Fleur d'oseille
Le 17/03/2008 à 12:50Par Sabrina Piazzi
Souvent oublié dans la carrière de Georges Lautner, Fleur d'oseille s'impose nonchalamment comme un des films les plus importants du cinéma français des années '60, ouvrant la porte vers une nouvelle vague de comédies débridées, aussi soigné plastiquement que sur le fond. Oeuvre de l'alliance de génies créatifs, 40 ans après le seizième film de Georges Lautner reste un chef d'oeuvre.
Après six collaborations marquées par autant de succès tels que Les Barbouzes, Galia et Ne nous fâchons pas, Georges Lautner offre à Mireille Darc un de ses rôles les plus forts dans Fleur d'oseille. En adaptant une série noire écrite par John Amila, Georges Lautner s'entoure de scénaristes de talent comme Michel Audiard (qu'il retrouve pour la septième fois) et Marcel Jullian, rendu célèbre pour son travail sur les chefs d'œuvre d'Henri Verneuil (Cent mille dollars au soleil), Gérard Oury (Le Corniaud, La Grande vadrouille) et sur Ne nous fâchons pas de Georges Lautner.
Sous contrat avec la maison Gaumont, Georges Lautner décide d'écrire le rôle principal de son nouveau film pour Mireille Darc, un personnage à l'opposé de ce que la comédienne avait jusqu'alors interprété à l'écran. L'actrice trouve d'ailleurs ici un des rôles les plus marquants de sa carrière. Un personnage fort de femme indépendante dans un film d'action, peu commun dans le cinéma français d'alors. Michel Audiard et Georges Lautner soignent chaque dialogue élégamment servi sur un plateau d'argent, écrit pour Mireille Darc, pour son phrasé, son ironie et sa délicatesse.
Le seizième film de Georges Lautner n'appartient à aucun genre répertorié. Subtil et merveilleux mélange d'histoire d'amour platonique entre deux femmes, de film policier, de comédie et avant toute chose de western rural, Fleur d'oseille peut se targuer de n'appartenir qu'à un genre unique, celui de son cinéaste. Depuis, nombre de réalisateurs se sont inspirés de l'univers de Georges Lautner comme Eric Rochant pour Total western et, même si cela pourra surprendre, Quentin Tarantino qui voue un culte à La Route de Salina réalisé par Georges Lautner en 1970 (et qui avait invité notre cinéaste national lorsqu'il était Président du jury à Cannes pour lui rendre un hommage bien mérité).
Fleur d'oseille s'impose petit à petit comme un véritable western, jouant subtilement avec les codes mis en place par Howard Hawks avec Rio Bravo ou John Wayne avec The Alamo, auxquels les gangsters du film de Lautner font explicitement référence quand un des leurs entame un thème musical à l'harmonica avant la bataille finale.
Le cinéaste alterne habilement le point de vue des deux parties adverses avec un sens du montage et de la narration tout en composant des plans d'une beauté absolue. Tout comme dans Les Tontons flingueurs et de Ne nous fâchons pas, Lautner enchaîne les scènes cultes avec maestria. La première séquence se déroulant à la gare de Montargis est un monument du genre et l'affrontement final s'impose comme une des scènes clés du cinéma de son auteur. Un véritable festival de gueules-cassées où la poésie est omniprésente. Il n'y a vraiment que chez Georges Lautner où les corps des truands roulent dans les pâquerettes en silence, sous le chant des oiseaux...
Les personnages, taillés sur mesure pour chaque comédien, renvoient aux archétypes du genre comme le dur à cuire (André Pousse, magnifique), l'allié charmeur (Henri Garcin), le bras-droit (Amidou) et bien sûr la femme prenant enfin conscience de ses responsabilités et n'hésitant pas à prendre les armes quand son bébé est en danger (Mireille Darc). Le génie des scénaristes étant de tordre le cou aux clichés jusqu'au retournement final où le personnage principal incarné par Mireille Darc prend les choses en main avec la pétoire à la main. Un film 100% féministe comme l'atteste une des répliques de Michel Audiard : « Les jules sont tous convaincus de leur supériorité. Ils nous voient toutes au garde à vous. Le pire demi-sel, le plus tocard des traîne-lattes se prend pour Scarface. Rouler des mécaniques, c'est la maladie des hommes. »
Tournée sous le soleil du Midi, la seconde partie de Fleur d'oseille se passe intégralement sur le terrain de la propriété de Catherine baptisée Fleur d'épine. Pour l'anecdote c'est le titre voulu par Georges Lautner, finalement refusé par Gaumont devant un jeu de mot jugé trop cru (!). Le titre Fleur d'oseille sera finalement imposé au cinéaste pour la sortie du film en septembre 1967. Avec habileté, le réalisateur exploite à merveille son unité de lieu, de temps et d'action et déroule son histoire en même temps qu'il développe ses personnages jusqu'à la dernière image de ce western rural.
Quatre ans plus tard, Georges Lautner signera une relecture de Fleur d'oseille avec Laisse aller, c'est une valse, racontant quasiment la même histoire avec une approche différente, basée sur la bande-dessinée et l'improvisation.