MR-73
Le 18/02/2008 à 14:26Par Michèle Bori
En réalisant un véritable film introspectif, Marchal prouve qu'il est bien plus qu'un simple réalisateur de polar. MR-73 est une oeuvre unique, viscérale, par moment un brin difficile d'accès, mais qui dévoile au grand jour l'extrême sensibilité d'un homme qui, pour ceux qui en doutait encore, a définitivement des choses intéressantes à dire. Et ce n'est vraiment pas le cas de tout le monde.
Dire qu'Olivier Marchal avait une énorme pression sur les épaules pour son 3e film relève de l'euphémisme. Celui qui avait permis au film policier de revenir en odeur de sainteté auprès du public et des financiers français - permettant au passage la production de films comme Contre-enquête ou le Deuxième Souffle - se devait de ne pas décevoir après un 36, quai des Orfèvres qui avait séduit public et critiques et avait attiré la bagatelle de 2 089 232 spectateurs dans les salles. Bref, MR-73 était attendu au tournant, pour son sujet, pour son cast et surtout pour son metteur en scène, un des rares aujourd'hui en France à pouvoir se targuer d'avoir réussi à imposer sa vision à un genre ultra codifié. Et autant le dire tout de suite, MR-73 nous a déstabilisés, nous a envoyé une droite là où on ne s'y attendait pas, nous plongeant dans un univers plein de souffrances et de larmes pour nous infliger un KO direct qui fait mal, qui nous laisse un petit moment au tapis avec le goût du sang dans la bouche.
Pour ceux qui attendent de MR-73 un nouveau polar dans la droite lignée de 36, la chute risque d'être dure. Il faut le dire tout de suite : MR-73 ne s'inscrit pas, mais alors pas du tout dans la même ambition cinématographique que les deux premiers films de son auteur. Car si le milieu dépeint ici reste encore celui des flics, Marchal a avant toute chose cherché à dresser le portrait psychologique d'un personnage brisé qui vivra en 2h de film une lente et inexorable descente aux enfers. Un vrai film noir pour le coup, dans la droite lignée des chefs d'œuvres du genre que peuvent être Assurance sur la mort de Billy Wilder ou Angel Heart d'Alan Parker. Dans l'univers de Marchal, il n'y a pas d'échappatoire, pas de sortie de secours. Les cicatrices laissées par le passé plongent l'homme et le monde qui l'entoure dans une ambiance nihiliste où la mort n'est finalement qu'un prolongement logique d'une vie marquée par les erreurs et les regrets. MR-73 est un film extrêmement sombre, profondément pessimiste sur la nature humaine, et dont l'intrigue n'est finalement que prétexte à parler d'un homme que la vie a laissé sur le carreau.
On ne le répétera jamais assez, Olivier Marchal sait de quoi il parle. Il a passé plus de 10 ans à la brigade criminelle où il a pu voir tout ce qu'il y avait de pire dans l'être humain. Une telle expérience n'a pu que le marquer à vie, le poussant aujourd'hui à tenter tant bien que mal à poser les fantômes de sa propre existence sur l'émulsion d'une pellicule. On savait à l'époque de 36 que l'histoire dont est tirée le film avait été vécue plus ou moins directement par Marchal lorsqu'il était encore à la PJ. Rebelote avec MR-73 puisque, avant de nous plonger dans un générique de début sur une musique de Leonard Cohen, un synthé nous indique que le film est tiré d'une histoire vraie.
Cette histoire, quelle est-elle ? Celle d'un flic, encore un, mis au banc par une grande partie de ses collègues, porté sur la bouteille et reclus dans sa solitude depuis un drame personnel qui l'a séparé de ceux qu'il aime. Ce flic, c'est Daniel Auteuil, qui s'est plongé tête la première dans ce rôle et qui offre ici l'une de ses plus belles prestations. Caché derrière une paire de lunette orangée, Auteuil traîne son corps au cœur d'une ville de Marseille rongée par la crasse, à la recherche d'un tueur en série dont les crimes le replongent inlassablement vers une histoire vieille de 25 ans. Un rôle en or pour une prestation énorme de justesse et d'implication, qui devrait, si tout se passe bien, lui offrir le César qui lui avait été injustement refusé en 2005 pour 36. Autour de lui, la brochette habituelle de ce qu'on peut appeler « la bande à Marchal », avec les habituels Guy Lecluyse, Francis Renaud, Gérald Laroche, Catherine Marchal (la « femme de »), ainsi que deux nouveaux, avec la jolie Olivia Bonamy qui se voit enfin offrir un rôle digne d'elle, et le toujours incroyable Philippe Nahon, dont le visage patibulaire est sans conteste le plus inquiétant du cinéma français d'aujourd'hui. Tous ont mis leur talent au service du scénario de Marchal, se livrant corps et âmes dans leurs personnages, pour offrir un des plus beaux films d'acteurs qu'on ait vu depuis longtemps.
Carton plein en ce qui concerne l'ambiance, les personnages et l'émotion, le tout fortement aidé par une esthétique tout simplement magnifique, puisque la photographie de MR-73, proche dans sa texture de 21 grammes d'Alejandro Gonzales Innaritu, colle parfaitement à l'atmosphère voulue par Marchal. Ultra contrasté, très coloré, le film est un véritable plaisir pour les rétines du spectateur et vient merveilleusement bien habiller l'histoire de Marchal dans un jeu d'ombres et de lumière plus excessif tu meurs. Bref, Bonne chance à Gaumont le jour du portage sur DVD ! Pour autant, même si on se laisse emporter par le tempo très lent du film et que l'atmosphère unique du métrage suffit à elle seule le déplacement en salle, on se montrera peut-être un brin déçu par le scénario. Même s'il semble évident que le suivi de l'enquête policière n'était pas ce qui intéressait Marchal, il est dommage que le chevauchement des deux intrigues principales de l'histoire se fasse si maladroitement, le film se retrouvant plus ou moins coupé en deux parties distinctes. L'histoire de Bonamy ne prenant vraiment de l'importance que dans les dernières bobines, on passe quand même une bonne partie du film à se demander à quoi elle peut bien servir. Un détail pour nous, mais qui aura sans doute beaucoup d'importance aux yeux d'un bon nombre de spectateurs, auxquels l'univers sombre du film ne plaira pas forcément et qui chercheront à s'attacher à une intrigue policière pour ne pas décrocher totalement du récit. Ceux là seront certainement déçus, et c'est pourquoi on le redit une dernière fois : MR-73 n'est pas un deuxième 36, quai des Orfèvres.