Gainsbourg (vie héroïque)
Le 20/01/2010 à 20:30Par Kevin Prin
Joann Sfar est un artiste doué. Ses intentions sur Gainsbourg sont bonnes, même excellentes. Néanmoins se retrouver pour un premier film à la tête d'une si grosse entreprise au budget estimé à 20 millions d'euros, n'était pas une bonne idée, le dérapage artistique étant d'une ampleur douloureuse. On préférera attendre (im)patiemment son adaptation du Chat du Rabbin en dessin animé, sur laquelle il aura bien plus pris son temps. Et on guettera toujours avec curiosité la suite de sa filmographie, toujours persuadés qu'au regard de ce qu'il est en tant que personne et en tant qu'artiste, il a quelque d'important à apporter au cinéma français. Hang on Joann !
Découvrez ci-dessous la critique du film Gainsbourg (vie héroique)
La vie de Gainsbourg avait tout pour être adaptée au cinéma et l'idée de prendre Joann Sfar comme réalisateur annonçait un projet pris par le meilleur bout imaginable. Auteur et dessinateur prolifique en bande-dessinée, passionnant, peu frileux lorsqu'il s'agit d'expérimenter, d'oser certaines expérimentations visuelles et ce sans jamais nuire à la qualité de son récit, Sfar avait a priori la sensibilité et la poésie parfaite pour révéler et illustrer à l'écran la face cachée de Gainsbourg : sa frustration de n'avoir pas connu une carrière de peintre. Un élément très peu connu de l'homme et qui pourtant explique énormément de sa personnalité. De Gainsbourg, on a tendance à ne retenir qu'une carrière de génie musical et de parolier incomparable, ainsi qu'une personnalité schizophrène s'illustrant par ses périodes "Gainsbourg" et "Gainsbarre". Les chansons de Gainsbourg sont toujours des classiques, analysées encore aujourd'hui par les fans.
En présentant son film comme un "conte", Joann Sfar lançait cette fois-ci officiellement la promesse d'un récit prenant des libertés par rapport au genre potentiellement trop limitatif de la biographie si l'on veut explorer les démons d'un personnage et les représenter à l'écran. Ce qu'il fait ici même, sous la forme de deux marionnettes, l'une représentant la culpabilité d'être juif qu'éprouve Gainsbourg enfant face au régime nazi qu'il ne comprend pas, et l'autre représentant Gainsbarre alors qu'il n'est encore que Gainsbourg, interprétée dans ce dernier cas par l'excellent Doug Jones (Hellboy 1 & 2). L'autre élément justifiant l'adjectif "conte" s'incarne dans un choix de certains passages de la vie de Gainsbourg, pas forcément les plus importants, sans réel lien narratif si ce n'est de dresser un portrait de l'homme. Autant d'ambitions font plaisir à voir dans le cinéma français. Le résultat marche-t-il ? Malheureusement non.
Car au final, le terme "conte" ressemble plus à une tentative désespérée de s'accrocher aux branches pour justifier les écarts métaphoriques du film alors qu'il remplit strictement le cahier des charges d'une biographie filmée et surtout de ses défauts. La première préoccupation évidente du film fut d'abord de trouver des acteurs-sosies pour chacun des rôles, la qualité de leurs performances passant au second plan. Tout commence donc par un enfant interprétant Gainsbourg jeune, au physique ressemblant exactement à ce qu'il aurait pu être à cet âge là. L'agréable surprise se transforme vite en cauchemar : il est rare de voir des enfants mal jouer au cinéma et celui-ci remplit cet exploit en ne dégageant que des émotions fausses, récitant son texte comme il le peut devant la caméra. Ce constat est valable pour tout le casting, entraînant parfois des moments d'embarras où on ne rêve que de se cacher sous notre siège, à commencer par Sara Forestier dans le rôle de France Gall, mais aussi Yolande Moreau dans le rôle de Fréhel, Anna Mouglalis en Juliette Gréco (pourtant si douée et magnétique dans Coco Chanel & Igor Stravinsky), Philippe Katerine dans le rôle de Boris Vian, ... Autant d'acteurs que l'on aime et qui jouent des caricatures de leurs personnages, désagréables à observer. Le constat va jusqu'à Eric Elmosnino dans le rôle principal, certes bluffant dans la période Gainsbarre, mais jouant à outrance de mimiques et de tics dans la période Gainsbourg. On nage en plein guignol. Du casting on relèvera tout de même deux noms : Laetitia Casta, parfaite en Brigitte Bardot et Mylène Jampanoï dans le rôle de Bambou, sobre et habitée par son rôle.
Le dérapage au rayon des acteurs s'étend encore plus loin : le choix des passages de la vie de Gainsbourg se fait en dépit du bon sens, que ce soit dans un registre biographique (certains moments forts manquent, certains sans grand intérêt sont présents), ce qui peut se défendre encore une fois par le choix de mettre en scène un conte, mais reste indéfendable lorsqu'ils s'enchaînent sans réelle cohérence pour raconter un personnage. Rajoutons à cela une réorchestration des chansons de Gainsbourg pour coller à la voix de l'acteur frôlant souvent l'absurde (Melody Nelson !) et qui fera hurler les fans, ainsi qu'une direction artistique globalement sans réel goût (la photo est souvent laide), et des marionnettes embarrassantes elles aussi car dénuées de toute poésie pour se résumer à un numéro de carnaval, et on sort exténué de ce film.