David Fincher, réalisateur de clips
Le 19/01/2009 à 09:56Par Michèle Bori
Natif de Denver, fils d'un rédacteur en chef de Life Magazine, admiratif de Georges Lucas et de Georges Roy Hill (son film préféré est Butch Cassidy et le Kid), David Fincher a fait ses armes comme "homme à tout faire" chez John Korty puis chez ILM (sur quelques petits projets tels que Le Retour du Jedi ou encore Le Temple Maudit) avant de tourner une publicité pour la lutte contre le Cancer qui lui permit de taper dans l'œil de quelques agences commerciales. Commencera alors une longue carrière de réalisateur, dans la publicité et le clip d'abord, puis dans le cinéma ensuite, avec sept films (Alien 3, Se7en, The Game, Fight Club, Panic Room, Zodiac et l'Etrange Histoire de Benjamin Button) qui le feront entrer au panthéon des metteurs en scènes les plus doués de l'histoire du cinéma.
DOSSIER : Les clips de David Fincher
Mais une fois n'est pas coutume, nous ne nous intéresserons pas ici à sa carrière de réalisateur de long-métrages (déjà maintes fois décortiquée), mais bien à ses débuts. A partir de 1984, lorsqu'il n'était encore qu'un simple faiseur de clips à la botte des managers et des chaines de télévisions. A l'instar de ce que nous avions fait pour Francis Lawrence il y a de cela un an, nous nous pencherons ici sur cette période qui lui permit de faire ses preuves et de poser les quelques bases qui lui serviront plus tard dans son travail de cinéaste.
1984-1986 : DES DEBUTS PROMETTEURS
En 1984, le chanteur pop Rick Springfield, alors au sommet de sa gloire (et aussi un peu de sa mégalomanie) depuis son succès interplanétaire Jessie's Girl (rendu culte par la suite grâce à une scène de Boogie Nights avec Alfred Molina) se lance dans le cinéma. Il est à l'affiche du film Hard to Hold de Larry Peerce (illustre réalisateur de télévision dont le plus grand fait de gloire fut la réalisation de Goodbye, Columbus, nominé aux Oscars en 1970) dans lequel il tient le premier rôle. Objectif du film, mettre la vedette en avant et vendre un paquet de BO du film, contenant grand nombre de ses tubes. Face au succès de la BO du film, une des ses chansons, Bop 'Til You Drop, se voit offrir un clip quelques mois après sa sortie en salle, en Octobre 84. Ce sera le premier clip de David Fincher. Et pour sa première vidéo, le réalisateur ne fera pas de complexes : Springfield y est montré en héros d'un futur post-apocalyptique (à mi chemin entre Alien et Metropolis) poussant à se libérer de leurs chaines des humains assouvis par de gros monstres en caoutchouc. L'image est soignée, les décors imposants, l'univers audacieux et le jeune Fincher tapera dans l'œil du chanteur, puisque l'année d'après, à l'occasion de la sortie de son album Tao, Springfield lui demandera de réaliser les vidéos de Celebrate Youth et Dance This World Away. La première se classera 22e dans les Charts américains et marquera la rencontre de Fincher avec le noir et blanc, la seconde lui permettra de développer son travail de Bop 'Til You Drop, en plaçant de nouveau le chanteur dans un monde dévasté.
Un gout prononcé pour les atmosphères déviantes et sombres donc, confirmé la même année par son clip Shame pour le groupe The Motels, dans lequel Fincher filme Martha Davis (chanteuse du groupe) dans une bien étrange chambre d'hôtel. Une œuvre importante dans la carrière de Fincher, puisqu'elle posera les bases de ce qui deviendra par la suite une de ses marques de fabrique : une certaine fascination pour ce qui est de filmer la femme. Preuve en est, la vidéo de All The Love in the World que réalise Fincher l'année suivante (on est maintenant en 1986) pour le groupe The Outfield, groupe de pop Britannique qui explose cette année-là avec son album Play Deep. On y voit une jeune femme "poursuivie" tout au long de sa journée par des télévisions retransmettant une performance du groupe. Si le but premier est bien sur de faire ressortir le pouvoir d'attraction de The Outfield sur la gent féminine, le résultat à l'écran est tout autre, puisque c'est bien cette demoiselle qui est ici héroïne de l'histoire racontée, et non pas le groupe. Un changement radical pour Fincher dans sa manière d'appréhender son travail de clippeur. Il ne conçoit plus ses films comme de simples illustrations des chansons, mais plutôt comme des histoires à part entière.Un choix qui deviendra par la suite une constante dans sa vidéographie. En 86 toujours, il tourne également Every Time You Cry, toujours pour The Outfield, une captation live du groupe, ainsi que One Simple Thing de Stabilizers dans lequel il teste la combinaison noir et blanc + décors urbain qu'il réutilisera plusieurs fois par la suite.
Bop Til You Drop - Rick Springfield (1984)
Dance This World Away - Rick Springfield (1985)
Celebrate Youth - Rick Springfield (1985)
Shame - The Motels (1985)
All The Love in the world - The Outfield (1986)
Every Time You Cry - The Outfield (1986)
One Simple Thing - Stabilizers (1986)
1987 : UNE ANNEE BIEN CHARGEE
Douze clips en douze mois ! Ce sera le bilan de Fincher pour cette année 1987, durant laquelle il opte pour une nouvelle approche dans sa conception des vidéos : filmer les groupes seuls en train de jouer dans des espaces clos. Ce sera le cas des films Should She Cry de Wire Train, I Don't Mind At All de Bourgeois Tagg (avec un très beau travail de jeu de réflexion sur des miroirs), Can I Hold You de Colin Hay et Don't Tell Me The Time de Marha Davis (désormais séparée de The Motels). Quatre clips plutôt quelconques au final, auxquels vient s'ajouter celui de Storybook Story de Mark Knopfler (pour la bande originale de Princess Bride) totalement anecdotique. Mais à côté de cela, il met aussi en boite cinq films plus "Fincher-ien" dans la droite lignée de ces précédents travaux et dans lesquels il continue ses expérimentations monochromatiques en y ajoutant la pincée de luxe, de glamour et de chic qui feront plus tard sa renommée dans la publicité. A noter également qu'il met de plus en plus de femmes dans ses images, comme par exemple dans les excellents Johnny B. pour The Hooters, Say You Will pour Foreigner, No Surrender de The Outfield et Endless Nights d'Eddie Money (qui pourrait faire figure de "Sin City avant l'heure" de par son graphisme). 1987, c'est aussi l'année de Notorious de Loverboy, son premier clip nominé au Video Music Awards (dans la catégorie du meilleur montage). Dans le milieu, Fincher commence à se faire un nom...
Endless Nights - Eddie Money (1987)
She Comes On - Wire Train (1987)
Should She Cry - Wire Train (1987)
I Don't Mind At All - Bourgeois Tagg (1987)
Notorious - Loverboy (1987)
Love Will Rise Again - Loverboy (1987)
Johnny B - The Hooters (1987)
Storybook Story - Mark Knopfler (1987)
Can I Hold You - Colin Hay (1987)
No Surrender - The Outfield (1987)
Say You Will - Foreigner (1987)
Don't Tell Me The Time - Martha Davis (1987)
1988 : UNE PATTE UNIQUE
Précision. Tel semble être le maitre mot de Fincher dès lors qu'il aborde ses découpages. Si dans cette année 1988 il lui arrive de recycler ses idées (comme par exemple avec Englishman in New York de Sting, sorte de version améliorée de One Simple Thing de Stabilizers), il en profite surtout pour s'essayer aux effets spéciaux. Avec Heart of Gold de Johnny Hates Jazz, il fait ses premiers essais avec une caméra motion-control (caméra piloté par ordinateur) qu'il réutilisera bien souvent dans le reste de sa carrière (sur Panic Room en particulier). Avec Shattered Dreams (toujours de Johnny Hates Jazz), il fait des tests d'incrustation de personnages dans des décors fixes. Si 1988 marque également sa première collaboration avec la chanteuse Paula Abdul, pour le titre The Way That You Love Me, c'est surtout pour son travail avec Steve Winwood qu'il sera reconnu. En effet, il tourne deux titres du le bluesman anglais pour son album Roll With It : Holding On, un produit très luxurieux éclairé par le grand Dariusz Wolski (Dark City, The Crow, USS Alabama, Pirates des Caraïbes et plus récemment L'Oeil du Mal) et surtout Roll With It, qui lui valut 5 nominations aux Video Music Award l'année suivante (meilleur clip, meilleur clip d'un chanteur, meilleur réalisation, meilleur montage, meilleure photographie). Il n'en gagna aucun...
Heart of Gold - Johnny Hates Jazz (1988)
Englishman in New York - Sting (1988)
Shattered Dreams - Johnny Hates Jazz (1988)
Roll With It - Steve Winwood (1988)
The Way That You Love Me - Paula Abdul (1988)
Holding On - Steve Winwood (1988)
1989 : LE MONDE A SES PIEDS
... il n'en gagna aucun, avec ce clip ! En effet, la même année, il obtient 17 autres nominations pour 3 autres de ses réalisations ! Six pour Real Love de Jody Watley (meilleur clip d'une chanteuse, meilleur clip de dance, meilleure réalisation, meilleure direction artistique, meilleur montage, meilleur percée), six également pour Straight Up de Paula Abdul (meilleur clip d'une chanteuse, meilleur clip de dance, meilleure chorégraphie, meilleur montage, meilleure révélation, meilleure percée) et enfin cinq pour Express Yourself de Madonna (meilleur clip d'une chanteuse, meilleure réalisation, meilleure direction artistique, meilleur montage et meilleure photographie). Quatre clips, 22 nominations : David Fincher est l'événement des Video Music Awards de 1989. Ses travaux en remportent sept, dont celui du meilleur réalisateur pour Express Yourself.
1989 est une année chargé, puisqu'il tourne encore 12 clips en autant de mois. Parmi les moins marquants, Forever You Girl (une fois encore avec Dariusz Wolski) et Cold Hearted de Paula Abdul, Bomboleo des Gypsy Kings (!!!!!), Heart de Neneh Cherry, The End of Innocence de Don Henley et She's a Mystery to Me de Roy Orbison. On y retrouve souvent le même amour du noir et blanc et toujours cette omniprésence de visages féminins. Mais 1989, c'est surtout l'année durant laquelle Fincher réalise sa première vidéo pour Propaganda Films - la société de production qu'il a fondé quelque années auparavant avec Steve Golin, Greg Gold, Dominic Sena, Nigel Dick et Joni Sighvatsson - qui verra par la suite passer toute la fine fleur des clippeurs des années 90 (Michael Bay, Paul Boyd, Antoine Fuqua, Spike Jonze, Alex Proyas, Mark Romanek, Stéphane Sednaoui, Simon West, John Dahl...). Cette vidéo, c'est Oh Father de Madonna. Un film d'une beauté ahurissante, éclairé par le génie Jordan Cronenweth (Blade Runner) qui est certainement à mettre dans le top 5 de ses meilleurs clips. La même année, il réalise également Janie's Got A Gun d'Aerosmith, qui pourrait quasiment être considéré comme un court-métrage.
Janie's Got a Gun - Aerosmith (1989)
Heart - Neneh Cherry (1989)
Bamboleo (v2) - Gypsy Kings (1989)
Straight Up - Paula Abdul (1989)
Real Love - Jody Watley (1989)
Bamboleo (v3) - Gypsy Kings (1989)
She's A Mystery To Me - Roy Orbison (1989)
Forever Your Girl - Paula Abdul (1989)
Express Yourself - Madonna (1989)
The End of the Innocence - Don Henley (1989)
Cold Hearted - Paula Abdul (1989)
Oh Father - Madonna (1989)
1990 : LA DERNIERE LIGNE DROITE AVANT HOLLYWOOD
Fincher a son futur entre ses mains. Les studios commencent à lui tendre le bras. Mais avant de trouver LE projet qui le tentera, il continue de tourner des clips. 1990, une année de confirmation. Deux de ses clips, Cradle of Love de Billy Idol et Vogue de Madonna, sont récompensés aux Vidéo Music Awards (le second étant certainement l'un des clips de Fincher étant le plus "sous influence" puisque de nombreux plans de la vidéo sont directement inspirés des travaux du photogprahe Horst P. Horst). George Michael fait appel à sa capacité hors norme à filmer les femmes pour magnifier Cindy Crowford, Naomie Campbell, Linda Evangelista, Christy Turlington et Tatjana Patitz dans son hymne Freedom '90. Il continue de plus ses expérimentations visuelles, en mélangeant dessins en 2D en prises de vues réelles (façon Roger Rabbit) dans Opposites Attract de Paula Abdul et teste l'éclairage par flash à l'arc voltaïque (procédé repris par la suite par Mark Romanek dans sa vidéo The Perfect Drug de Nine Inch Nails) pour la vidéo d'Iggy Pop, Home. Cinq films réalisés dans la même année, avant d'attaquer Alien 3 au début de 1991.
Freedom '90 - George Michael (1990)
Opposites Attract - Paula Abdul (1990)
Home - Iggy pop (1990)
Vogue - Madonna (1990)
Cradle of Love - Billy Idol (1990)
L.A. Woman - Billy Idol (1990)
1993-2000 : UN PASSAGE ETRANGE DE SON EXISTENCE
Alien 3 a été une désillusion totale pour Fincher. Incapable de s'entendre avec les pontes de la Fox, qui ne voyaient en lui qu'un Yes-Man se devant de leur obéir à la lettre, il décide de mettre de côté sa carrière de cinéaste pour retourner faire du clip. Mais quels clips ! Il n'a pas pu tourner l'histoire qu'il désirait sur Alien, qu'à cela ne tienne, il le fera sur les deux petites perles que sont Bad Girl de Madonna et Who Is It ? de Michael Jackson. Deux monuments de découpage, aux histoires assez géniales (deux histoires d'amour, comme c'est si souvent le cas chez lui) qui lui permettront de se redonner le moral avant d'attaquer Se7en. Petit détail amusant dans Bad Girl : on y voit Christopher Walken avec une montre à gousset dont les aiguilles tournent à l'envers. Un clin d'oeil précurseur de L'Etrange Histoire de Benjamin Button ?
Après Se7en et avant The Game (dont l'ambiance glam-baroque sera fortement inspirée du clip pour Jackson), il tournera deux nouvelles vidéos, moins pétaradantes cependant : Love is Strong des Rolling Stones et 6th Avenue Heartache de The Wallflowers.
Who Is It? - Michael Jackson (1993)
Bad Girl - Madonna (1993)
Love Is Strong - The Rolling Stones (1994)
6th Avenue Heartache - The Wallflowers (1996)
2000-2005 : SES DEUX DERNIERS BIJOUX
Après The Game, Fincher enchaîne avec Fight Club. Avant de devenir générationnel, le film est un échec commercial retentissant. Fincher est dégouté, déprimé, et, comme après Alien 3, il se réconforte en tournant une nouvelle vidéo. En 2000, il s'entoure de deux cadors, Meynard James Keenan (chanteur et leader des groupes A Perfect Circle et Tool) et Allen Daviau (chef opérateur de E.T. l'extraterrestre, La Couleur Pourpre et l'Empire du Soleil) pour Judith, pour le groupe A Perfect Circle. Peut-être son œuvre la plus connue, cette vidéo utilise le fameux "effet pellicule" de Fight Club (qui fera le bonheur des vidéastes amateurs par la suite, et dont il se resservira pour l'introduction de L'Etrange Histoire de Benjamin Button) et contient en son sein un moment magique : le nouage de queue de cheval de la bassiste Paz Lenchantin (encore une femme, tiens donc). Un enchainement de six plans absolument remarquable, devenu archi culte depuis.
En 2005, juste avant de tourner Zodiac, il collabore avec le groupe de rock Industriel Nine Inch Nails sur la vidéo de la chanson Only, second single de l'album With Teeth. Le visage de Trent Reznor en Pin Art fait directement écho à un plan du clip Who Is It ? dans lequel on voit un visage en 3D sortir partiellement d'un bureau (1:37). Only est la première vidéo entièrement en images de synthèse réalisée par Fincher, sur laquelle il teste les infographistes de Digital Domain avant de leur confier l'énorme boulot de compositing de Zodiac. Ce sera son dernier clip en date.
Only - Nine Inch Nails (2005)
Caractériel, pointilleux et doté d'un égo surdimensionné (pour en savoir plus sur le bonhomme, on suggérera l'excellent ouvrage de Sharon Waxman, Les Six Samouraïs : Hollywood somnolait, ils l'ont réveillé !), Fincher n'en est pas moins un réalisateur à part, au talent hors normes. En 25 ans de carrière, il s'est créé un univers unique, dont il est le seul à détenir toutes les clefs. Maintes fois imité, jamais égalé, il a réussi tout au long de son parcours de clippeur à s'accommoder des exigences des codes de son époque (certains de ses travaux sentent clairement les années 80) tout en y insufflant son style si particulier, mais aussi des thématiques qui lui sont chères. La fascination pour la femme en est une. Elle était déjà au cœur de l'intrigue de Fight Club (qui, on ne le répétera jamais assez, est avant tout une histoire d'amour, une ode à la femme et une métaphore sur le pouvoir qu'elles peuvent avoir sur nous autres pauvres mâles), elle l'est de nouveau dans L'Etrange Histoire de Benjamin Button, son dernier film. David Fincher, un grand romantique ? Rien n'est plus sur ...