Deux jours à tuer
Le 14/02/2008 à 08:24Par Kevin Prin
Albert Dupontel chez Jean Becker en quadra qui sabote sa vie ? Une rencontre peu probable mais qui donne au sujet passionnant. Tourné avec un peu plus d'entrain et de rigueur, Deux jours à tuer aurait été sans nul doute un chef d'œuvre. C'est dire si la force du script et la foi des acteurs qui s'y donnent complètement, suffisent à donner naissance à un film qui, malgré ses quelques défauts, arrive à toucher. Si remake américain il y a un jour et si le scénario est correctement adapté, nous aurons là un incontournable. En attendant, le film de Jean Becker est, à la surprise générale, déjà fort recommandable !
Pour ceux qui ne connaîtraient vaguement le nom de Jean Becker que d'oreille, il est bon de rappeler qu'on doit à ce réalisateur quelques films français au succès populaire incontestable (Effroyables Jardins, Les Enfants du Marais). Un cinéma certes moins emballant sur le papier qu'un film de genre ou même un drame roumain, mais pourtant, avec Deux jours à tuer, film que nous pistions depuis presque un an, Jean Becker sort de son train-train pour une histoire assez surprenante dans sa filmographie. L'affiche suffit à attirer l'attention avec ses acteurs plus familiers d'un cinéma "plus jeune" comme on le surnommerait caricaturalement (Albert Dupontel, Marie-José Croze), bon indicateur qu'il se trame quelque chose ici.
Il y a quelque chose d'exaltant que de voir un quadra, ayant réussi sa vie, prendre son pied à la saborder de toute part. Aucune raison n'est évoquée à l'écran, le film démarre au quart de tour avec un véritable "feu d'artifice Albert Dupontel", dont le personnage va exploser son quotidien et surtout les personnages qui l'animent. De là naît une véritable satire sociale où le regard d'un homme voulant sortir de son encroûtement bourgeois lance un regard neuf sur la vie en général, le tout sans lourdeurs. "A quoi bon aller dans un château si c'est pour ne visiter que les toilettes !", une ligne de dialogue parmi tant d'autres, illustrant la corruption sociale, mentale et l'aliénation générale de bon ton qui nous feraient passer à côté de la vie selon sa nouvelle philosophie.
Après une petite demi-heure de mise en place (complètement inégale, on en reparle après), le ton est définitivement donné par une scène prenant la forme d'un dîner, où Antoine Méliot (Dupontel) va faire imploser ses amis un par un. Un véritable regard à double tranchant sur le concept même d'amitié, étalant l'argumentation du personnage principal mais ne lui donnant jamais raison en y confrontant des réactions chez ses interlocuteurs loin de tout manichéisme.
Deux jours à tuer se veut très ambigu dans son propos, peignant le portrait d'un homme qui en cherchant sa liberté est perçu comme égoïste et détestable mais néanmoins très touchant. Pourquoi ? Le scénario ne se dévoile complètement que lors d'un petit twist final, que l'on devine malheureusement très vite, mais dont la force reste sauve grâce à l'honnêteté générale avec laquelle est prise cette histoire. Pas de terrorisme lacrymale ici, Jean Becker est un cinéaste aimant la nature et la simplicité, ce qui se ressent encore plus dans la dernière demi heure certes (qui se déroule à la campagne), mais aussi dans une certaine naïveté positive apportant qualités et défauts.
Car oui, Deux jours à tuer possède ses défauts. Ceux-ci résident dans sa forme, le film souffrant d'une première demi-heure parfois bien inquiétante en tant que spectateur, caractérisée par une direction d'acteur beaucoup trop théâtrale (une scène d'engueulade entre les deux acteurs principaux ne fonctionne tout simplement pas) ainsi que des manquements techniques surprenants (dans le premier plan, on voit les gens dans la rue regarder la caméra !). Un film inégal qui ne trouve son équilibre qu'au fur et à mesure de l'histoire, jusqu'à une dernière demi-heure soudainement mieux cadrée, mieux soignée, atteignant le minimum syndical qu'on aurait espéré sur l'intégralité du métrage.
Mais le plus gros défaut à pointer du doigt ici est un manque de finesse dans la création de la double lecture au film. Les plans destinés à cette seconde lecture sont affublés d'une lourdeur incompréhensible, comme si Jean Becker, léger et pudique sur tout le reste de la durée, surlignait au stabylo des bouts de dialogues, nuisant finalement à la première vision où l'on comprend tout de suite quelle sera la fin du film. C'est d'autant plus regrettable que si nous n'avions pas vu venir ce twist dès le départ, Deux jours à tuer aurait atteint des sommets et mérité qu'on le hisse au rang de meilleur film français vu depuis des années.
Quoiqu'il en soit, Deux Jours a tuer rentre dans la catégorie de ces films au sujet fort, qui touchera d'une manière ou d'une autre. Et en ça, c'est déjà une victoire.