L'Enquête (The International)
Le 21/01/2009 à 14:28Par Elodie Leroy
Après Le Parfum, Tom Tykwer change radicalement de registre et signe tout simplement l'un des thrillers d'espionnage les plus captivants vus depuis longtemps. Inspiré du scandale de la BCCI, L'Enquête plante ses enjeux avec une réelle maîtrise de la narration et baigne tout du long dans une atmosphère angoissante, pour délivrer une charge intelligente contre le pouvoir des institutions bancaires et une vision du monde d'un rare pessimisme. En plus de bénéficier d'un scénario béton et d'un casting impeccable, à commencer par un Clive Owen totalement habité par son rôle d'agent dédié corps et âme à son affaire, L'Enquête s'impose comme une vraie réussite artistique. Soignant toujours autant son ambiance visuelle et sonore, Tom Tykwer excelle tout aussi bien dans la mise en scène d'échanges dialogués tendus que dans les scènes d'action, dont on retiendra surtout le gunfight étourdissant qui explose sans crier gare au musée de Guggenheim de New York. Excellent.
Première image du film : gros plan sur Clive Owen, l'air tendu, la mine fatiguée, manifestement dans l'attente qu'un événement se produise. Une discussion se tient entre deux hommes dans l'atmosphère confinée d'une voiture, échange dont nous ne connaîtrons qu'ultérieurement les tenants et les aboutissants. Quelques minutes plus tard, l'un des deux hommes sort de la voiture et meurt d'une mystérieuse attaque sous les yeux de son collègue qui l'attend de l'autre côté de la rue. L'Enquête nous plonge dès son ouverture au beau milieu d'une scène qui s'achève dans la violence, et où l'utilisation du hors champ suggère d'emblée l'ampleur d'une affaire qui dépasse le cadre de l'histoire. Celle-ci s'inspire ouvertement d'un scandale financier qui a éclaté en 1991 suite aux activités de fraudes et de corruption menées par la BCCI, Bank of Credit & Commerce International, entre les années 80 et le début des années 90. Originaire du Moyen-Orient et implantée au Luxembourg, la BCCI est tout simplement la plus puissante organisation financière impliquée dans des affaires criminelles qui ait existé. Outre ses activités bancaires, elle était associée à des trafics d'armes, des trafics de drogues, du blanchiment d'argent, des activités d'espionnage et de contre-espionnage, et de nombreuses affaires de corruption liées à des leaders politiques du Tiers-monde. Connectée aux dirigeants les plus influents des quatre coins du monde, la BCCI se nourrissait des conflits et possédait son propre corps diplomatiques, ses filières financières, son armée, son réseau de tueurs à gages. Aujourd'hui, la BCCI n'existe plus mais d'autres ont pris la relève, employant des techniques toujours plus sophistiquées pour financer de manière impartiale la terreur et la guerre et échapper à la justice. Réalisé par Tom Tykwer, L'Enquête suit la lutte de l'Agent d'Interpol Louis Salinger (Clive Owen) et du substitut du procureur Eleanor Whitman (Naomi Watts), deux personnages fictifs librement inspirés des deux hommes qui se sont acharnés à faire tomber la BCCI - ici rebaptisée IBBC - en dépit des pressions et menaces qu'ils subissaient de toutes parts.
Le moins que l'on puisse dire est que Tom Tykwer se plaît à changer radicalement de registre d'un film à l'autre. Révélé en 1998 par son très original Cours, Lola, Cours qui a fait le tour du monde, le cinéaste allemand signait aussi il y a un peu plus de deux ans Le Parfum, sublime adaptation du célèbre roman de Patrick Süskind réputé inadaptable, et faisait partie la même année du générique de Paris, Je t'aime pour son joli court métrage Faubourg St Denis. Mais pour ceux qui croyaient avoir cerné sa personnalité de réalisateur, Tykwer brouille une fois encore les pistes et prouve son éclectisme en signant l'un des thrillers d'espionnage les plus captivants vus depuis longtemps. Le cinéaste parvient dès la première scène à planter une atmosphère pesante, voire angoissante, qui planera jusqu'à la fin d'un film qui s'avère cérébral et extrêmement maîtrisé. L'univers se déploie peu à peu dans toute sa complexité tandis que les investigations de Salinger et Whitman nous emmènent de New York à Istanbul, en passant par Milan ou encore Berlin. Exit les scènes d'avion ou les cartes virtuelles marquant les voyages des personnages d'un point à un autre : le montage sec se refuse à toute transition inutile, et ce sans jamais que la clarté du récit ne s'en trouve amoindrie. Car si l'on pouvait reprocher aux récentes tentatives du genre que sont Mensonges d'Etat et Valkyrie de rater quelque peu l'exposition de leurs enjeux respectifs, L'Enquête dessine au contraire les siens avec une rare efficacité. Le scénariste Eric Singer maîtrise de bout en bout son sujet et ne tente pas de se réfugier derrière la complexité de celui-ci pour en pallier l'absence de réel traitement.
A mesure que Salinger et Whitman se retrouvent seuls contre tous selon une logique très respectueuse du genre dont L'Enquête se réclame, la puissance du système mis en place par la IBBC et auxquels s'attaquent une poignée d'individus apparaît de plus en plus implacable et tentaculaire. L'Enquête ne s'en cache pas : l'histoire constitue une charge sans concession contre le capitalisme sauvage et le cynisme des institutions bancaires, posant par là même de vraies questions sur la fidélité de chacun à ses propres idéaux dans un tel contexte. Sur cette excellente base scénaristique, Tom Tykwer opte pour une mise en scène sobre mais toujours percutante, faisant comme dans son précédent métrage un emploi judicieux et bien dosé des gros plans, et réussissant à installer une véritable tension dramatique alors même que le film comporte beaucoup de séquences dialoguées. Cette tension ressort de manière frappante à travers le personnage de Salinger campé par Clive Owen. L'acteur prête son intensité et son charisme animal à cet archétype de l'agent tourmenté et sans attache, dédié corps et âme à son enquête, au point que nous ne saurons quasiment rien de son passé et de sa vie privée, si ce n'est les informations strictement nécessaires à la compréhension de l'affaire de l'IBBC. Naomi Watts trouve quant à elle comme toujours le ton juste, à l'instar du casting secondaire, au diapason avec l'histoire (au passage, les plus attentifs remarqueront une petite caméo de Ben Whishaw, acteur principal du Parfum).
Réussite narrative et formelle, L'Enquête maintient malgré les nombreux changements de décor une grande unité visuelle grâce une esthétique bien définie, privilégiant les tons froids en extérieur, jouant habilement sur les lumières en intérieur. Si Tom Tykwer prouve une fois de plus l'importance qu'il accorde à l'ambiance sonore, la sensation d'angoisse persistante qui imprègne le film ne repose nullement sur des effets artificiels. Chose rare dans le cinéma d'action d'aujourd'hui, la partition musicale sait d'ailleurs laisser place au silence quand il le faut, notamment lors d'un échange dialogué particulièrement tendu et riche de sens entre les personnages de Clive Owen et Armin Mueller-Stahl (Les Promesses de l'Ombre). Mais le temps fort du film dont on n'a pas fini d'entendre parler n'est autre que l'incroyable gunfight dont le Musée de Guggenheim de New York est le théâtre vers les deux tiers du métrage. Une séquence d'action pivot qu'on ne voit tout simplement pas venir et qui fait littéralement exploser la tension accumulée auparavant, soutenue par une mise en scène d'un dynamisme magistral et par un travail sonore étourdissant. On n'avait pas ressenti une telle montée d'adrénaline au cours d'un gunfight depuis bien longtemps, et rien que pour cela, L'Enquête mérite de figurer parmi les films les plus marquants de ce début d'année.