As Tears Go By
Le 06/10/2007 à 09:30Par Caroline Leroy
Ouvertement référentiel et néanmoins très personnel, As Tears Go By est un film simple, direct, presque viscéral, qui repose avant tout sur une atmosphère et un trio d'acteurs très attachants que l'on retrouvera par la suite dans la riche filmographie de Wong Kar-Wai. Si le chemin parcouru depuis par celui-ci semble vertigineux, découvrir ou redécouvrir le film à l'heure actuelle est l'occasion d'un retour en arrière passionnant sur les débuts d'un cinéaste majeur.
Premier long métrage de Wong Kar-Wai, As Tears Go By est un film de commande qui s'inscrit dans la vague de polars made in Hong Kong post-John Woo, dans un style plus sec et réaliste toutefois. Ouvertement inspiré du Mean Streets de Martin Scorsese dont il reprend grosso modo la trame et les relations entre les trois personnages principaux, le film ne se limite pas pour autant à n'être qu'une simple curiosité dans la filmographie de Wong Kar-Wai puisque l'on y trouve déjà ébauchées les obsessions futures du réalisateur. Dans le cadre d'un film de triades que l'on sent très balisé dans sa narration, on ne sera donc pas si étonné de goûter quelques scènes étonnamment intimistes portant la marque de leur auteur, ainsi que de nombreux plans annonçant le chef d'œuvre que sera Nos Années Sauvages, réalisé deux ans plus tard.
As Tears Go By est certes loin d'être un film parfait. Contrairement aux autres œuvres de Wong Kar-Wai, il apparaît aujourd'hui très daté, particulièrement dans sa première partie : introduction expéditive et sans finesse, musique cheap qui paraît sortir tout droit d'une boîte de conserve, voix post-synchronisées... Le film ressemble a priori à la plupart des polars hongkongais produits à la chaîne à la fin des années 80. Pourtant, on sent que le réalisateur n'est pas tant intéressé par la peinture d'un milieu, celui des triades, devenu très in au cinéma depuis Le Syndicat du Crime de John Woo, que par les errances sentimentales de ses trois personnages vedettes. Dans As Tears Go By, le contexte n'a donc pas réellement d'importance et Wong s'en sert habilement pour en venir au fait, soit les relations Wah (Andy Lau) / Ngor (Maggie Cheung) et Wah / Fly (Jacky Cheung). Non pas que ces personnages soient plus complexes et profonds qu'ils n'en ont l'air, mais Wong Kar-Wai leur laisse le temps d'exister, au gré de quelques scènes sereines et chaleureuses qui font énormément pour la réussite du film. Les tourments de Wah qui se retrouve tiraillé entre son amour pour son jeune frère irresponsable et son idylle naissante avec Ngor, promesse d'une nouvelle vie, n'en apparaissent que plus crédibles.
Traversé par quelques scènes d'action aussi fulgurantes que brutales, As Tears Go By est l'occasion pour Wong Kar-Wai d'expérimenter un procédé rendu célèbre en 1993 seulement avec Chungking Express, à savoir l'"accéléré-ralenti", sorte de décomposition du temps où l'accent est mis sur les temps forts de l'action et qui confère à ces scènes et à l'ensemble du film par extension une énergie indéniable. S'il faudra attendre Nos Années Sauvages pour que Christopher Doyle s'associe au réalisateur et devienne son directeur de la photographie attitré, le travail d'Andrew Lau, futur réalisateur de The Storm Riders et de la trilogie des Infernal Affairs, mérite d'être remarqué tant il exprime déjà le souci de Wong d'accorder un soin maniaque à l'image de ses films par le jeu d'éclairages sophistiqués et de couleurs parfaitement en phase avec l'état d'esprit des protagonistes. Côté acteurs, Andy Lau et Jacky Cheung sont parfaits dans des rôles taillés sur mesure, mais Maggie Cheung trouve quant à elle avec ce film son premier vrai rôle, loin des personnages de potiches qui la poursuivaient depuis ses débuts sur grand écran - et cela même dans de grands films tels que Police Story (Jackie Chan). Wong Kar-Wai lui réserve les plus beaux passages de son premier film, marquant le début d'une collaboration fructueuse et fameuse dont la consécration reste à ce jour le superbe In the Mood for Love.