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Les Seigneurs de la Guerre : deux versions, deux films (MAJ)

Le 21/08/2009 à 08:54
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Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre Si nous nous réjouissions il y a quelque mois de découvrir en salles et non en DVD l'ambitieux Les Seigneurs de la Guerre de Peter Chan, qui réunit en tête d'affiche Jet Li, Andy Lau et Takeshi Kaneshiro, nous n'avons malheureusement eu droit qu'à une version tronquée destinée au marché occidental. Un fléau qui touche malheureusement la plupart des films asiatiques distribués en salles, qu'ils passent par les Etats-Unis comme ce fut le cas des Seigneurs de la Guerre (remonté par un certain Chris Blunden) et des Trois Royaumes (John Woo), ou qu'ils arrivent directement en France (le cas Ong Bak 2 en a fait enrager plus d'un), pour ne citer que des exemples récents. Certes, Les Seigneurs de la Guerre n'était pas le plus mal loti de tous puisque le résultat découvert en janvier dernier reste hautement recommandable. Il n'en demeure pas moins que l'ablation de 15 minutes de bobine suffisait à amoindrir considérablement l'impact, la puissance et l'intelligence de l'œuvre.

MAJ : TF1 Vidéo a eu la bonne idée d'inclure les deux montages sur l'édition française, une initiative rare. A défaut d'avoir pu apprécier à sa juste valeur le film en salle, vous pourrez au moins vous rattraper en DVD.

Pour donner un aperçu des différences entre les deux montages, nous nous attarderons sur la scène de bataille dantesque qui intervient au bout d'une demi-heure de métrage. Dans la version internationale, cette scène débute à 32mns30 et s'achève à 42mns34. Dans la version hongkongaise, elle débute à 32mns50 pour finir à 44mns52. Deux minutes de différence, rien que cela !

Les temps cités ci-après sont issus du montage chinois. Nous nommerons version "française" la version internationale sortie en salles dans nos contrées afin de simplifier la compréhension à la lecture.

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

32mns50 (début de la séquence) - 35mns30

Tandis les regards de Pang (Jet Li) et de son adversaire se croisent, Er-hu (Andy Lau) attend impatiemment le messager envoyé par le camp ennemi, sous les regards tendus des deux armées et de Wu-Yang (Takeshi Kaneshiro). Jusqu'ici, aucun changement n'est à déplorer.

Lorsque Er-Hu coupe la tête du messager, les cris de guerre retentissent du côté de l'armée de Pang, dont la première unité pédestre se lance à l'attaque, menée par Wu-Yang. Le général ennemi dépêche alors ses tireurs pour les abattre. S'ensuit une succession de plans alternant les travellings suivant la course des soldats de Pang et les plans fixes sur les tireurs. Le général ennemi est filmé en gros plans tandis que le cadre est ouvert sur la gauche afin de marquer sa toute puissance (contrairement aux cinémas occidentaux, les cinémas asiatiques privilégient les cadres ouverts sur la gauche pour signifier la domination, une différence qui provient certainement de la différence de sens de l'écriture).

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la GuerreComparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

Ce passage ne comporte aucune musique dans la version chinoise, ce qui a pour effet de faire ressortir de manière percutante les coups de feu mais aussi le grondement provoqué par la course des archers, qui se rapprochent inexorablement du but. L'alternance entre les sons des armes qui se rechargent et les hurlements des archers menés par Wu-Yang augmente la tension précédant l'affrontement physique. Autant d'effets qui disparaissent partiellement dans la version française puisqu'une musique insipide a été ajoutée.

Juste avant l'altercation qui oppose Er-Hu et Pang, déjà en désaccord sur la manière de diriger les soldats (l'opposition entre la culture du banditisme de l'un et la culture militaire de l'autre se fait déjà ressentir), quelques plans sur les archers menés par Wu-Yang ont été supprimés : l'un d'entre eux montre un jeune soldat tomber à terre puis se relever, réalisant qu'il lui manque quelques doigts à la main gauche. Déjà, la version française affiche une volonté d'édulcorer la violence. Et ce n'est que le début.

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

35mns31 - 36mns30

Dans la version chinoise, juste avant l'altercation entre Er-Hu et Pang, un fond musical discret et triste souligne la perte de certains archers, d'où la réaction d'Er-Hu qui ne supporte pas de voir ses hommes tomber à terre. Juste après débute la composition musicale qui va rythmer toute la bataille telle une symphonie. Lorsque Pang abat sa seconde carte (Wu-Yang donne l'ordre de tirer), les violons accompagnent la course des archers, toujours en mouvement comme si rien ne pouvait les arrêter, tandis que les tireurs ennemis restent statiques (leur plus grande difficulté à se mouvoir constitue leur point faible). La musique de la version française est bien différente : sans saveur, elle tente pitoyablement de se faire épique. Les violons cités plus haut sont absents, de même que la respiration marquée par la mélodie lorsque la caméra suit la nuée de flèches. La dynamique entre le son et l'image perd ainsi considérablement de sa force.

A noter juste avant la rencontre physique entre les deux armées la suppression d'un plan caméra à l'épaule participant, à l'instar de plusieurs travellings avant, à déterminer le point de vue : le cadreur filme de manière subjective comme s'il était l'un des soldats de Pang (35mns05).

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

36mns35 - 37mns08

Une coupe très significative : toujours sur le champ de bataille, un jeune soldat de l'armée de Pang parvient à transpercer de son sabre un soldat ennemi et à lui voler son fusil. Fier de son coup, il échange un regard avec Wu-Yang sans voir qu'un autre soldat le braque par derrière. Wu-Yang réagit vite et lance son couteau dans la tête de ce dernier. Choqué, le garçon le regarde l'air ahuri, avant d'être abattu par une balle qui lui traverse la tête au niveau des joues, tirée par un soldat situé hors champ (soulignant le caractère aléatoire de ce qui se produit sur un champ de bataille). Non loin de là, le petit frère du soldat, témoin de la scène, se précipite vers lui et s'effondre en pleurant, tandis que Wu-Yang égorge rageusement l'assassin.

Tout ce passage à la fois dramatique et cynique est absent de la version française, qui a soigneusement remonté l'ensemble. Revenons en arrière, au moment où les deux armées s'entrechoquent : les plans les plus "gore" ont été évacués (on déplore quelques coups de hache et de marteau en moins) à l'instar de l'épisode avec les deux frères. Pourtant, les deux plans voyant Wu-Yang égorger le meurtrier du garçon ont tout de même été insérés entre deux images...

 

Voir le détail de la scène en cliquant sur l'image :

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

37mns08 - 37mns45

Le général ennemi envoie sa cavalerie, suivi de près par Pang. Détail qui a son importance, à peine Pang a-t-il dit "Préparez-vous" qu'Er-Hu s'élance sans attendre la suite de l'ordre, d'où l'air étonné de son supérieur. En français, la traduction est "Allons-y!". Cet échange perd ainsi en partie son sens (déjà Er-Hu ne cesse de contester la stratégie de Pang).

La cavalerie menée par Er-Hu s'élance donc, avant d'aveugler les chevaux au moyen de tissus. Pas de changement majeur dans la version française, si ce n'est la musique. Dans la version originale, les violons reprennent leur course pour accompagner la cavalerie et faire une fois encore monter la tension précédant le choc entre les deux armées.

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

37mns45 - 38mns20

Et le choc sera brutal ! Dans le montage chinois, le mouvement suivant se divise en deux temps :

Première phase : les deux cavaleries se rentrent dedans frontalement, entraînant une suite brutale de chutes de chevaux (au passage, on a peine à croire qu'aucun animal n'ait été blessé pendant le tournage !). La musique s'arrête pendant quelques secondes stupéfiantes pour souligner la violence inouïe du choc.

Seconde phase : le général ennemi passe à la vitesse supérieure en donnant le feu vert d'un signe de la main pour les tirs au canon. Ce n'est qu'ensuite qu'apparaissent à l'écran les soldats concernés par l'ordre (comprendre par l'ordre des images que le général domine encore la situation). S'ensuit alors un plan dévoilant les canons alignés devant des soldats, suivi d'un gros plan sur les torches enflammant les brèches, le resserrement du cadre soulignant le danger imminent. Quelques images après la première salve de tirs, un très grand angle permet d'envisager la scène dans son ensemble (au passage, une très belle image). Le moment où les soldats réarment est traduit par un gros plan sur les mains d'un soldat entrant une boule dans le canon.

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

Ces deux phases ont été entièrement remontées et mélangées dans la version française. Non seulement certaines images manquent à l'appel (certaines chutes de chevaux, notamment) mais les canons sont introduits par le biais du gros plan sur les mains du soldat qui réarme, image censée représenter la seconde salve de tirs. Ce n'est que plus tard que l'on découvre les plans correspondant à la première salve de tirs. Le signal donné par le général a disparu et le passage s'achève par le grand angle cité plus haut. En somme, non seulement l'ordre des images a été perturbé mais deux phases bien distinctes de la scène, à savoir la rencontre des deux cavaleries et l'intervention des canons, ont été mélangées. Enfin, les bruits des coups de canon qui tonitruaient dans la version chinoise ne ressortent pas de manière aussi puissante sur le montage français, la faute à une musique toujours aussi envahissante.

 

38mns20 - 40mns10

Pang attend une réaction de la part de ses alliés qui refusent toujours d'entrer en jeu, tandis que sur le champ de bataille Er-Hu tombe de son cheval. Pang finit par s'élancer à son tour. Tombant de cheval en cours de route, il se relève et continue à pied. Un superbe travelling latéral le voyant courir en direction de la caméra (les objets situés entre Jet Li et cette dernière apparaissent flous) souligne sa volonté indestructible d'atteindre son objectif (38mns17). Arrivé au but, il rectifie généreusement une bonne dizaine de soldats ennemis.

Pas de changement majeur à déplorer dans ce passage, si ce n'est la musique.

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

40mns10 - 40mns34

Alors que Pang oriente le canon d'un ennemi, la détonation fait valdinguer plusieurs canons, un événement marqué dans la version chinoise par un ralenti à l'image et par un silence de la musique, pour souligner l'explosion tonitruante. En version française, la musique continue son petit bonhomme de chemin comme si de rien n'était.

Mais le pire reste à venir. Dans la version chinoise, Pang ayant été projeté au sol par le choc, un ennemi entreprend de lui tirer dessus à coup de canon. Mais un soldat de Pang réagit : sans réfléchir, il se jette sur le canon pour exploser en mille morceaux face à la caméra ! Il s'agit tout simplement de l'effet spécial le plus impressionnant du film. Et il nous a été enlevé ! Une coupe impardonnable.

 

Voir le détail de la scène en cliquant sur l'image :

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

41mns44 - 44mns10

On assiste au combat de Pang contre des dizaines de soldats, jusqu'à ce qu'il soit transpercé d'une lance. Réunis par la blessure de Pang, les trois principaux protagonistes (Pang, Wu-Yang et Er-Hu), se rejoignent enfin pour entrer à partir de cet instant dans une sorte de communion dans la bataille. On ne dénote pas de changement majeur dans ce passage, si ce n'est la musique.

A ce titre, lorsque les alliés de Pang entre en scène (42mns49), la composition qui se fait entendre dans la version chinoise rappelle étrangement celle de Gladiator (l'hommage de Peter Chan à Ridley Scott ?), une similitude que l'on remarque aussi dans une autre scène de bataille du film et qui se retrouve gommée dans le montage français puisque cette composition n'existe plus.

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

44mns10 - 44mns50 (fin de la séquence)

Les derniers plans de la séquence sont coupés : Wu-Yang vient tout juste de couper la tête du général ennemi et la brandit fièrement dans la mêlée. La scène s'arrête très tôt dans la version française et se prolonge dans la version chinoise : tandis que la furie diminue peu à peu, Pang et Er-Hu crient (hystériquement) victoire. A noter que seuls les trois protagonistes principaux sont filmés en gros plans, afin de souligner une fois encore leur communion dans cette folie guerrière, qui représente l'apogée de leur amitié. Le jeu de Takeshi Kaneshiro est particulièrement intense dans ces quarante dernières secondes et il est extrêmement regrettable qu'elles aient été coupées.

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la GuerreComparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la GuerreComparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

Autres exemples de coupes

Si les scènes de bataille enregistrent une violence atténuée par rapport à la version originale, c'est plus généralement la manière dont l'expérience de guerre vécue par les soldats et la population est traduite qui pâtit de ces coupures. Manifestant le même soin visuel que dans ses précédents films, Peter Chan prend cependant à contre-pied les chorégraphies esthétisantes qui caractérisent les grosses productions chinoises actuelles et dépeint sans aucune complaisance l'horreur de la guerre. La destruction des soldats n'était pas seulement physique mais psychologique ; l'amitié n'a pas vraiment sa place dans ce monde chaotique, comme en témoigne le destin tragique des trois "frères de sang".

Parmi les coupes majeures, on citera la scène de pillage de la ville de Shu, au cours de laquelle Pang condamne à mort trois adolescents. Des jeunes soldats dont Er-Hu prend farouchement la défense. Dans la version française, on ne comprend pas très bien ce que Pang leur reproche, si ce n'est de lui avoir désobéi. Leur crime a tout simplement été coupé au montage. Ainsi dans la version chinoise, les trois adolescents ne se contentaient pas de piller la ville (sous la suggestion d'un rival de Pang) mais violaient aussi deux jeunes femmes. Si la condamnation à mort paraît tout de même cruelle, force est d'admettre que la dispute entre Pang et Er-Hu prend un autre sens : Er-Hu qui apparaît comme un être pur dans le montage français défend ici ce que l'on appelle aujourd'hui "le viol comme arme de guerre", qui consiste à souiller un pays en souillant ses femmes - en plus de servir d'exutoires aux soldats. Un crime dénoncé de nos jours par Amnesty International.

Etrangement, cette preuve d'ambiguïté d'Er-Hu le rend d'autant plus attachant, car plus humain : ancien bandit, peu éduqué, il défend ce qu'il lui reste de sa "culture", si critiquables soient certains aspects. De son côté, Pang défend la discipline et l'esprit militaire et ne supporte pas de voir des civils, hommes ou femmes, être opprimés de la sorte. En dépit de leur comportement odieux, les trois jeunes accusés forcent la compassion lorsqu'ils supplient Pang de ne rien dire à leurs mères. Leur geste souligne en outre la destruction de leurs repères moraux et leur besoin de violenter plus faible qu'eux suite au traumatisme de la bataille. En somme, cette scène est très certainement celle qui suscite les sentiments les plus contradictoires de tout le film.

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la GuerreComparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre

 

L'autre coupe la plus significative concerne le siège de Suzhou, beaucoup plus développé dans le montage chinois et mettant davantage l'accent sur la folie qui guette les assiégés comme les soldats planqués dans les tranchées. On assistait notamment à l'agonie d'un jeune soldat de Suzhou tombé sur le champ de bataille. Un moment pénible qui s'étendait sur des minutes entières, pendant lesquelles le garçon hurlait, pleurait, chantait, provoquait ses ennemis, jusqu'à ce que l'un des hommes de Pang devienne véritablement hystérique. Un passage réduit à dix secondes dans la version sortie en France. Soulignons enfin les coupes relatives au personnage de Lian (Xu Jinglei), l'épouse d'Er-Hu qui le trompe avec Pang. Les étreintes amoureuses un peu brutales entre la jeune femme et le général campé par Jet Li ont été édulcorées. Le monteur américain a-t-il eu pour instruction de cibler le film vers un public familial ?

 

Comparatif des deux versions du film Les Seigneurs de la Guerre



BILAN

En résumé, la version internationale se débarrasse des éléments suivants :

- les plans les plus violents,

- les scènes montrant de la manière la plus viscérale la laideur de la guerre (agonie, viol, etc.),

- les dilemmes moraux les plus déchirants (la dispute autour des deux adolescents violeurs) ;

- les scènes d'adultère explicites entre Pang et Lian.

 

Le résultat est un film mais moins bien rythmé, n'en déplaise au monteur Chris Blunden, mais surtout un tableau plus simpliste du contexte de guerre. Dans la mesure où les coupes sont ciblées sur les moments les plus dérangeants, nous pouvons donc bel et bien parler de Censure, même si ses motivations sont certainement purement commerciales. Le problème est que les cinéastes hongkongais ne se choquent même pas de ces remontages scandaleux puisque le système des versions multiples existe en Asie depuis toujours : entre Hong Kong, la Chine, Singapour ou encore Taiwan, les critères de la Censure diffèrent. Citons le cas d'Une Balle dans la Tête de John Woo, dont il existe un nombre incalculable de versions à travers le monde, le public français étant certainement l'un des mieux lotis de tous. Toujours du côté de John Woo, Les Trois Royaumes est comme on le sait sorti en Occident dans une version "2 en 1", au mépris total de la gestion du rythme et du développement personnages.

 

Le dilemme est donc de taille : faut-il vraiment continuer à souhaiter découvrir les films en salles si c'est pour avoir la mauvaise surprise de voir versions tronquées, là où les direct-to-video arrivent en version intégrale ?

 







The Warlords
The Warlords
Sortie : 5 Février 2008
Éditeur : Mega Star

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