Dernière sortie pour Brooklyn
Le 06/02/2008 à 11:37Par Yann Rutledge
Même s'il a été réalisé vingt ans avant, Dernière sortie pour Brooklyn sera irrémédiablement comparé au Requiem for a Dream de Darren Aronofsky. Et pourtant, le film de Uli Edel est à mille lieues de celui du réalisateur de Pi et de The Fountain. D'un côté, une oeuvre post-moderne où le montage est roi et qui use de tous les artifices pour que la forme soit en accord avec le fond. De l'autre, une adaptation indéniablement réussie mais qui, par un excès de respect pour l'œuvre littéraire originale, peine à trouver son propre souffle.
Dernière sortie pour Brooklyn, c'est tout d'abord un recueil de nouvelles écrit par Hulbert Selby Jr, premier essai de l'écrivain qui fit l'effet d'une bombe lors de sa publication en 1964. Le cinéaste Uli Edel et le producteur Bernd Eichinger se lancent en 1988 dans la lourde tâche d'adapter le quotidien des quartiers mal famés de Brooklyn des années 50. Les adaptations sulfureuses, ils connaissent, eux qui ont porté à l'écran sept ans auparavant l'autobiographie Moi, Christiane F. ... 13 ans, droguée et prostituée. Le tandem s'entoure pour l'occasion de talentueux collaborateurs tels que Mark Knopfler, guitariste virtuose des Dire Straits, Stefan Czapsky, futur directeur de la photo pour Tim Burton sur Edward aux mains d'argent, Batman Returns et Ed Wood, et de Peter Przygodda, monteur sur plusieurs Wim Wenders (dont Paris, Texas).
Dernière sortie pour Brooklyn suit ainsi les destins croisés de Harry Black (impeccable Stephen Lang), syndicaliste marié qui découvre son homosexualité, Tralala (Jennifer Jason Leigh, bluffante comme à son habitude), une prostituée se jouant des soldats en escale avant de partir en guerre en Corée, Big Joe (Burt Young), cherchant à faire marier sa fille qui vient de tomber enceinte, sans oublier Georgette (Alexis Arquette), le travesti.
Descente aux enfers comme on en a rarement vu au cinéma, Last Exit to Brooklyn fait partie de ces films qui arrivent à rendre sympathiques une prostituée en pleine déchéance ou un homosexuel refoulé qui tente d'abuser d'un adolescent. Prenant pour base un contexte profondément réaliste (la Guerre de Corée, la grève des ouvriers d'une usine...), Uli Edel garde tout de même avec Dernière sortie pour Brooklyn - et c'est là que réside probablement son défaut, une certaine distance vis-à-vis des événements mis en scène. Comme s'il ne voulait pas trop appuyer là où ont mal ses personnages, par peur peut-être aussi que le spectateur ne croie pas à cette reconstitution à partir des écrits de Selby du Brooklyn des années 50. Certes, le cinéaste s'autorise quelques plans pleins d'emphase vers la fin du métrage (comment oublier ce magnifique mouvement de grue lors de la crucifixion de Harry Black), mais dans l'ensemble il s'avère trop froid et réservé face à cette irrémédiable chute. Bien que cela ne fasse pas de Dernière sortie pour Brooklyn un film honteux, on regrettera le Uli Edel implacable de Moi, Christiane F. ... 13 ans, droguée et prostituée.