18 jours
Le 07/09/2011 à 09:00Par Assia Hamdi
Critique de 18 jours
Six mois après les évènements de la place Tahrir, 18 jours (Tamantashar Yom en VO) est le premier film qui relate les 18 jours qui ont mené l'Egypte à la démission d'Hosni Moubarak. Ce film collectif est un regroupement de 10 courts-métrages de fiction, réalisés par 10 réalisateurs égyptiens, de manière très spontanée. Chaque chapitre évoque les manifestations et la répression vues à travers les yeux d'égyptiens pris malgré eux dans la tourmente d'évènements qui vont changer leur vie. Des femmes, des hommes, jeunes, âgés, pro ou anti-Moubarak. On découvre les histoires de ces Cairotes, acteurs et parfois spectateurs d'une page de l'histoire de leur pays, la chute d'un régime qu'aucun d'eux, ni aucun Egyptien, n'avait prévu. Le film a été réalisé en deux jours, avec de petites caméras, et peu de moyens financiers. "Pas de budget, c'est notre budget" était d’ailleurs la devise des réalisateurs durant le tournage. Les recettes du film seront reversées à l’organisation de convois pour l’éducation politique et civique dans les villages d’Egypte.
Chacun de ces dix chapitres a son réalisateur, ses personnages et sa propre intrigue. "Rétention" est le premier court-métrage. On est plongé soudainement dans le quotidien d’un groupe d’hommes, qui cohabitent dans une chambre d’asile psychiatrique. Par le biais de la télévision, ils découvrent avec stupéfaction ce que leur pays est en train de vivre. Là où le réalisateur de Rétention, Sherif Arafa a été judicieux, c’est qu’il a transposé la révolution de la place Tahrir à l'intérieur de cette chambre, créant un microcosme qui reflète à la fois les évènements de l’extérieur et la société égyptienne. Spectateurs au départ, ils deviennent donc acteurs. Les personnages adoptent un rôle symbolique, et incarnent la jeunesse, les médias, l’enseignement, la police... Mais plus l’intrigue se déroule, plus les langues se délient. Ce chapitre initial, probablement le plus représentatif de la situation égyptienne, nous permet d’entrer d’emblée dans le vif du sujet. Parmi les autres histoires qui nous sont contées, on découvre notamment une jeune vendeuse à la sauvette durant une manifestation ("Création de Dieu"), un grand-père et son petit-fils tentant désespérément de rentrer chez eux ("Couvre-feu"), mais aussi un internaute qui assiste à la révolution uniquement par le biais de son ordinateur ("Fenêtre") et un coiffeur qui devient héros malgré lui ("Ashraf Seberto"). Les réalisateurs oscillent habillement entre morceaux de vie, images de la révolution, et extraits clés des discours télévisés des acteurs politiques. Le long-métrage respecte la chronologie des évènements puisque chaque histoire se déroule entre le 25 janvier et le 11 février 2011.
En salles le 7 septembre prochain, le long-métrage fût présenté cette année à Cannes, alors que l’Egypte était l’invitée d’Honneur du festival. Des polémiques avaient alors pointé le bout de leur nez... Deux des réalisateurs, Marwan Hamed ("1919") et Sherif Arafa ("Rétention") avaient en effet collaboré à plusieurs reprises avec le régime Moubarak, réalisant notamment des clips de campagne pour la réélection du chef d’Etat en 2005. On aurait pu craindre de toute façon que ce long-métrage soit orienté. On ne décèle pourtant aucune prise de position. 1919 de Marwan Hamed raconte l’arrestation d’un des principaux leaders révolutionnaires la veille du grand jour mais les opinions pro-Moubarak du flic qui le torture sont également mises en avant. La diversité des personnages de 18 jours nous permet de s’attacher aux partisans de la Révolution mais aussi à ses opposants, comme ce couturier sorti du coma au moment des évènements et qui, apeuré, décide de s’enfermer ("Les gâteaux de la Révolution"). On s’émeut profondément devant "Tahrir 2.2" et on rit face aux Egyptiens qui retournent leur veste pour mieux vendre leurs drapeaux dans Quand le déluge survient. En réalité, on découvre un film au thème politique mais profondément apolitique. On a la sensation qu'en filmant l'environnement vital des personnages, les réalisateurs ont préféré insister sur le rôle de la population dans cette révolution, et de montrer sa prépondérance sur le rôle des politiciens. 18 jours est donc un film social, qui parle pas de la Révolution égyptienne, de la place des femmes, de la misère. Il reste avant tout une capture de quelques citoyens parmi tant d’autres, une photographie de l’Egypte, mais qui nous réconcilie avec des valeurs telles que la nostalgie, l’amour de la patrie, la famille, l’amitié. Bref, un film profondément humain.
Article publié le 22 août 2011.