Invisible Target
Le 31/03/2008 à 17:25Par Elodie Leroy
Lors de la conférence de presse qu'il donnait au Hong Kong International Film Festival en mars 2007, Benny Chan promettait de délivrer avec Invisible Target un pur film d'action en consacrant rien moins que 60 à 70% de bobine aux combats et cascades en tous genres. Sur ce plan, on ne risque pas de se sentir lésé. Connu notamment pour être le responsable de New Police Story et Divergence, Benny Chan remplit haut la main son cahier des charges en cassant littéralement la baraque avec des séquences longues et survitaminées, voyant les acteurs accomplir de véritables prouesses physiques. Si le film n'égale pas un bon Michael Bay en termes de vertige, on apprécie d'emblée la générosité du spectacle. Plus troublante est d'ailleurs l'autre promesse faite à l'époque par le même Benny Chan, celle de mettre en sourdine les explosions au profit des arts martiaux... Car comme le laissait déjà présager la bande annonce musclée qui fut dévoilée à l'époque, Invisible Target se distingue justement du tout-venant de la production hongkongaise par des explosions complètement dingues, à en faire pâlir Joel Silver. Des dizaines de grenades qui sautent dans un couloir, une station service qui part en fumée, des étages entiers d'immeubles qui pètent, Benny Chan se fait véritablement plaisir en offrant un feu d'artifice titanesque, fort heureusement soutenu par un montage interdisant les baisses de rythme que peut occasionner ce type de scènes.
Mais l'action de Invisible Target ne se résume pas à ses effets pyrotechniques et il n'y a pas que les buildings qu'il en bavent : les personnages en prennent eux aussi pour leur grade, au point que l'on se demande s'il y a plus de casse dans le décor ou dans les os des combattants. Outre les courses-poursuites aériennes sur les toits d'immeubles et autres joyeusetés, Invisible Target met en scène des gunfights mouvementés et des affrontements martiaux brutaux, filmés avec un réel sens du rythme et menés tambour battant par des acteurs transformés en piles électriques. Dans un esprit rappelant les Police Story, chaque séquence se démarque des précédentes par un décor fourmillant de dangers potentiels (tels que des bris de verre acérés fichés dans le sol) et les cascades ont la primeur d'être repassées au ralenti et sous plusieurs angles après exécution.
Le casting s'avère à ce titre assez judicieux. Très bankable mais aussi habitués aux films d'action depuis pas mal d'années, Nicholas Tse (Time and Tide, Dragon Tiger Gate) et Shawn Yue (Infernal Affairs 2, Coq de Combat) ont eu le temps de développer une rapidité et une souplesse remarquables pour de simples acteurs et se révèlent très crédibles dans la baston. Seulement voilà, il se retrouvent face à un Jacky Wu Jing de très mauvaise humeur. Remarqué dans Tai Chi 2 (Yuen Wo-Ping) et Legend of Zu (Tsui hark) et vu récemment dans S.P.L. (Wilson Yip), Jackie Wu Jing possède à la différence de ses collègues un vrai background en arts martiaux (entraîné par Wu Bin, comme Jet Li et tant d'autres, il a été plusieurs fois champion de Chine de Wushu) et constitue à lui seul l'une des attractions majeures de Invisible Target. Non content d'avoir ici une classe folle dans son rôle de bad guy sans pitié, l'artiste martial arbore le plus clair du temps une attitude d'un calme inquiétant pour faire éclater à la moindre contrariété une hargne destructrice, sautant à une hauteur stupéfiante, balançant ses poings et ses coups de pieds à une vitesse phénoménale. Sa supériorité athlétique et martiale, visible à l'écran, est pleinement assumée dans le film puisque son personnage est perçu par les trois flics comme un ennemi insaisissable, reflet de leurs échecs et de leurs failles. La tornade Wu Jing n'empêche pas les trois interprètes principaux de se mettre en valeur. Rappelons là encore l'un des engagements pris par Benny Chan lors de la promotion du film, celui d'inciter ses têtes d'affiche à réaliser au maximum leurs cascades. Une tâche dont Nicholas Tse s'acquitte, pourrons-nous dire, avec un certain zèle. On pourrait presque parler de masochisme tant les chutes effectuées par l'acteur se révèlent souvent douloureuses.
Sur le plan dramatique, Invisible Target reste un film de Benny Chan. Et comme dans tout bon film de Benny Chan qui se respecte, il ne faut pas s'attendre à un scénario très sophistiqué. Les enjeux restent donc très sommaires, de même que les personnages, et les dialogues ne brillent pas par leur subtilité. Certaines tirades risquent même d'en faire sourire plus d'un, notamment lorsque les personnages de Nicholas Tse et Jacky Wu Jing philosophent ensemble (et avec une conviction moyenne) sur leur condition respective de flic et de gangster - un échange que Shawn Yue coupe d'ailleurs de manière abrupte en pointant le caractère risible de la situation (serait-ce pour traduire la pensée du spectateur ?). La bonne surprise provient en fait de Jaycee Chan (Le Soleil Se Lève Aussi) qui assure à lui tout seul la majeure partie du développement dramatique du film, son personnage s'imposant comme le véritable héros de l'histoire, c'est-à-dire le seul à accomplir un parcours. Ses échanges avec Andy On (Mad Detective) réussissent même à faire accepter le côté mélodramatique du propos sur la condition des gangsters. C'est dire. On verra par ailleurs passer quelques têtes connues, telles que Ken Lo (Benny Chan affirme là encore ses liens avec l'écurie Jackie Chan), notre Vincent Sze national en spécialiste des explosifs, Sam Lee en voyou feignant la maladie mentale ou encore Lam Suet en mafieux ridicule.
Plus enthousiasmant qu'un Divergence en dépit de ses grosses ficelles, Invisible Target s'impose donc comme un pur film de divertissement bourrin et survolté comme il faut, le blockbuster idéal pour dynamiser l'été des Hongkongais. Pour le public français, nul besoin d'être un spécialiste du cinéma asiatique pour apprécier le spectacle.