L’Oeil du mal
Le 14/10/2008 à 07:23Par Arnaud Mangin
Pourquoi cet entrain ? Parce qu'ils sont rares, finalement, ces instants où l'on sort d'une projection de presse avec la banane. Eagle Eye nous laisse avec cette honnête sensation de s'être amusé comme un gosse, avec la pleine conscience qu'une salle de cinéma, c'est aussi (et surtout) une cour de récréation, avec toutes les dérives que ça comporte. Le premier atout du film, c'est qu'on ne s'y attendait tout simplement pas. Même si l'on a rien contre D.J. Caruso, le réalisateur n'a jusqu'ici jamais ouvertement affiché de véritables ambitions de cinéastes. Tout au mieux des petits thrillers sans risque et bien emballés, du genre Paranoïak. Une réputation qui forme déjà ce qu'aurait pu être le film tout du long, à savoir une sorte d'Ennemi d'Etat où un pauvre nabab mal rasé se retrouve malgré lui au cœur d'un complot politique sur fond de dérives technologiques, suite à la mort de son frère jumeau, beaucoup mieux rasé. C'est d'ailleurs comme ça qu'on les différencie. Le truc, le petit truc qui fait toute la différence, c'est qu'Eagle Eye sort de l'esprit foisonnant de Steven Spielberg. Voilà qui offrait de toutes nouvelles perspectives...
Pour la petite histoire, Spielberg lui-même devait réaliser le film avant de préférer l'aventure Indiana Jones 4. Et si le résultat n'est définitivement pas de lui, on sent tout de même planer au-dessus de l'entreprise l'ombre toute puissante du monsieur. Comme l'ingrédient qui épice le cinéma de genre un peu plus que de raison. Et qui fait surtout qu'Eagle eye explose littéralement les limites du thriller d'espionnage politico-emberlificotesque. Pour tous ceux qui en ont un peu ras-le bol des Affaire Pélican-like, en quelque sorte. En faisant donc semblant de jouer sur les plates bandes d'Ennemi d'état, puisque l'illusion commence comme ça dès l'affiche, le film décide d'extrapoler jusqu'à l'excès l'incompréhension générée par la technologie outrancière. Il serait donc possible aujourd'hui de tout voir, tout contrôler, tout guider selon le bon vouloir d'un marionnettiste de talent. Et donc de choisir, plus ou moins au hasard, deux péquins (Shia Labeouf et Michelle Monaghan) pour les guider, manipuler ou aider... On ne sait pas trop. Et c'est justement en jouant la carte de l'absence d'informations complètes que le film parvient dans sa première partie à maintenir l'attention. Comme une réinterprétation des intrigues Hitchcockiennes où personne ne comprend vraiment ce qui se passe, ni les héros, ni les spectateurs.
Une vache y perdrait effectivement son veau puisque le premier péquin retrouve un attirail militaire dans son appartement du jour au lendemain, avant d'être capturé par le FBI qui le prend pour un terroriste. Une femme, qui le contacte par le téléphone, est alors en mesure de l'aider s'il suit ses consignes aveuglément. Une aide faussement charitable puisque la mystérieuse femme du téléphone menace de tuer l'enfant de l'autre péquin, si elle ne suit pas ses consignes non plus. Deux personnes dont les chemins finiront par se croiser et qui chercheront à savoir qui les dirige de la sorte, pourquoi et de quelle façon ces personnes peuvent contrôler n'importe quel élément informatique (stopper un train, modifier des feux de signalisation, désactiver des verrouillages informatiques, créer de nouvelles pièces d'identités) pour les aider à fuir les autorités puisqu'ils sont également des fugitifs. Un sacré barouf, permettant à l'intrigue de sortir une carte de son chapeau toutes les cinq minutes au point de rendre l'ensemble de l'histoire totalement imprévisible, d'entretenir perpétuellement le mystère, de faire entrer ou sortir des personnages sans crier gare, et ce, à un rythme effréné.
Parce qu'il y a enfin l'autre bon point d'Eagle Eye. En plus d'être mystérieux, le film entretient promesses sur promesses en se construisant sous la forme d'un film d'action fonçant à 200 à l'heure, sans pratiquement aucun temps mort et dont certaines séquences, carrément homériques, évoluent aussi crescendo que les révélations dévoilées au fur et à mesure. Parce que si le film exploite admirablement coup sur coup ses concepts multiples (comme par exemple deux énormes poursuites en voiture, aux déroulements et aux enjeux radicalement différents), on ne peut malheureusement pas les évoquer ici sous peine de déflorer ce que devient et ce qu'est en réalité Eagle Eye dans sa seconde moitié. Et il y a des petites surprises, comme ça, qu'il faut éviter de gâcher. Toujours est-il que la magie opère, que la touche Spielberg virevolte ça et là (et en l'évoquant, impossible de ne pas penser à son Minority Report) et que le cinéma trouve ici la modeste occasion d'étaler tout ce qu'il a parfois de magique en confondant et faisant évoluer les genres entre eux, sans craindre de vouvoyer parfois le grotesque.
Le plaisir est en tout cas total, s'engloutissant comme un bon gros paquet de pop corn et nous rappelant effectivement que si une partie de l'équipe de Transformers à travaillé là-dessus, ça se ressent. Ne serait-ce que pour l'état d'esprit global de la chose. Du fun plein pot, dont la cerise sur la gâteau est la présence de têtes qu'on est super content de retrouver ensembles (Michael Chiklis, Billy Bob Thorton, Rosario Dawson) pour s'amuser de façon contagieuse. Pas un grand film, ni une claque... Juste un putain d'entertainement qui fait enfin son job correctement !