Lumière Silencieuse
Le 04/12/2007 à 16:45Par Yann Rutledge
A l'instar de son précédent film, le scandaleux Bataille dans le ciel, Carlos Reygadas se singularise avec Lumière Silencieuse du reste de la production cinématographique dès le premier plan, une idée audacieuse qui passera incontestablement en travers de la gorge d'une bonne partie de ses spectateurs. Le cinéaste mexicain débutait Bataille dans le ciel par une fellation filmée en gros plan. Moins sulfureux, Reygadas commence Lumière Silencieuse par un long et unique plan séquence du soleil se levant, la caméra s'attardant sur l'apparition progressive de la lumière, sur les changements de couleurs dans le ciel, et sur les cris et beuglements des animaux environnants qui s'éveillent. Plan magique mais long qui fera fuir quelques spectateurs réfractaires à un cinéma contemplatif. Vous êtes prévenus d'entrée de jeu.
S'il y a un cinéaste auquel Reygadas peut (et même doit) être comparé, c'est sans conteste au russe à qui l'on doit Solaris et Le Sacrifice, Andrei Tarkovski. En effet, là où la majorité des cinéastes construisent véritablement leurs films pendant le montage, ne cachant parfois même pas leur déplaisir d'être en plein tournage, Tarkovski et aujourd'hui Reygadas créent leurs films lors du tournage, s'imprégnant de ce qu'ils ressentent sur les lieux même. La "vérité" se trouve dans le plan, dans sa durée, sa longueur... mais aussi dans l'ennui qu'il inspire !
Car oui, Carlos Reygadas revendique cet ennui. Tout comme Tarkovski, Dreyer ou même Stanley Kubrick et son 2001, l'odyssée de l'espace, Carlos Reygadas s'intéresse à des thèmes indicibles, que les mots ne peuvent approcher. A travers cette histoire de tromperie, le cinéaste cherche plutôt à questionner la notion de foi et les doutes auxquels est confronté son personnage ultra-croyant. Ainsi ce sont plus dans les silences, qui par moment frisent presque l'autisme, que Reygadas nous permet de pénétrer dans l'intime de Johan, de prendre part à ses questions existentielles. Passionnant pour certains de part sa plongée dans les contradiction d'un homme, Lumière Silencieuse en laissera d'autres sur le carreau, ceux-ci n'hésiteront même pas à évoquer l'ennui profond qui les a gagné en pleine projection.
Dans une société contemporaine de plus en plus conservatrice, à la limite du réactionnaire, Lumière Silencieuse apporte un grand bol d'air salvateur. On ne compte plus le nombre de films traitant de l'adultère et qui présentent le mari ou la femme trompeur/trompeuse comme un ignoble personnage devant être puni d'une manière ou d'une autre de son pêché. Bien que Johan appartienne à une communauté à la religion très rétrograde, jamais Reygadas ne le présente comme un être faible à punir pour s'être laissé tenté par le sexe faible. Bien au contraire, le cinéaste ne condamne en rien ses pensées et actions contradictoires, ni ne le présente comme l'exemple à ne pas suivre.
On ne révélera pas la fin désarmante et inattendue, simplement que par les multiples interprétations possibles qu'elle suscite, celle-ci peut s'avérer comme l'ultime coup de grâce à la morale bien pensante qui ronge le cinéma actuel.
Lumière Silencieuse ne fera absolument pas l'unanimité. Mais pour ceux qui se seront laissés emporter par l'atmosphère aérienne de Carlos Reygadas, qui auront pénétré l'univers des mennonites et qui auront partagés les tiraillements intérieurs de Johan, le puissant voyage offert s'avèrera étourdissant.
Pour se mettre en condition, retrouvez ci-dessous l'ouverture du film.