Frost / Nixon, l'heure de vérité
Le 27/03/2009 à 21:54Par Yann Rutledge
Notre avis
Quelle mouche a bien pu piquer Ron Howard pour qu'il réalise Frost/Nixon ? Cinéaste oscarisé unanimement salué par ses pairs pour des films académiques et paresseux (Da Vinci Code, Un Homme d'exception, De l'ombre à la lumière), Ron Howard livre en effet quelques mois avant Anges et Démons un modeste film à la résonance politique contemporaine, plutôt surprenant de la part d'un cinéaste qui jusqu'ici mettait un point d'honneur à ne froisser personne. Que s'est-il donc passé pour qu'il s'éloigne des sentiers battus qu'il affectionnait tant ? Un coup d'oeil rapide au générique et la réponse se fait évidence : Peter Morgan. Le réalisateur de Apollo 13 s'est en effet enfin détaché du ganache conservateur Akiva Goldsman (Je suis une légende, Da Vinci Code, Un Homme d'exception) afin d'adapter pour le grand écran et avec son aide la pièce de théâtre à succès de Morgan.
Ce serait un doux euphémisme que d'affirmer que Howard n'a jamais été un cinéaste portée par une véritable vision de son art, tout juste est-il un yes man efficace, sans grande inspiration, mais pour sa défense capable de porter jusqu'au bout même les projets les plus lourds, ce qui n'est déjà pas une mince affaire. On le sait depuis quelques temps, pour l'ex-Richie Cunningham, l'histoire prime avant toute chose, d'où son habituel effacement derrière ses différents scénaristes (au risque de se tailler une mauvaise réputation auprès des cinéphiles). Effacé au point que chacun de ses films s'est monté sur son association avec un scénariste (Goldsman en tête) ou un comédien (Russell Crowe, Tom Hanks, Jim Carrey), plutôt que mus par un besoin cinématographique purement personnel.
Frost/Nixon ne déroge pas à cette règle, bien au contraire. Howard fait donc appel au dramaturge, mais reprend par la même les deux comédiens de la pièce originelle, Frank Langella et Michael Sheen (que nous avions découvert en Tony Blair dans The Queen), incarnant respectivement le président Nixon et David Frost. Entouré ainsi d'une équipe qui connaît mieux que quiconque les personnages et leurs enjeux, Ron Howard se retrouve de fait relégué en simple technicien mettant en image ce qu'on lui propose. Résumé grossièrement, il est en charge de la logistique (choix des lieux de tournages, des angles et des cadres).
Et ce n'est en soit pas une mauvaise chose, l'intérêt du film tenant principalement dans son script, ce tableau de deux hommes déchus (le premier est viscéralement haït par l'Amérique, l'autre un has-been exilé en Australie), qui tentent par ce face-à-face télévisuel de rebondir sur le devant de la scène politique et médiatique. Tout le récit se joue alors sur le relation ambiguë qui se noue entre eux, entre complicité tacite de deux hommes qui jugent ne pas être estimés à leurs justes valeurs et antipathie idéologique (l'un est conservateur, l'autre de gauche). Tel une partie d'échec, les deux adversaires ne cessent de se jauger devant et hors des caméras, cherchant constamment les mots qui désarçonneront leur opposant pour prendre (et conserver !) le contrôle du débat. A ce jeu, Nixon est bien évidemment beaucoup plus à l'aise que l'animateur. Fin calculateur et orateur hors pair, l'ex-président maîtrise la science de la langue de bois et du noyage de poisson lorsqu'une question acide lui est posé, et, conscient du pouvoir destructeur de la télévision (il aurait perdu face à Kennedy à cause d'elle), gère comme personne son image, au point même de garder à ses côté un mouchoir afin d'éponger toute trace de salive ou de transpiration.
C'est précisément dans ce rapport de force que Frost/Nixon frappe juste. Alors que moralement et idéologiquement nous sommes forcément du côté de David Frost, Nixon parvient pourtant par la force des mots à convaincre du bien fondé de ses actions, même les plus discutables (le Vietnam). Il rappelle en cela le personnage charismatique mais détestable de Tom Cruise dans Loups et Agneaux, qui ferait passer des vessies pour des lanternes. A l'instar du film de Robert Redford, réaliser Frost/Nixon en 2008 n'est bien évidemment pas innocent. Alors que le second mandat de George W. Bush prend fin, le film vient à point nommé pour attirer l'attention du public sur les fautes, délits et mensonges parsemant les huit années de gouvernance du président et son administration qui exigeraient des explications publiques. On doute cependant, si cela arrivait, qu'il soit aussi habile à l'exercice que son prédécesseur.