Carnet de notes pour une Orestie africaine
Le 22/04/2009 à 08:01Par Sabrina Piazzi
A l'image des digressions du groupe de jazz caractérisant la colère et la révolte faisant écho au mouvement révolutionnaire africain apparaissant en plein milieu du film, Carnet de notes pour une Orestie africaine demeure un film inclassable, un OFNI (Objet Filmé Non Identifié) essentiel pour les cinéphiles les plus avisés. C'est surtout l'occasion pour Pier Paolo Pasolini de s'appesantir sur les visages qui l'ont toujours fasciné autant dans ses nombreux voyages que ceux imprimés sur pellicule.
En plus de ses activités de poète, d'écrivain (essais, romans, théâtre) et de cinéaste, Pier Paolo Pasolini s'est toujours placé en véritable sociologue et anthropologue. Avec Carnet de notes pour une Orestie africaine, le cinéaste réalise un véritable manifeste politique où il dresse un témoignage sensationnel du destin de l'Afrique et du Tiers Monde, en Tanzanie et en Ouganda plus précisément. Pier Paolo Pasolini débarque en Afrique avec sa caméra pour préparer son prochain film, une transposition de L'Orestie, la tragédie d'Eschyle, dans l'Afrique d'aujourd'hui. De retour en Italie, il montre ses premières images à un groupe d'étudiants de l'université de Rome et leur demande leur avis sur ce parallèle effectué entre l'Afrique noire et la Grèce Antique.
Il est certain que les essais filmés et documentés de Pasolini constituent une pierre angulaire de son œuvre et de sa personnalité. Le cinéaste avait déjà procédé de la sorte avec Repérages en Palestine pour L'Évangile selon saint Matthieu (1965) et Notes pour un film sur l'Inde (1968). Ces carnets de notes sur l'Afrique sont également des recueils de notes de voyages pris par le cinéaste qui plonge directement dans la réalité de ce pays afin de préparer un long métrage... qui ne verra jamais le jour. La voix-off du cinéaste commente les images qu'il filme tout en posant sa caméra sur les habitants qui feraient alors partie du casting.
Progressivement, Carnet de notes pour une Orestie africaine devient un film à part entière. Le projet de Pasolini devient alors de plus en plus incertain lorsqu'il se retrouve face à des étudiants africains à Rome, qui remettent en question l'intérêt de la transposition en Afrique de la tragédie d'Eschyle voulue par le cinéaste.
Documentaire, témoignage, film autonome et néanmoins oeuvre à jamais suspendue, Carnet de notes pour une Orestie africaine raconte à la fois un film en train de se faire et un film qui ne s'est jamais fait. Rejeté par la télévision pour son anticonformisme et son caractère inclassable, le film de Pier Paolo Pasolini sortira après sa mort (en novembre 1975). Certains des spectateurs ont alors peut-être pris conscience de la constante recherche cérébrale et formelle d'un artiste touche-à-tout (il signe la réalisation, le scénario, la photo et commente son propre film).
Pour conclure citons Pasolini sur son Orestie Africaine : « Je revendique le droit à un langage personnel, c'est le public qui a le devoir de me comprendre. Je refuse de le considérer comme un enfant idiot, arriéré et ignorant. Je le considère comme l'égal de moi-même et ne me sens ni un vulgarisateur ni un éducateur. On m'a dit que j'ai trois idoles : le Christ, Marx et Freud. Ce ne sont que des formules. En fait, ma seule idole est la réalité. »