L'Etat du monde
Le 13/02/2008 à 11:19Par Yann Rutledge
Un constat en demi-teinte pour ces "états du monde". Sur les six courts présentés, seulement deux gagnent notre faveur parce qu'ils sortent de la logique "je pointe du doigt les malheurs de ce monde", et cherchent à atteindre une certaine spiritualité qui s'avère étrangement plus parlante que le discours pamphlétaire des quatre autres sketchs.
Toujours intéressants parce qu'ils regroupent une multitude de points de vues sur un sujet donné (11/09/01 : September 11) ou parce qu'ils proposent une série de variations sur un thème précis et délimité (Paris je t'aime, Chacun son cinéma), les films à sketches (ou omnibus) sont malheureusement pour les mêmes raisons condamnés à être inégaux. Réunissant six cinéastes venus des quatre coins du globe, L'Etat du monde ne déroge pas à la règle.
Six cinéastes qui nous proposent chacun en une quinzaine de minutes une vision personnelle du monde contemporain. Initiative louable tant l'avenir nous est incertain. Cependant, le postulat de base (donner la parole à des cinéastes de tout horizon) se heurte au fait que les six élus viennent (grossièrement) d'un même type de cinéma : un cinéma d'art et essai à deux doigts de tomber dans le "cinéma de festival", fait par et pour un public d'initiés... Ce qui est fortement regrettable car un regard dissemblable pour compléter ces six visions aurait été des plus intéressants, voire salvateur.
Luminous People de Apichatpong Weerasethaku
Parmi ces six films, deux d'entre d'eux habilement insérés en ouverture et en fermeture du métrage sortent indiscutablement du lot. Le premier n'est autre que Luminous People du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, qui suit un groupe de personnes descendant le Mékong en bateau pour préparer une cérémonie de funérailles, et le second Tombée de nuit sur Shanghaï de Chantal Akerman, une vue de la baie de Shanghai et de ses immeubles qui s'illuminent la nuit. Des films qui à l'inverse des autres, trop bavards ou trop didactiques (parfois même les deux), nous offrent de véritables expériences cinématographiques. Aux côtés de Weerasethakul, le spectateur entrera en communion avec le claquement des vagues, le ronronnement du moteur qui tourne, les chants de la cérémonie, chaque élément construisant une masse sonore qui nous accompagnera tout du long de la traversée. Magique et spirituel, Luminous People est un voyage éblouissant. C'est la plénitude qui envahira le spectateur face à cette vision de Shanghai. Proche d'Empire de Andy Warhol, qui voyait l'artiste new yorkais nous proposer une vue de plus de 8h de l'Empire State Building, Tombée de nuit sur Shanghaï hypnotise son spectateur et délivre un spectacle digne d'une peinture sur toile. Jamais soporifique, le segment de Chantal Akerman laisse notre esprit vagabonder. Parce qu'elle nous offre un regard nu dénué de toute idéologie partisane, la cinéaste nous laisse faire notre propre constat sur la situation de la Chine.
Tombée de nuit sur Shanghaï de Chantal Akerman
Du côté des déceptions, on regrettera le trop austère Brutality Factory de Wang Bing, l'homme derrière A l'ouest des rails, oeuvre massive de 9 heures. En même pas 1/36ème de la durée de ce dernier, Wang Bing fait ressurgir au sein d'un immeuble industriel désaffecté les fantômes de la Révolution Culturelle de Mao... Réalisé en plans séquences, le film est sans doute trop théâtral pour que le spectateur ne se laisse emporter par un quelconque souffle.
Germano de Vicente Ferraz souffre d'un trop grand didactisme, le documentariste désirant pointer du doigt la disparition des poissons dans la baie de Guanabara. C'est certes par le biais de la fiction que Ferraz nous présente ce constat alarmant, en suivant un vieux pêcheur et son équipe qui s'en vont pêcher en haute mer pour tenter de gagner leur vie. Mais les dialogues et les personnages sont écrits de telle façon que l'on se retrouve finalement devant un film qui s'apparente plus à un fade pamphlet écologique qu'autre chose.
Brutality Factory de Wang Bing
Centré sur le quotidien d'un garde de sécurité en Inde et ponctué par le récit de son voyage des montagnes du Népal au plateau du Deccan en Inde, One Way de Ayisha Abraham se révèle quant à lui trop proche du documentaire pour gagner notre adhésion.
Enfin Pedro Costa nous propose avec Tarrafal de revenir sur la création du "camp de la mort lente", une colonie pénale pour les prisonniers politiques située sur l'île de Santiago. Oeuvre spartiate, digne du couple Huillet-Straub, auquel l'homme a rendu hommage (Où gît votre sourire enfoui ? - 2001), ce métrage en découragera plus d'un.
Le constat est donc en demi-teinte pour ces "états du monde" que l'on aurait préférés plus diversifiés. Pourquoi ne pas en faire une série de petits films pour la télévision, permettant ainsi d'inviter plus de cinéastes et de nous proposer un panorama plus éclectique ?