Millenium Les hommes qui n’aimaient pas les femmes
Le 15/12/2011 à 16:25Par Michèle Bori
On attendait ce Millenium version David Fincher comme un thriller haut-de-gamme, captivant de bout en bout, qui nous plongerait dans une atmosphère glaciale et nous raconterait une histoire pleine de suspense et de rebondissement. De ce côté-là, le contrat est mille fois rempli. En revanche, on ne s'attendait pas à tomber sur une œuvre aussi viscérale, troublante, dérangeante. Un film qui nous retourne les intestins, qui nous attaque de l'intérieur et nous laisse dans un état d'épuisement moral total. Il nous vendait un feel-bad movie. David Fincher ne nous a pas trompés sur la marchandise. Découvrez ci-dessous Millenium : la Critique Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes (2012)
Millenium : Critique Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes (2012)
NDLA :Cher lecteur : avant d’attaquer la lecture de cette critique, il est important de noter que l’auteur de cette critique s’est rendu à la projection de Millenium les Hommes qui n’aimait pas les femmes de David Fincher sans connaître les romans d’origine, ni avoir vu les films de Niels Arden Oplev. Vous ne trouverez donc dans les lignes qui suivent aucune comparaison entre les œuvres, ni aucune allusion à la fidélité ou non du film de Fincher par rapport au roman de Stieg Larson.
On a tendance à penser qu’il n’existe que deux types de (bons) films. Ceux qui parlent au cœur et ceux qui s’adressent au cerveau. Ceux qu’on déguste et ceux qu’on digère. Emotion d’un côté, contre réflexion de l’autre. Parfois, quelques films arrivent à allier les deux. Millenium ne fait pas partie de cette catégorie-là. Il ne fait d’ailleurs pas non plus partie des deux précédentes. Le nouveau film de David Fincher est plutôt à ranger aux côtés de ces œuvres qui font naître chez le spectateur quelque chose de plus viscéral. De ceux qui lentement, mécaniquement, sinueusement, viennent faire leur trou dans un recoin de nos entrailles, pour s’attaquer directement à cette partie de notre corps que l’on préfère ne pas déranger. Comme une vilaine fièvre qui nous prend en plein hiver, Millenium fait frissonner, donne parfois de vertige et nous retourne les intestins comme pour nous faire comprendre que quelque chose de pourri est en train de nous ronger de l’intérieur. Il nous vendait un feel-bad movie. Fincher ne nous a pas trompés sur la marchandise.
Après Seven et Zodiac, David Fincher se replonge donc dans un nouveau film d’enquête criminelle. Parce que les romans de Stieg Larson ont été salués par ses lecteurs aux quatre coins du monde (en grande partie pour leur histoire captivante) et parce que David Fincher est coutumier du genre - et qu’il sait mieux que quiconque rendre passionnantes des séquences d’investigation pourtant déjà mille fois ailleurs - on savait que ce Millenium US allait être un polar haut-de-gamme, qui parviendrait sans mal à nous tenir en haleine pendant 2h35. Suspense et rebondissements sont les mamelles du genre et en ce sens, personne ne pourra trouver à redire sur la manière dont Fincher mènera sa barque. Millenium les Homme qui n’aimaient pas les femmes est donc un très grand thriller, captivant de bout en bout. Mais pas que …
Car Millenium, c’est en premier lieu le chaînon manquant entre Zodiac et Seven. La passerelle cinématographique qui fait le lien entre la sombre plongée en enfer de David Mills et celle, plus maladive, plus obsessionnelle et plus méticuleuse, de Robert Graysmith. C’est aussi le prolongement technique logique de The Social Network et de son alliance parfaite entre classicisme (de par sa mise en scène, sa narration) et ultra-modernisme (de par sa musique et sa direction artistique). Comme ce fût le cas avec son film sur Mark Zuckerberg, Fincher s’est épaulé de celui qui peut être considéré comme son pendant musical, celui qui maitrise le son comme lui les images, Trent Reznor. Ensemble ils font de ce Millenium une pièce d’orfèvrerie qui épate par sa maîtrise et son audace formelle. Mais limiter Millenium a une belle coquille serait réducteur. En effet, derrière cette couche de vernis qui lui donne une patine de produit de luxe se cache en fait l’une des œuvres les plus sombres et dérangeantes de ces dernières années.
Millenium ne dérange pas tant par son propos volontiers provocateur (certaines de ses séquences vont heurter la sensibilité de quelques croyants convaincus), ni par la noirceur de son intrigue (qui aligne les séquences trash, il faut le dire) que par sa mise en scène, qui n’a de cesse à provoquer une réaction sensorielle chez le spectateur. Et par mise en scène, on ne parle pas uniquement de découpage pur et dur, mais bien cette "grande bataille" que Robert Bresson désignait comme se livrant presque toujours aux "confluents des cartes d'état-major". A l’instar d’un Funny Games, presque tout dans ce film est fait pour mettre à mal les sens du spectateur. Pour jouer sur la frustration, sur l’écœurement, mais aussi sur les pulsions voyeuristes. Pour le dérouter également. Les notions de bien, de mal, de beau et de laid seront ainsi toutes mises à mal par un jeu de faux semblant qui nous plonge doucement mais surement dans une parano extrême.
On souhaitera souvent que certaines choses nous soient cachées. Par moment, on aimerait au contraire en savoir plus que ce qui nous montré. Parfois, on voudrait que le film s’arrête, juste pour pouvoir desserrer l’étreintes de nos bras sur notre corps crispé par l’angoisse. Mais à la fin, on aimerait que le film dure une heure de plus. Peut-être parce qu’à l’image de ce générique de début déjà culte (merci la reprise de Led Zep par Karen O), on se rendra compte que sous ce maelstrom de sang, de larmes - et d’autres semences - parvient à éclore une fleur. Une fleur sauvage de la variété de celles qui poussent dans les milieux les plus âpres. Une rose noire, nommée Lisbeth Salander. Devant la caméra de Fincher (qui n’avait pas fait preuve d’autant de fétichisme depuis le nouage de cheveux de Paz Lenchantin dans son clip Judith pour A Perfect Circle), Salander est peut-être le personnage féminin le plus envoutant que l’on ait pu voir depuis une certaine Marla Singer. Torturée mais fascinante, psychopathe mais dotée d’une intelligence hors norme, repoussante mais pourtant diablement sexy, Lisbeth synthétise à elle-seule Millenium. Tyler Durden a peut-être trouvé son alter-égo… et rien que pour ça, Millenium Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes mérite d’être vu.