Ariane
Le 02/03/2009 à 08:01Par Sabrina Piazzi
Ariane n'est certes pas un chef d'œuvre comme le seront les films à venir de Billy Wilder mais annonce en grande pompe la deuxième partie de la carrière hollywoodienne du cinéaste allemand basée sur l'affrontement des sexes, le politiquement incorrect, l'apologie du mensonge, avec une joie communicative de jouer avec la censure.
En 1957, trois ans après le succès international de Sabrina, Billy Wilder fait à nouveau appel à Audrey Hepburn pour Love in the Afternoon, plus connu par le prénom du personnage principal, Ariane. En signant ce remake du film éponyme de Paul Czinner réalisé en 1931, lui-même tiré du roman de Claude Anet, Ariane, une jeune fille russe, Billy Wilder souhaite rendre hommage au cinéma de sa jeunesse ainsi qu'à son mentor Ernst Lubitsch.
Les succès de Boulevard du crépuscule (1950), Stalag 17 (1953), Sabrina (1954), Sept ans de réflexion (1955), permettent à Billy Wilder d'être l'auteur complet d'Ariane. Il est ainsi scénariste, producteur et réalisateur, choisit ses comédiens et se place en tant qu'auteur à part entière à l'intérieur même du système hollywoodien. Avec Ariane, il impose le N&B renvoyant à ses premiers films, témoigne de son amour pour Ernst Lubitsch avec qui il fit ses premières armes, choisit Paris comme lieu d'action et impose un rythme et des thèmes qui deviendront récurrents dans ses œuvres ultérieures comme La Garçonnière, Irma la Douce et Avanti!.
Si la grande réussite d'Ariane repose essentiellement sur son magnifique casting dans sa première partie, la mécanique Wilder fonctionne à plein régime dans sa deuxième heure avec faux-semblants, complicité des spectateurs alors en avance sur les personnages renforçant ainsi l'émotion et les éléments comiques. Si le sujet avait quelque peu effrayé la censure de l'époque avec la liaison d'une très jeune fille avec un homme aussi âgé que son père, Billy Wilder détourne comme à son habitude l'attention en suggérant plus qu'il ne montre en réalité la liaison des deux personnages principaux. Le ton insolent déjà aperçu dans son premier film américain Uniformes et Jupons Courts (1942) n'a donc rien perdu de sa férocité et de sa grivoiserie. Certains dialogues sont bourrés de double-sens et il est amusant de voir la sublime Audrey Hepburn sous-entendre quelques propos notamment quand elle regarde la colonne de la Place Vendôme fièrement dressée devant la fenêtre de son amant. Si Gary Cooper (56 ans) se délecte de prendre l'une des plus belles femmes du monde dans ses bras qui pourrait être sa fille (Audrey Hepburn a alors 28 ans), c'est surtout Maurice Chevalier qui est magnifique dans le rôle du père de cette dernière. Les deux comédiens occupent littéralement l'écran, le premier lors d'une scène mémorable de chagrin d'amour arrosé en compagnie de ses musiciens tsiganes, le deuxième dans le rôle du détective et père d'Ariane, procédant avec sa fille comme lors d'une investigation. Pour l'anecdote, c'est à Cary Grant que Billy Wilder avait tout d'abord proposé le rôle de Flannagan. Alors âgé de 53 ans, le comédien anglais avait poliment refusé l'offre en déclarant se trouver trop âgé pour incarner l'amant d'Audrey Hepburn à l'écran... et pourtant, le couple sera bel et bien réuni à l'écran par Stanley Donen en 1963 pour Charade. C'est donc finalement à Gary Cooper, un peu plus âgé que Cary Grant, que revient le rôle.
Le film de Billy Wilder demeure néanmoins un peu étouffant. La première heure est essentiellement partagée entre les appartements du père et de l'amant et il faut attendre véritablement la deuxième heure pour que la mécanique wildienne se mette véritablement en place grâce à de savoureux dialogues et des comédiens au diapason.
Malgré l'habileté de Billy Wilder à jouer avec la censure, certaines modifications de dernière minute ont été apportées au scénario original. Ainsi, la voix-off de Maurice Chevalier « légitimant » la relation de sa fille avec le vieux séducteur a été rajoutée in extremis par le cinéaste afin d'apaiser les blâmes qui pesaient au-dessus de sa tête. Ce rajout n'a cependant pas empêché le film de choquer une grande partie du public comme lors de la sortie de Sabrina où Audrey Hepburn devenait la maîtresse d'Humphrey Bogart, de trente ans son aîné.
Des scènes furent ainsi coupées lors de l'exploitation du film et même le titre original Love in the afternoon, évoquant explicitement le couple faisant l'amour uniquement l'après-midi, fut également changé au profit du prénom de l'héroïne. Nobody's perfect...