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Les Seigneurs de la Guerre

Le 28/01/2009 à 16:01
Par
Notre avis
9 10

Après la déception Perhaps Love, qui affichait cependant déjà une volonté louable d'innover, Peter Chan frappe très fort avec The Warlords, son film le plus réussi depuis longtemps. Non, il ne s'agit pas seulement d'une énième fresque épique en costumes, c'est bien plus que cela. Délaissant les décors clinquants et le discours propagandiste si chers au cinéma populaire chinois actuel, The Warlords s'impose comme un film de guerre, un vrai, une œuvre d'une violence et d'une noirceur inouïes aux accents shakespeariens, habitée par des personnages aux prises avec des dilemmes insolubles. Trouvant ici l'un de ses meilleurs rôles, Jet Li envahit littéralement l'écran de sa présence, face à un Andy Lau et un Takeshi Kaneshiro d'une remarquable intensité. Si l'on ajoute à cela une scène de bataille dantesque qui risque bien d'entrer dans l'Histoire, The Warlords est tout simplement la meilleure chose qui soit arrivé au cinéma chinois depuis longtemps.


Critique Les Seigneurs de la Guerre

Cette critique s'appuie sur la version du film sortie à Hong Kong

 

Aujourd'hui, l'industrie chinoise du film prospère grâce à la récente montée en force d'un cinéma de divertissement luxueux, à grand renfort de batailles ambitieuses et d'intrigues de cour (Hero, La Cité Interdite, Le Banquet...). Si l'on peut prendre à des degrés divers un plaisir certain devant ces productions flamboyantes, force est d'admettre que le risque de voir ce cinéma tourner en rond se fait de plus en plus inquiétant, tant sur le plan visuel que thématique. Que l'on se rassure : certains ont parfaitement compris cela et entreprennent déjà de renouveler le genre. Et c'est finalement d'un cinéaste hongkongais que vient cette impulsion. Après la déception Perhaps Love, Peter Chan nous revient en pleine forme avec The Warlords. Encore une grosse production épique chinoise, dira-t-on. Soit. Mais il serait franchement dommage de s'en tenir à ces préjugés. Car s'il profite effectivement des moyens conséquents mis à sa disposition grâce à une conjoncture favorable - le budget s'élève environ à 40 millions de dollars -, Peter Chan prend le genre de la fresque guerrière à revers en évacuant les décors clinquants, les chorégraphies ordonnées et le discours presque propagandiste chers aux cinéastes chinois de la cinquième génération, au profit d'une esthétique crade et d'un vrai questionnement sur la condition de soldat. Plus humble qu'un Hero, The Warlords s'impose comme un véritable film de guerre, une œuvre d'une noirceur absolue portée par des personnages écartelés entre leurs idéaux et les réalités auxquelles ils font face. Peter Chan délivre ici son meilleur film, en plus de surpasser, et de loin, ses confrères de l'Empire du Milieu qui se sont frottés au genre.
Critique Les Seigneurs de la Guerre
Bien plus qu'un simple remake du célèbre Blood Brothers de Chang Cheh, The Warlords s'appuie certes sur le même récit historique - à savoir l'ascension fulgurante d'un général puis son assassinat par un bandit -, mais l'aborde sous un angle neuf. Selon les informations officielles retenues à l'époque, le bandit se serait associé à des pirates avant de commettre son acte. Cependant, des rumeurs persistantes semblent étayer une toute autre version : le meurtrier aurait servi dans l'armée impériale auprès de sa victime et d'un troisième homme dont l'identité reste inconnue. De là à ce qu'il s'agisse d'une sombre affaire de vengeance personnelle, il n'y a pas loin. Cette version qui n'a jamais été confirmée avait déjà bien fait travailler l'imagination de Chang Cheh et constitue aussi le fondement du scénario de The Warlords. Un récit dont la tonalité héroïque laisse rapidement place à la longue et pénible descente aux enfers de trois hommes qui, suite à une victoire, se lient par un pacte de sang. Lorsque la guerre fait son œuvre, qu'advient-il de la fameuse fraternité guerrière si souvent présentée comme indestructible ? Rarement un film n'aura aussi bien porté son titre. En effet, si The Warlords n'est pas avare de scènes d'action remarquables, c'est avant tout des Seigneurs de la Guerre eux-mêmes et de leurs tourments dont il s'agit dans cette histoire.

Critique Les Seigneurs de la Guerre
Non seulement Peter Chan malmène sans ménagement et en évitant tout manichéisme la fraternité si précieuse aux films d'arts martiaux traditionnels, mais il en profite pour fustiger au passage les représentants du pouvoir en place. En cela, nous sommes bien loin de la vision du leader charismatique façon Hero, un leader certes cruel mais dont les excès s'avéraient en fin de compte nécessaires à l'accomplissement d'un intérêt plus noble - le fameux « tian xia » (tous sous un même ciel). Au contraire, dans The Warlords, les hommes de pouvoir décident du sort collectif avec légèreté et sans quitter leur table de mahjong, tandis que l'impératrice ne daignera même pas dévoiler son visage à la caméra. Difficile de dire s'il faut y voir une critique déguisée du fonctionnement de la société chinoise actuelle mais l'idée n'a rien de farfelu.

Par ailleurs, la vision de la guerre n'est pas vraiment conforme à la description tant fantasmée à travers les récits héroïques. Agés de quinze à quarante ans, les soldats apparaissent le visage encrassé, les yeux gonflés, se défoulant sur les plus faibles en cas de victoire, crevant la faim entre deux batailles, au point de songer à se bouffer entre eux. Si les codes d'honneur existent bel et bien, ils ne s'imposent pas à toute une armée en un claquement de doigt et peuvent poser quelques cas de conscience, comme en témoigne le conflit faisant suite aux abus de deux jeunes soldats sur les habitantes de Suzhou, ou encore ce terrible moment où le général doit décider du sort de quatre mille prisonniers impossibles à nourrir. Avec The Warlords, le spectateur se retrouve plus d'une fois tiraillé douloureusement entre deux pôles sans qu'aucun jugement ne soit porté sur les principaux acteurs du drame. C'est de là que provient toute la force et l'intelligence du film.

Critique Les Seigneurs de la Guerre
Jusqu'à présent, le développement des personnages n'était pas vraiment le fort de Peter Chan (à l'exception du délicieux He's a Woman, She's a Man). Pourtant, l'une des surprises majeures de The Warlords est que le cinéaste réussit pleinement là où il échouait dans un Perhaps Love : convaincre avec trois protagonistes principaux (voire quatre, si l'on inclut la compagne de Er-Hu) à la fois touchants et profondément humains. Car s'il fallait relever un point commun entre les deux métrages, ce serait l'attachement manifeste du réalisateur pour les personnages ambigus, sa fascination pour la facette peu reluisante des êtres. Lorsque les protagonistes se laissent aller à leurs états d'âmes, Chan prend le temps de filmer la détresse et les conflits qui se lisent sur leurs visages, jouant sur des procédés de montage bien sentis ou sur des clairs-obscurs élégants. A ce titre, le cinéaste est épaulé par le directeur de la photographie Arthur Wong, dont le travail confère au film une véritable identité visuelle. Il n'était pas gagné que les trois figures phares du cinéma de Hong Kong que sont Jet Li, Andy Lau et Takeshi Kaneshiro parviennent à faire oublier leur aura de star dans une œuvre aussi ambitieuse, et c'est pourtant exactement ce qui se produit. Si ses deux partenaires déploient des trésors d'intensité, à commencer par Andy Lau qui incarne un personnage broyé par l'existence, c'est surtout Jet Li qui stupéfie par la force et la richesse de son jeu, par sa présence envahissante. Laissant de côté ses compétences d'artiste martial, qui s'expriment tout de même le temps d'une ou deux scènes, l'acteur endosse son costume de militaire avec une étonnante humilité et se révèle méconnaissable. Après Le Maître d'Armes, Jet Li continue de se faire une nouvelle crédibilité en tant que comédien.

Critique Les Seigneurs de la GuerreCritique Les Seigneurs de la Guerre


Le mieux, c'est qu'en dépit de la place de choix accordée à l'évolution des personnages, The Warlords ne connaît aucune baisse de régime et profite des séquences d'action pour en mettre plein la vue. Là encore, et en dépit de la présence de Ching Siu-Tung au générique, Chan évacue d'emblée l'esthétique du ballet si caractéristique des fresques épiques chinoises et opte pour une approche plus réaliste. On se souviendra longtemps de ces visions chaotiques, presque poétiques, des soldats marchant sur des amoncellements interminables de cadavres. Aussi brutale que mouvementée, la bataille qui survient vers le tiers du film s'avère tout simplement époustouflante et révèle une maîtrise du cadre et du mouvement impressionnante, au point que l'on peut suivre pas à pas la tactique respective de chaque armée en présence. Dans un désordre maîtrisé, les coups de feu tonnent, les chevaux s'effondrent, les sabres transpercent les combattants, les corps valsent voire explosent littéralement (guetter le coup de canon à bout portant sur un soldat). Cette scène dantesque est traversée d'une intensité dramatique qui va crescendo pour atteindre une véritable hystérie guerrière se reflétant dans les regards possédés de Jet Li, Andy Lau et Takeshi Kaneshiro. Et si l'on reprochera l'emploi ponctuel d'une partition musicale lorgnant d'un peu trop près vers celle de Gladiator, Peter Chan prouve au passage qu'il est encore possible, même après le Seigneur des Anneaux, de mettre en scène une bataille d'envergure sans pour autant plagier Peter Jackson - son confrère russe Sergei Bordrov, auteur du récent Mongol, devrait franchement en prendre de la graine.

 


Première publication le 28/02/08 à 9h01







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