J'ai rencontré le diable (I saw the devil)
Le 04/07/2011 à 15:01Par Elodie Leroy
Centré sur le face-à-face entre un tueur psychopathe cynique jusqu'à l'os et le fiancé vengeur de l'une de ses malheureuses victimes, J'ai rencontré le Diable repose sur un fil rouge simple : le premier est poursuivi par le second qui va lui faire vivre un véritable enfer, au risque de se transformer lui aussi en monstre. Après le western délirant Le Bon, la Brute et le Cinglé, Kim Jee-Woon effectue un virage à 180 degrés et délivre un thriller vigilante ultraviolent, qui repousse les limites du genre jusqu'à l'écœurement et installe un vrai malaise. Si la mise en scène de Kim s'avère toujours aussi efficace, fourmillant de belles idées soutenues par une photographie de toute beauté, J'ai rencontré le Diable manque tout de même d'enjeux dramatiques suffisamment forts pour justifier les 2h24 de bobine, au point que le concept finit par s'épuiser. Un peu vain au bout du compte, J'ai rencontré le Diable est sans conteste le moins bon film de Kim Jee-Woon. Mais il est difficile de ne pas être fasciné par la radicalité et le jusqu'auboutisme de ce jeu enragé du chasseur et de sa proie, dont les séquences de torture, très gores, atteignent une brutalité inouïe comme seuls les Coréens en sont actuellement capables. Un objet extrémiste à ne pas mettre entre toutes les mains. Découvrez ci-dessous la critique de J'ai rencontré le Diable.
Critique du film j'ai rencontré le diable
On ne présente plus Kim Jee-Woon, réalisateur sud-coréen au registre éclectique à qui l'on doit le drame horrifique Deux Sœurs, le thriller noir A Bittersweet Life et le western oriental et délirant Le Bon, la Brute et le Cinglé. Son dernier film en date, J'ai rencontré le Diable (I saw the Devil), suscitait une grande curiosité, ne serait-ce que pour son passif avec la Censure coréenne, qui a entraîne le report de sa date de sortie mais aussi un remontage édulcorant certaines séquences jugées dégradantes pour la dignité humaine. L'autre argument fort susceptible d'attiser l'impatience n'est autre que le face-à-face d'acteurs qui occupe le devant de la scène : d'un côté, Choi Min-Sik (Old Boy) incarne un tueur en série cynique jusqu'au bout des ongles, et de l'autre, Lee Byung-Hun (A Bittersweet Life) campe un agent des services secrets déterminé à venger sa fiancée et faisant preuve d'un certain zèle dans la tâche qu'il s'est attribuée. Le fil rouge du scénario est simple comme bonjour : le premier est poursuivi par le second qui va lui faire vivre un véritable enfer. A l'arrivée, J'ai rencontré le Diable souffre de quelques longueurs et manque d'enjeux dramatiques forts, au point de laisser un léger sentiment de déception, mais demeure un objet unique par sa radicalité.
N'y allons pas par quatre chemins : Jeong Gyeong-Chul (Choi Min-Sik) est un monstre de la pire espèce, qui viole et assassine toute personne de sexe féminin un tant soit peu attirante, adultes ou enfants, et qui aurait le malheur de croiser son chemin. Et il le fait avec une brutalité qui n'a d'égal que le sadisme de son mode opératoire puisque ses victimes respirent encore quand il commence à les découper en morceaux. Même si l'on prend position contre la peine de mort, il est difficile de ne pas souhaiter au bonhomme une fin atroce, surtout si elle doit être administrée par Kim Soo-Hyeon (Lee Byung-Hun), le fiancé d'une innocente jeune femme dont la seule erreur est d'être tombée en panne au mauvais endroit et au mauvais moment. Comme dans tout vigilante qui se respecte - et tout thriller coréen qui se respecte aussi -, Soo-Hyeon se montre peu enclin à faire confiance aux forces de l'ordre et décide de prendre les choses en main. Mais contrairement aux habitudes du genre, Soo-Hyeon ne met guère longtemps à retrouver son adversaire et résout en quelques jours le mystère qui laisse les flics sans voix. Le sujet du film n'est pas la manière dont le héros va retrouver l'assassin : c'est la suite de l'histoire que Kim Jee-Woon entreprend de développer. En effet, plutôt que de tuer son ennemi, Soo-Hyeon se contente de l'interrompre dans ses ébats et de le passer à tabac, pour le soigner ensuite et le laisser partir afin de faire durer la traque. Autant dire que la démarche révèle un esprit assez tordu chez notre héros.
S'il est un bon point à soulever dans J'ai rencontré le Diable, c'est la volonté de Kim Jee-Woon d'assumer à outrance le genre qu'il explore, à savoir le thriller vigilante, pour le repousser dans ses derniers retranchements, quitte à provoquer l'écœurement du spectateur. J'ai rencontré le Diable est un film extrême, voire extrémiste. Un film qui atteint un degré de violence absolument inouï, une férocité comme seul le cinéma sud-coréen peut nous en proposer actuellement. Couteaux, tenailles, serpes, toute sorte d'arme blanche est employée pour faire passer des moments inoubliables à Gyeong-Chul. Même lorsque celui-ci se réfugie chez son meilleur pote, un cinglé qui garde de pauvres filles dans sa cave pour les martyriser et les balader en laisse, il a tout juste le temps de sauter bestialement la maîtresse de maison avant que Soo-Hyeon ne le rattrape tel un fléau pour mettre le bazar dans cette tranquille demeure (mention au plan excellentissime où Lee Byung-Hun évite de justesse un coup de fusil à pompe dans un couloir). Dégradantes pour la dignité humaine, les tortures mises en scène dans J'ai rencontré le Diable le sont à 100%. A ceci près que la complaisance dans la représentation de la violence se tourne surtout vers les sévices infligés à Gyeong-Chul par son bourreau qui s'avère pour ainsi dire doté d'une imagination sans borne. Au contraire des vigilantes américains qui érigent toujours le vengeur en une sorte de justicier purificateur, J'ai rencontré le Diable soulève une question : à partir de quand le vengeur devient-il un monstre comparable à celui qu'il condamne ? Une question qui taraude de plus en plus douloureusement le spectateur à mesure que Soo-Hyeon dévoile son vrai visage au cours d'une escalade qui finit par provoquer un véritable malaise.
Comme à son habitude, Kim Jee-Woon délivre un film haute-gamme tant sur le plan visuel que sonore : outre une réalisation efficace et maîtrisée, J'ai rencontré le Diable s'offre une photographie de toute beauté (la découverte de la tête d'une victime dans un cours d'eau, un plan d'une poésie macabre) et s'accompagne d'une partition musicale inspirée et utilisée à bon escient. Il est décidément impossible de se fatiguer du style de Kim Jee-Woon. Le film possède toutefois un défaut : sa longueur. Dans ce jeu pervers du chasseur et de sa proie, les enjeux dramatiques finissent par s'essouffler au bout des deux tiers du métrage, le personnage de Soo-Hyeon ne bénéficiant pas d'une écriture assez fouillée pour justifier des 2h24 de bobine. En somme, J'ai rencontré le Diable aurait gagné soit à être amputé d'une bonne demi-heure, soit à bénéficier d'un traitement plus en profondeur des personnages, et ce même si l'on ne pourra qu'apprécier le refus de Kim Jee-Woon d'insuffler une quelconque portée mélodramatique à cette sombre affaire (au contraire de The Man from Nowhere, thriller ultra gore sorti en Corée à la même période et récemment chroniqué dans nos colonnes).
A force de violence viscérale et de nihilisme sans enjeu dramatique qui tienne la route sur la durée, J'ai rencontré le Diable menace même d'en devenir lassant, n'était la présence de son excellent casting. Choi Min-Sik incarne le tueur démoniaque avec une énergie et un humour salvateurs, face à un Lee Byung-Hun plus glacial que jamais mais qui réussit, par quelques subtilités de jeu qui lui sont propres, à apporter une touche d'humanité à un personnage sans substance sur le papier. Du même réalisateur, on préfèrera tout de même de loin le mélange de violence stylisée et de lyrisme d'A Bittersweet Life, davantage porté à devenir un film culte. Alors oui, avouons-le, J'ai rencontré le Diable est une petite déception. Mais de par son extrémisme assumé, l'expérience demeure fascinante, à conseiller aux amateurs de vigilantes en particulier et d'objets radicaux en général. Répétons tout de même, au cas où le message ne serait pas bien passé, que les âmes sensibles auront intérêt à s'abstenir.
Critique de J'ai rencontré le Diable publiée le 13 décembre 2010.