Mother
Le 27/01/2010 à 19:05Par Caroline Leroy
Notre avis
Découvrez ci-dessous la critique du film Mother
Il y a trois ans, Bong Joon-Ho secouait la Corée avec l'impressionnant film catastrophe The Host. Depuis, il semble avoir eu à coeur de revenir vers un cinéma plus modeste, plus proche des longs métrages de ses débuts tels que Barking Dogs Never Bite et surtout Memories of Murder. Si entre temps, le réalisateur coréen s'est essayé au court métrage en signant le joli Shaking Tokyo pour le film à sketches Tokyo!, c'est bien à ce polar ironique et virtuose qui le révéla en 2003 que l'on songe devant le mélange de drame social et de thriller qu'est Mother. Le film réunit à l'affiche deux revenants : d'un côté, la comédienne Kim Hye-Ja, disparue du grand écran depuis dix ans ; de l'autre, Won Bin (Frères de Sang), qui effectue lui aussi son grand retour au cinéma après cinq bonnes années d'absence. De cette rencontre improbable naît une oeuvre inégale mais attachante sous l'oeil tour à tour inquisiteur, acerbe et tendre de l'imprévisible Bong.
A partir d'un sujet intimiste et extrêmement banal - l'attachement sans limite d'une mère à son fils -, le cinéaste déploie une intrigue dont les ramifications nous emmènent au-delà de la relation fusionnelle qui unit ces deux êtres, tout en portant sur celle-ci un regard original empreint d'absolu. Ces qualités tiennent non seulement à la construction du scénario à rebondissements de Bong Joon-Ho et à la précision de sa mise en scène, mais aussi à la nuance et à la force de l'interprétation de Kim Hye-Ja, actrice de 70 ans cantonnée depuis longtemps aux rôles de mères aimantes. Dans la peau de cette veuve sans le sou qui se voit retirer sa raison de vivre par des policiers peu consciencieux, elle revisite ici sa propre figure avec une fraîcheur intacte qui la rend poignante. Face à elle, Won Bin approche le rôle difficile du fils indigne malgré lui avec un naturel déconcertant. L'idée de faire de Do-Joon un adulte naïf et simplet sublime de manière intéressante la grandeur et la tragédie de la notion même d'amour incondionnel : quoi que cette mère fasse pour son fils, il ne sera jamais capable de le lui rendre et n'aura même jamais conscience de l'immensité de son sacrifice. Tout cela, Mother le dit avec subtilité et ferveur.
Mais là où Bong Joon-Ho excelle, c'est lorsqu'il ajoute à cette émotion une dimension sociale marquée tandis que l'intrigue emprunte peu à peu les allures d'un polar noir. Si la veuve et son fils sont laminés par le système, c'est en raison de leur rang social inférieur, une thématique que l'on trouvait déjà dans The Host mais aussi les précédents films du cinéaste. Bong Joon-ho n'est pas tendre avec ses compatriotes et la police en prend une fois de plus pour son grade - une constante dans le cinéma coréen. A l'instar de Memories of Murder, Mother s'ouvre sur l'univers très circonscrit de quelques personnes ordinaires - la mère, son fils, l'ami de son fils - pour élargir peu à peu notre horizon et nous dévoiler les secrets hypocritement enfouis de toute une ville. Plus sombre que la première, la deuxième partie de l'intrigue est aussi la plus passionnante, le cinéaste faisant preuve une fois de plus d'un talent indéniable lorsqu'il s'agit de donner à percevoir un même événement selon plusieurs points de vue, le temps d'un mouvement de caméra saisissant. Mother n'est pourtant pas exempt d'un léger défaut de rythme, qui en atténue au final l'intensité. Si l'on ne peut que respecter certains partis pris de montage et de réalisation - comme ce début volontairement long ou certains plans séquences insistants sur Kim Hye-Ja -, le film aurait gagné dans l'ensemble à être plus court, plus compact. Un souci d'autant plus regrettable que Bong évite tout du long les pièges du chantage émotionnel et fait étalage d'une sincérité de tous les instants.
Première publication le 2 décembre 2009 à 10h38