instruments et les voix d’une pureté inouïe et les réactions du public du Beacon Theatre sont tellement bien mixées qu’on a parfois l’impression qu’elles viennent de la rangée de derrière, au fond de la salle. De plus, on sent que le mixage général du concert a été fait en fonction des images. Par exemple, lors d’un gros plan sur Keith Richard, c’est la guitare qu’on entend le plus. Lorsqu’on voit Mick Jagger, c’est tout à coup la voix qui ressort. De très légère variations, presque imperceptibles si l’on y prête pas attention, mais qui confère à Shine a Light une dimension supérieure à celle d’un concert filmé lambda.
Enfin, la dernière et bien sûr la raison la plus importante qui fait de Shine a Light un film unique : les Rolling Stones. Comment imaginer que ces mecs-là ont commencé à jouer ensemble il y a 45 ans (en 1962) ? Presqu’un demi siècle après leurs débuts, on sent encore chez tous les membres du groupe cette même énergie, cette même joie de jouer, cette même étincelle dans les yeux que n’auront jamais les groupes de supermarché qu’on essaye de nous vendre aujourd’hui comme « la nouvelle scène rock ». Il y a plus de génie dans un riff de Richards ou dans un refrain de Jagger qu’il n’y en aura jamais dans toute la carrière d’un Matthew Bellamy ou d’un Pete Doherty. D’ailleurs, lorsque dans le film le chanteur des White Stripes, Jack White, vient faire un duo avec Jagger - un des trois duos du film, les deux autres étant avec le monstrueux Buddy Guy et l’atomique Christina Aguillera - on se rend bien compte qu’il existe un fossé entre les deux hommes, à tous les niveaux. Les Rolling Stones c’est le Rock incarné. Point. Et pour ceux qui en doutaient encore, Shine a Light devrait faire office de piqure de rappel.