Harvey Milk
Le 05/03/2009 à 15:31Par Yann Rutledge
Notre avis
Depuis qu'il s'est spécialisé dans la chronique spleenesque sondant la perte de repères d'une jeunesse qui se cherche, nous ne pensions plus jamais revoir Gus Van Sant aux commandes d'un film produit par une major (ici Focus Features, la branche "indépendante" de Universal), les dernières aspirations plastiques du cinéaste étant en effet résolument incompatibles avec les contraintes de l'industrie hollywoodienne. Fini les plongées dans les méandres fragmentées du psyché adolescent : Van Sant livre un biopic progressiste comme Hollywood en raffole sur les derniers mois du premier politicien américain à ouvertement affirmer son homosexualité, Harvey Milk, avant son assassinat en 1978. Pas de tête anonyme ici mais de la crème de la crème du ciné indé US à savoir Sean Penn dans le rôle titre, Josh Brolin (W. - L'improbable Président) dans la peau de Dan White son assassin, ainsi que Emile Hirsch (Into the Wild), James Franco (Spider-Man) et Diego Luna (Michael Jackson dans Mister Lonely), tous transfigurés devant la caméra afin de pleinement investir leur personnage. Un cinéaste qui croit en la puissance émotionnelle du septième art, un casting quatre étoiles, ainsi qu'un thème fort et universel, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de Harvey Milk la démonstration que cinéma populaire et exigences artistiques étaient bien compatibles. Las, le cinéaste n'accouche que d'un biopic mainstream de plus, consensuel au possible, jamais transcendé d'une quelconque maestria visuelle.
Le film aurait d'ailleurs pu s'intituler L'Assassinat de Harvey Milk par le dérangé Dan White tant celui-ci ne s'éloigne pas d'un iota de la dialectique Harvey Milk le Juste en lutte contre une biatch intégriste qui veut balancer tous les pédés en enfer et, lorsqu'il se retrouve à deux doigts de vaincre, se fait assassiner par un homme aux orientations sexuelles peu affirmées (est-il véritablement hétéro ou est-ce un homo refoulé ?). Les débats ahurissant d'évangélisme sur l'homosexualité sont pratiquement absents (à croire que la contradiction n'a pas lieu d'être) faisant du coup de Milk un être admirable, droit dans ses bottes et dénué de toute zone d'ombre. Plutôt absurde pour un biopic abordant en toile de fond un sujet brûlant de société. Harvey Milk donne l'impression que Gus Van Sant s'est contenté de reprendre les conventions du genre sans jamais questionner ni leur utilité ni leur fonction au sein de sa structure. Le cinéaste suit ainsi une dialectique binaire (l'homme contre tous) sans jamais la développer en nous la présentant de surcroît sous la forme la plus conventionnelle possible de façon à ce que n'importe qui puisse comprendre ce qui se trame. Parce qu'il faut raconter en un minimum de temps (pas plus de heures "sinon c'est chiant") une dizaine d'années de la vie d'un homme, Van Sant débute son film avec Milk dans sa cuisine enregistrant sur cassette audio ses mémoires. C'est chouette, d'une part ça permet d'avoir une voix-off tout au long du film pour premièrement expliquer les trucs que l'équipe n'aura pas réussi à faire comprendre par l'image, et d'autre part ça permet de passer plus simplement et rapidement d'un événement à un autre sans jamais se poser la question du problème des transitions. Oui, la voix-off est l'outil des tires-au-flanc ! On ne s'étendra pas non plus sur le classique flash-back final qui donne sens à l'histoire (il a toujours su qu'il ne fêterait jamais ses 50 ans ! bon sang !) ni sur l'ultime speech censé donner du baume au coeur (le genre veut ça et nous sommes pas contre bien au contraire) mais qui échoue ici misérablement. Et puis finalement qu'apprend-t-on en sortant de la salle ? Pas grand chose, ni sur le personnage ni sur le combat. On préférera de loin The Wrestler, pas original non plus pour un sou mais qui aura au moins eu le mérite de dresser un portrait très humain et plus intéressant.