ETRANGE FESTIVAL : Goemon
Le 09/09/2009 à 10:29Par Caroline Leroy
Cinq ans après le remarqué mais controversé Casshern, l'imprévisible Kazuaki Kiriya revient avec un deuxième long métrage plus démesuré encore, Goemon, librement inspiré de la vie du légendaire Ishikawa Goemon. Une chose est sûre, le temps de la réflexion a profité à ce réalisateur ambitieux qui a su tirer parti de ses erreurs et transformer l'essai un peu brouillon que représentait son premier film. Goemon est un spectacle de tous les instants, une formidable expérience visuelle que ne ternissent pas les quelques maladresses d'un scénario aux ressors un peu naïfs. Devant ces scènes d'action tourbillonnantes conçues avec un sens de la composition graphique à couper le souffle, on se prend presque à rêver que le film ne soit pas entièrement muet. Les velléités expérimentales inabouties exprimées dans Casshern prennent ici tout leur sens, tandis que les défauts de rythme qui le caractérisaient s'effacent pour laisser place, enfin, à ce lyrisme auquel semble tant aspirer Kiriya. Le cinéaste démontre par la même occasion à travers cette œuvre hors normes qu'il sait filmer et diriger ses acteurs, aidé par un casting de stars où brille notamment l'excellent Takao Osawa, très touchant. Goemon n'est peut-être pas un film parfait, mais il est assurément exaltant.
Découvrez ci-dessous la critique de Goemon
Après avoir fait ses armes sur un certain nombre de clips vidéo, notamment ceux de son ex-femme, la chanteuse pop Hikaru Utada, Kazuaki Kiriya saute le pas : il écrit et réalise en 2004 son premier long métrage, Casshern, dont la réputation franchit aussitôt les frontières du Japon. Librement adapté de Shinzô Ningen Kyashân, une série animée datée des années 70, ce film tourné entièrement sur fond vert et truffé d'incrustations numériques propose une expérience visuelle inédite qui enthousiasme les uns par son audace et laisse perplexes les autres de par son caractère fouillis et inabouti. Mais plus que son esthétique osée, son scénario alambiqué et ses importants défauts de rythme contrarient un public pourtant acquis à la cause des films expérimentaux novateurs. Toutefois, que l'on aime ou que l'on déteste Casshern, il est difficile de rester indifférent à la personnalité envahissante de son auteur. Annoncé comme un objet cinématographique plus démesuré encore, Goemon, son deuxième film, était par conséquent particulièrement attendu par les admirateurs de Kiriya... comme par ses détracteurs.
Goemon tire son titre du nom d'Ishikawa Goemon, bandit légendaire devenu héros folklorique, que beaucoup considèrent comme le « Robin des Bois japonais » parce qu'il volait aux riches pour donner aux pauvres. Pour Kazuaki Kiriya, qui signe là encore le scénario de son film en plus d'en assurer la photographie et la production (conjointement avec l'éternel Takashige Ichise), la légende n'est pas qu'un prétexte : le long métrage tout entier est porteur d'un message idéaliste qui transpire la sincérité jusqu'à la dernière seconde. Ecrit à la manière d'un conte moderne, Goemon s'appuie sur un scénario de facture classique qui ne cherche pas à éviter les clichés et dont certains motifs sembleront familiers aux amateurs d'animation japonaise, tels que les relations de maître à disciple (le maître lançant l'incontournable « tu dois devenir fort ! » au petit garçon chez lequel il discerne un potentiel exceptionnel), la rivalité entre condisciples (les frères ennemis Goemon et Saizo), ou encore la romance naïve qui unit Goemon à la princesse Chacha. Si certains aspects du scénario auraient gagné à être plus subtils, le film ne pâtit pas vraiment de ce parti pris car il laisse véritablement la part belle aux personnages, à l'inverse de Casshern où ceux-ci donnaient l'impression d'être totalement désincarnés.
Goemon, interprété avec beaucoup d'allant par Yôsuke Eguchi (Samurai Commando Mission 1549), occupe pleinement l'espace et possède une personnalité attachante qui réserve quelques bonnes surprises. Et ce, même si Takao Osawa (Aragami), qui est à la fois charismatique et excellent acteur, aurait tendance à lui voler la vedette dès qu'il apparaît à l'écran. Osawa confère au personnage de Saizo une dimension tragique grâce à un jeu tout en finesse qui lui permet d'en transcender la caractérisation relativement simple ; il livre de loin la prestation la plus émouvante du film. Cela étant, Goemon regorge de bons acteurs dont les talents sont parfaitement exploités tels que Eiji Okuda en Hideyoshi Toyotomi ou Susumu Terajima en Hattori Hanzo, et offre en outre plusieurs caméos sympathiques (Erika Toda et Eriko Sato en courtisanes, Ryo dans le rôle de la mère de Goemon). A ce titre, on notera que non seulement Kazuaki Kiriya dirige impeccablement ses comédiens, mais qu'il prend soin par la même occasion de les filmer de manière très inspirée, dans les scènes d'action comme dans les scènes de jeu. Cela se vérifie pour Eguchi et Osawa, mais aussi pour le jeune acteur montant Jun Kaname, qui nous campe un Mitsunari Ishida aussi retors qu'impénétrable, et dont les traits réguliers sont constamment mis en valeur par les choix de cadrage et la photographie très contrastée de Kiriya. La mièvre Ryoko Hirosue (Departures) est peut-être la seule à ne pas ressortir grandie de l'aventure, engoncée dans les costumes rigides d'une princesse faible et passive dont la principale fonction consiste à apporter une « touche féminine » à cet univers très masculin. Qu'importe, la force des autres personnages et la puissance visuelle du style très affirmé de Kiriya font des miracles tout au long de ces deux heures trépidantes.
Le jusqu'au-boutisme s'impose sans doute comme le trait le plus caractéristique de la patte Kiriya. Le cinéaste ne semble reculer devant rien pour voir ses fantaisies les plus délirantes se réaliser à l'écran. C'est en tout cas l'impression que donnent les scènes d'action ultra stylisées et incroyablement dynamiques qui ponctuent Goemon, à commencer par la scène d'ouverture, à la fois très impressionnante et extrêmement divertissante, où Yôsuke Eguchi fait son show sur le toit d'un bâtiment devant un public enthousiaste. Il en va de même pour l'affrontement qui l'oppose à Takao Osawa à l'issue d'une course poursuite à travers champs, combat au cours duquel la caméra virevolte avec les deux acteurs pour les arrêter dans des poses pleines de classe saisies sous des angles étonnants. On s'émerveille aussi devant la scène finale grandiose qui voit Yôsuke Eguchi traverser l'armée ennemie en coupant au passage tout ce qui dépasse. Le réalisateur possède incontestablement un sens inné de la composition des plans, qu'ils soient statiques ou en mouvement. Les effets spéciaux, réussis dans l'ensemble, donnent corps à ses audaces visuelles insensées où les lois de la pesanteur n'ont plus cours sans que cela ne perturbe à aucun moment la logique esthétique de l'ensemble. La photographie, dont les dominantes varient d'une séquence à l'autre, sublime les comédiens mais aussi les décors qui ont bénéficié d'un soin manifeste jusque dans le moindre détail. Alors que Casshern faisait étalage d'un mauvais goût prononcé sur certains plans, les couleurs ajoutées en post-production n'allant pas toujours ensemble, Goemon est peaufiné dans le sens d'une harmonie de tous les instants tout en demeurant unique en son genre.
Dans le cinéma japonais contemporain, seul Ryuhei Kitamura s'était permis de pousser aussi loin la fantaisie dans le cinéma d'action (souvenons-nous de la scène finale démente d'Azumi et ses mouvements de caméra non moins allumés). Les films japonais en prises de vue réelles font rarement dans la démesure, contrairement aux œuvres animées qui poussent très loin les expérimentations de toutes sortes. A sa façon, Kazuaki Kiriya est parvenu à s'approcher au plus près d'une fusion idéale entre cinéma live et animation, dans l'esprit comme dans l'esthétique. Au vu de ce spectacle éblouissant, on ne peut qu'attendre en trépignant d'impatience de découvrir son troisième film, qui est annoncé comme d'ores et déjà en développement...
Goemon sortira directement en DVD et Blu-Ray courant novembre 2009.