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Kaidan

Le 01/10/2007 à 10:33
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Notre avis
9 10 Revisité mille fois par le cinéma japonais depuis le début du siècle dernier, le mythe de Yotsuya Kaidan a encore de beaux jours devant lui. Avec Kaidan, Hideo Nakata se classe dans le haut du panier des plus passionnantes interprétations de cette légende tragique et terrifiante. Il signe non seulement la perle de la trilogie Jap'Horror Theater mais aussi et surtout l'un de ses plus beaux films, une oeuvre bouleversante qui pourrait bien être appelée elle aussi à devenir un classique...

Critique Kaidan En 1998, Hideo Nakata réinventait le film d'horreur avec Ring, adaptation brillante et terrifiante de l'excellent roman éponyme de Kôji Suzuki. Un véritable ouragan cinématographique dont l'influence a largement dépassé les frontières du Japon depuis. Dans le cadre de la trilogie Jap'Horror initiée par le producteur Takashige Ichise, le cinéaste revient aux sources des mythes qu'il a participé à populariser et parvient à innover encore en se réappropriant la tradition des récits fantastiques japonais. Conte d'époque sur lequel planent les fantômes de Kenji Mizoguchi, Nobuo Nakagawa ou encore Masaki Kobayashi, Kaidan est aussi une superbe histoire d'amour par-delà la vie et la mort, de celles dont les images n'ont pas fini de vous hanter.

Critique Critique Kaidan
Depuis Dark Water, on sait que Hideo Nakata cherche à explorer d'autres voies que celles du film d'horreur pur. Au-delà d'une simple histoire de fantôme vengeur, le film s'apparentait davantage à un drame psychologique contant les difficultés d'une jeune mère à assumer le quotidien de sa fille à la suite d'un divorce douloureux. Cette femme désemparée était justement incarnée par Hitomi Kuroki, l'une des interprètes principales de Kaidan. Plus que jamais avec son nouveau long métrage, le cinéaste s'emploie à creuser de manière radicale les thématiques qui lui tiennent à coeur depuis ses débuts, tout en utilisant finement les codes des histoires de fantômes de la littérature japonaise du XIXème siècle. C'est là tout le talent de Nakata que de parvenir à marier avec autant de naturel ses propres obsessions à un folklore mille fois visité, sans jamais se perdre à aucun moment. L'intrigue est plus ou moins la même que dans la plupart des autres versions, à ceci près que Nakata situe précisément le récit par rapport aux événements qui précèdent, davantage que Nobuo Nakagawa par exemple, dont le Ghost Story of Yotsuya (Histoire de Fantômes japonais) fait référence dans la longue lignée d'interprétations de la légende.
Alors que Soetsu, humble usurier, vient réclamer son dû au samouraï Shinzaemon, il réalise rapidement que ce dernier préfère le tuer plutôt que de le rembourser. Sur le point de rendre l'âme, Soetsu maudit son bourreau pour l'éternité. Quelque temps plus tard, Shinzaemon sombre dans la folie et exécute toute sa famille avant de se donner la mort. Vingt-cinq ans passent et son fils Shinkichi, qui a miraculeusement échappé au massacre grâce au soutien de bonnes âmes, rencontre par hasard la fille de Soetsu, Oshiga, professeure de chant réputée. Ils tombent immédiatement sous le charme l'un de l'autre, ignorant qu'une terrible malédiction pèse sur eux...

Critique Critique Kaidan
Comme dans la tradition, les ressorts de l'intrigue de Kaidan sont très simples et tournent autour des aléas de la vie de couple : jalousie et rancoeur de la femme trompée, couardise ou violence de l'homme volage... Autrement dit, des histoires aussi triviales qu'universelles car vieilles comme le monde, que l'on retrouve à la source des plus grands chefs d'oeuvres du cinéma fantastique nippon. La morale n'est jamais totalement absente de ces fables mélancoliques qui s'avèrent souvent intraitables envers les faiblesses humaines : Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi, la première histoire de Kwaidan de Masaki Kobayashi (intitulée La Chevelure Noire), traitent tous deux de l'infidélité ou de la soif d'ambition de l'époux. Hideo Nakata revendique ces influences prestigieuses ainsi que celles du théâtre kabuki, comme l'avait fait en son temps Akira Kurosawa sur Le Château de l'Araignée, dont la scène d'apparition fantomatique dans la forêt demeure l'une des plus marquantes dans le genre. Le prologue de Kaidan, raconté par un narrateur omniscient, enracine donc le récit dans la tradition orale des contes comme dans celle du théâtre qui leur donna vie le premier. A partir de là, Hideo Nakata bâtit un nouveau conte fondé sur une malédiction éternelle, gravée dans la chair de ceux qui la véhiculent : la plaie infectée d'Oshiga, la femme délaissée, s'étend spectaculairement à mesure que sa colère et sa rancoeur s'intensifient, jusqu'à la rendre presque ivre de folie. On pense évidemment à un autre chef d'oeuvre du cinéma fantastique japonais, le traumatisant et fascinant Onibaba de Kaneto Shindo.

Critique Critique Kaidan
Bien qu'elle plane constamment sur les personnages, la malédiction lancée par Soetsu n'est pas le véritable sujet du film. A travers Kaidan, Hideo Nakata laisse une fois encore libre cours à son obsession concernant la relation avec la mère. Cependant, alors que ses films Dark Water et le remake américain Ring 2 adoptaient le point de vue de la mère en proie à d'insondables angoisses face à la maternité et donc à une progéniture potentiellement monstrueuse, Kaidan renverse le point de vue pour s'intéresser à celui d'un fils épouvanté à l'idée d'être cannibalisé par sa mère. Certes, Oshiga n'a aucun lien de parenté avec Shinkichi (Kikunosuke Onoe V), mais la connotation incestueuse de leur relation est évoquée explicitement dès lors qu'Oshiga tente de réprimer l'empressement de ce dernier en lui assénant un : "Je pourrais être ta mère". Cet interdit qui pèse d'emblée sur leur liaison réactive soudain une malédiction qui semblait endormie, et débouche rapidement sur un autre interdit, celui qu'impose précisément la figure maternelle castratrice à son jeune amant au moment de mourir : Shinkichi ne connaîtra plus jamais l'amour avec d'autres femmes. Où qu'il aille, il ne cessera pourtant de rencontrer des femmes, qui toutes renvoient à des représentations aisément identifiables : après Oshiga, la femme mûre qui brave les conventions sociales, il croise la route d'une jeune fille en fleurs, Ohisa (Mao Inoue), celle d'une femme conventionnelle et résignée, Orui (Kumiko Aso), et enfin celle d'une prostituée machiavélique, Oshizu (Asaka Seto). Comme dans Dark Water, l'omniprésence de l'eau est éminemment symbolique dans le parcours de Shinkichi, sans cesse menacé de se faire engloutir à tout jamais dans le lac, retenu par les griffes d'une femme folle d'amour pour lui. A moins que ce ne soit ce qu'il désire le plus au monde ?...

Critique Critique Kaidan
Lentement mais sûrement, Hideo Nakata enferme son personnage dans un piège implacable, et alors qu'aucun réalisateur ne semblait plus capable de réussir à faire sursauter quiconque en montrant une main de spectre agripper le bras d'un vivant, il y parvient tout naturellement, sans avoir recours au moindre effet choc. Le fait que les apparitions de fantômes soient si rares et si ambiguës (seul Shinkichi semble les voir, ainsi que ceux qui approchent de la mort) les rend d'autant plus glaçantes. Comme dans la plupart de ses films, le cinéaste joue sur la suggestion, en brouillant les frontières du réel et de l'imaginaire, aidé en cela par une photographie magnifique qui sublime les visages et les décors, alternant subtilement les tons chauds et les tons froids tout au long du film. Les acteurs, parfaits, sont dirigés avec une rigueur toute théâtrale dans leurs gestes et leurs placements. Pour exemple, cette scène d'une extraordinaire sensualité où Oshiga et Shinkichi s'aiment pour la première fois. Qu'il s'agisse de créer la peur ou de susciter le trouble, le réalisateur prend constamment le spectateur par surprise, preuve de son immense talent. La musique de Kenji Kawai, très paisible et envoûtante, renforce l'atmosphère surnaturelle et fortement émotionnelle du film. Cette émotion palpable qui émerge peu à peu renvoie là encore aux classiques du genre, dans lesquels les fantômes ne se réduisent pas à de simples croque-mitaines haineux et sans coeur, mais sont des victimes cherchant désespérément à transmettre aux vivants les sentiments qui les étouffent et les empêchent de rejoindre leur monde. Nakata l'a bien compris, et s'attache à travers Kaidan à mettre en exergue la laideur comme la beauté de l'âme humaine, pour nous abandonner sur un plan d'une puissance évocatrice saisissante.

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