Black Swan
Le 09/02/2011 à 14:30Par Arnaud Mangin
Fable tragique et schizophrène d'une beauté graphique comme thématique à pleurer, Black Swan ne fait que confirmer l'importance de Darren Aronofsky. Disputant Vincent Cassel et Natalie Portman dans la quête de l'estime de soi à travers toutes formes de violences, il livre un spectacle absolu, onirique, dérangeant et d'une force rare. L'une des plus belles odes à la métamorphose...
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Critique Black Swan
Darren Aronosfsky est un réalisateur remarqué par sa brillante diversité. Cumulant les exercices graphiques, les audaces thématiques, démultipliant sa propre patte pour créer ses bases qui en font le cinéaste majeur que l'on connait. Des bases à la fois oniriques et percutantes, troublantes et touchantes, qu'il a solidement ancrées indépendamment par le passé pour désormais jongler avec histoire de livrer une expérience de cinéma inespérée. Les deux films majeurs du cinéaste, Requiem For a Dream et The Wrestler, semblent n'avoir pas grand-chose à voir l'un avec l'autre et pourtant Black Swan s'impose comme l'improbable compromis entre les deux. Sorte de pendant antagoniste à The Wrestler pour sa plongée intimiste dans les coulisses du spectacle, le sacrifice physique et les reflexes fétichistes/masochistes qui en découlent, il y troque son vieux bélier rabougri en manque de tendresse pour une jeune et jolie demoiselle ne cherchant qu'à expulser le diable de sa cage. Non content de bouleverser la fébrilité artistique contemporaine, il semble malmener son propre parcours en proposant presque un jeu de miroir déformant avec son film précédent, cachant à peine le statut de dyptique qui les unit de façon définitive. L'un cherche la rédemption et la sagesse, l'autre souhaite imposer son caractère et sa violence. Le premier veut renouer avec sa fille, le second couper les ponts avec sa mère. Mickey Rourke est une âme fragile en quête d'amour, Natalie Portman une fausse sage dont l'épanouissement sexuel atteint les dérives fantasmagoriques.
Même si la recette peut sembler facile d'entrée de jeu et un brin répétitive avec son long-métrage précédent, Aronofsky se sert avant tout de l'image publique de son comédien principal pour chahuter son audience. Il va d'ailleurs même plus loin que dans The Wrestler qui avait pour objectif de "réhabiliter" l'aura moquée de Mickey Rourke, en faisant de Natalie Portman une créature névrosée aux facettes infinies, sous leur jour le plus sombre. Multi-psychotique sous un visage d'ange, il n'hésite pas à la pousser dans ses derniers retranchement lors d'un oral sex lesbien un poil schyzo, très significatif de la folie égocentrique dont il est question. La comédienne vampirise tellement l'écran que le reste du casting (Vincent Cassel y est pourtant excellent) semble presque oublié. Le gentil petit canard convoite à ce point le côté obscur du cygne noir... Car, comme l'indique le titre, l'univers du film se focalise sur les rivalités dans le milieu du ballet artistique où le Lac des cygnes de Tchaïkovski sert de toile de fond au thème de l'avènement de soi, de la métamorphose psychique comme physique (on frôle le fantastique surréaliste de Dino Buzzati) et de l'agressivité comme arme impériale pour exister.
Et là, Aronofsky multiplie les prouesses ! Non content de se targuer d'une mise en scène absolument somptueuse, proche de son précédent (caméra intimiste, réaliste, collant au dos de son héroïne) ne donnant que plus de poids à la mise en abime de son personnage/actrice, il disperse son onirisme dans ses scènes de danse qui atteignent une incroyable apogée formelle comme émotionnelle dans la dernière partie du film. Une expérience de cinéma basculant dans un quasi expérience d'Opéra usant des atouts techniques des deux médias pour étaler de toute sa superbe la véritable identité de Black Swan : une fable cynique et tragique, à la lisière de l'irréel dont la beauté n'a d'égal que sa percutante puissance. L'enfantement inespéré de Fight Club et Les Chaussons rouges...
Article publié le 10 janvier 2011