La Légende de Beowulf
Le 13/11/2007 à 07:22Par Michèle Bori
Jusqu'à aujourd'hui, dans la mémoire cinéphilique collective, Beowulf c'était le cultissime nanar avec notre Christophe Lambert national. Si bien qu'à l'annonce du nouveau projet de Robert Zemeckis, les moins « aware » des spectateurs pensaient qu'il s'agissait d'un remake du plus kitch des films de viking jamais tourné. Fort heureusement pour nous, ce n'est pas le cas même si par pur masochisme on aimerait voir quel fou oserait avouer ouvertement faire un remake du film précédemment cité. Mais trêve de hors sujet, et venons en au film qui nous intéresse.
D'abord un petit rappel littéraire. Pour ceux qui ne seraient pas friands de culture scandinave et/ou anglo-saxonne, Beowulf est à l'origine un poème de 3000 lignes narrant une bataille ayant eu lieu au 6e siècle. Considéré comme le plus ancien poème en langue anglaise, il est devenu un incontournable de la littérature depuis qu'un certain J.R.R. Tolkien lui a donné une signification toute particulière. Pour ce dernier, Beowulf raconterait l'ascension et la chute d'un homme lassé par sa propre existence. Une sorte de Scarface écrit il y a 1500 ans en quelques sorte.
C'était donc avec une attente toute particulière que cette adaptation sur grand écran était attendue, l'histoire n'ayant jamais eu les honneurs d'une transposition digne de ce nom. Et lorsqu'en plus de ça, on a su que c'était Robert Zemeckis, un des derniers grands génies du cinéma, qui allait s'y atteler, on osait rêver d'un spectacle unique et mémorable. Et bien si tel est effectivement le cas, il faut bien admettre que le film prend une tournure que nous étions loin de soupçonner.
En effet, dès l'annonce du projet, Zemeckis décida que son nouveau film serait tourné en performance capture, soit de la même manière que son Polar Express. De la 3D totale donc, avec la promesse d'un spectacle visuel fou que la prise de vue réelle ne permettrait pas. Alors oui il y a des batailles dantesques contre des monstres énormes, oui il y a des prises de vues improbables, oui il s'amuse comme un petit fou à faire des plans séquences impossibles en passant à travers des hanses de choppes d'hydromel avec une focale plus courte que dans un clip des Beastie Boys. Il a raison, pourquoi s'en priver puisqu'il dispose d'une technologie qui lui permet de le faire ? S'il avait dû filmer tout de manière réaliste, à quoi bon la performance capture ?
Mais au final, ce n'est pas ce que l'on retiendra de ce Beowulf. Car Zemeckis n'est pas un frimeur et parce qu'avec plus de 25 ans de métier derrière lui, il n'est pas du genre à tomber dans ce genre de piège pour débutant, et parce qu'au final, la Légende de Beowulf se révèle être avant tout un drame intimiste d'une qualité et d'une intelligence rare. Ecrit par Roger Avary (Pulp Fiction, Silent Hill) et Neil Gaiman (Stardust), voici donc l'histoire d'un héros certes, mais surtout l'histoire d'un homme, une démystification totale de mythe, dans lequel il nous montre qu'un héros peut être aussi un homme simple. Une antithèse totale à son Forrest Gump, qui prouvait tout le contraire (un homme simple peut aussi être un héros). Beowulf est une légende, mais une légende qui a connu ses moments de faiblesse, qui a craqué à un moment de sa vie, décidant d'arrêter d'agir comme la figure noble qu'il était pour devenir un homme avec ses démons et ses regrets.
Avec un sous texte d'une telle force (renforcée par une critique à peine cachée de la culture chrétienne qui encense les martyrs aux dépend des héros), il y a fort à parier que le film en déstabilisera plus d'un et qu'il ne sera sans doute pas perçu à sa juste valeur. Rajoutons à cela que certaines séquences sont d'une violence rare pour un film d'animation (violence physique et morale, puisqu'on y parle d'adultère et d'infanticide quand même) et il est très probable qu'on soit en présence du grand film incompris de l'année. On ne le souhaite absolument pas, ni pour le film, ni pour Zemeckis. D'autant plus que nombreux n'hésiteront pas à crier que le procédé utilisé pour le film n'est pas au point et que le rendu soi-disant photo réaliste est encore loin de la perfection. Et pour le coup, ils auront un peu raison.
Car si sur certains gros plans ou plans larges le résultat est tout simplement bluffant, on peut noter que l'animation des personnages est encore beaucoup trop rigide et manque singulièrement de naturel pour rendre totalement crédible le jeu des bonhommes à l'écran. De plus, si les personnages principaux disposent d'une attention toute particulière (mention spéciale à Crispin Glover, dans le rôle du Troll Grendel, parfait et terrorisant), il en va autrement des autres, qui semblent aussi inexpressifs et mal animés que dans Shrek 3. Le sublime côtoie donc le très moyen, et c'est bien dommage car dès lors qu'on en aperçoit les défauts, on est très vite sorti du film. Voilà bien une chose rare dans un film de Zemeckis.
Mais cela étant, en réfléchissant une petite minute, une chose paraît évidente à la vision de Beowulf : aujourd'hui, il semble clair que le réalisateur de Contact et d'Apparences n'a plus besoin (envie ?) de prouver quoique ce soit. Et qui pourrait le lui reprocher ? Cet homme a offert à deux décennies de spectateurs des films inoubliables qui les ont marqués à jamais (Forrest Gump, Retour vers le futur, Roger Rabbit). Il est une des influences majeures de toute une nouvelle génération de cinéastes. Il a fait évoluer d'une manière incomparable les effets spéciaux modernes. Il est à l'origine de la performance capture, qui pourrait bien être une nouvelle forme de cinéma dans les années à venir.
Aujourd'hui, à l'instar d'un Cameron qui passe plus de temps à faire construire des caméras 3D pour filmer des épaves à 4000m de profondeur, Robert Zemeckis cherche à faire évoluer son art. Il a choisi de la faire avec des fonds verts et derrière des ordinateurs, pour supprimer les contraintes de tournage, pour rendre la caméra omnisciente, pour offrir aux comédiens une nouvelle expérience de jeu et au spectateur une nouvelle forme de cinéma. Qui peut en dire autant aujourd'hui ? Et même si la technique qu'il utilise n'est pas tout à fait au point, il continuera et finira par arriver à son but. Et s'il n'y arrive pas personnellement, tant pis, il aura ouvert la voie à d'autres (par exemple Gil Kenan, réalisateur de Monster House, LE film d'animation de 2006). Qu'il continue sur sa lancée (ce qu'il fait d'ailleurs avec son prochain métrage, A Christmas Carol), et lorsque les films en performance capture - comme les films d'animations qui étaient tant décriés au début avant de devenir des incontournables - auront gagné leurs lettres de noblesse (avec Avatar de Cameron par exemple) Zemeckis aura une nouvelle fois gagné son pari et pourra inventer autre chose.