24 City
Le 18/03/2009 à 14:39Par Elodie Leroy
Avec 24 City, Jia Zhang Ke continue de laisser la parole aux laissés pour compte d'une Chine tiraillée entre le communisme du passé et le capitalisme sauvage qui la transforme à vue d'oeil. Expériences amères, rêves détruits et espoirs de réussite se côtoient au travers de ces huit récits poignants qui réunissent des hommes et des femmes de tout âge issus de la condition ouvrière. De par son austérité, la mise en scène en rebutera plus d'un mais la sincérité et l'authenticité de la démarche remportent sans mal l'adhésion et forcent le respect.
A l'heure où les blockbusters du cinéma chinois deviennent plus que jamais des outils de propagande entre les mains du gouvernement, à l'heure où la Censure guette le moindre faux pas qui pourrait entacher l'image de la nation, à l'heure où des cinéastes tels que Zhang Yimou vendent leur âme pour rester au sommet de leur gloire, il est rassurant de voir que certains artistes restent fidèles à eux-mêmes jusqu'au bout, film après film, continuant envers et contre tout d'explorer les facettes de la Chine que les autorités refusent de montrer. Que l'on aime ou non la mise en scène aride et l'esthétique austère de Jia Zhang Ke, force est d'admettre que le cinéaste conserve depuis ses débuts une intégrité politique et artistique remarquable, sans jamais se laisser pervertir par le succès qu'il remporte dans les festivals internationaux. Chaque film apporte une nouvelle pierre à l'édifice d'une œuvre aussi authentique qu'intelligente, celle d'un réalisateur engagé qui met son regard au service de la parole des laissés pour compte.
24 City, c'est l'immense complexe d'appartements et de commerces de luxe qui est sur le point de s'élever tel un empire écrasant à la place des usines de la Chine post-Révolution Culturelle. A travers huit témoignages-vérité, Jia Zhang Ke dévoile le visage meurtri de la classe ouvrière des grandes villes chinoises, en l'occurrence ici celle de Chengdu. Chaque récit apporte sa contribution et vient compléter les précédents pour dresser le tableau sans concession des conditions de vie des ouvriers de l'usine 420, avant et après sa fermeture. Si l'on décèlera une nostalgie évidente de la période communiste chez ces hommes et ces femmes qui ont grandi dans le labeur, le film pointe l'échec de ces entreprises d'état qui emprisonnent littéralement leur main d'œuvre dans une pauvreté extrême. De même, le capitalisme sauvage est bel et bien en cause dans la ruine de ces travailleurs, mais Jia Zhang Ke ne se complaît pas pour autant dans une charge simpliste contre la modernité et nuance son propos grâce à la diversité des intervenants. Ces derniers brassent ainsi plusieurs tranches d'âge et le regard de la jeunesse sur la génération précédente est à la fois porteur de douleur et d'espoir. La Chine apparaît dans toutes ses contradictions, tiraillée entre deux systèmes incompatibles.
De par la véracité des histoires contées, 24 City peut bel et bien prétendre à la dénomination de documentaire. Pourtant, les interviewés sont pour certains interprétés par des comédiens, parmi lesquels on retrouve Joan Chen, poignante, et bien sûr l'incontournable Zhao Tao (The World, Still Life), fidèle collaboratrice de Jia Zhang Ke depuis ses débuts et qui vient ici fermer le bal. La mise en scène toujours aussi radicale du cinéaste, qui privilégie les plans fixes lors des témoignages, est tempérée par quelques intermèdes poétiques, des citations de poètes tels que Yeats venant ponctuer le métrage, tandis que les plans de coupe sur la ville sont accompagnés par les compositions envoûtantes d'artistes modernes parmi lesquels on reconnaîtra Lim Giong (connu en France pour la musique de Millenium Mambo). Au final, à condition de ne pas se laisser décourager dès les premières minutes par la forme, 24 City atteint son but et l'émotion qui s'installe permet d'apprécier peu à peu les choix artistiques d'un auteur au style reconnaissable entre tous.