Navidad

Découvert au dernier Festival de Cannes où il était présenté en Quinzaine des Réalisateurs, Navidad est le second long métrage du cinéaste chilien Sebastián Lelio (alias Sebastián Campos), qui avait déjà bien convaincu la critique avec La Sagrada Familia en 2004. L'histoire se déroule dans le Chili d'aujourd'hui et s'intéresse à trois adolescents livrés à eux-mêmes dans une maison de campagne. Il y a tout d'abord Aurora (Manuela Martelli) et Alejandro (Diego Ruiz), venus passer un peu de temps dans la demeure abandonnée du père défunt de la jeune fille. Lorsque le garçon comprend les doutes de sa petite amie sur ses tendances sexuelles, le couple est au bord de la rupture. C'est alors qu'entre en scène Alicia (Alicia Rodriguez), une jeune fille de quinze ans qu'ils trouvent évanouie dans la serre suite à une crise due au diabète. Rapprochés par leur solitude, les trois jeunes gens vont vivre ensemble en l'espace d'une journée et d'une nuit une expérience qui va bouleverser leur vie.

Respectant une quasi unité de lieu et de temps, Navidad arbore une savante construction en trois actes marquée par deux ruptures de ton : l'arrivée imprévue d'Alicia, bouleversant la donne dans l'équilibre instable formé par Aurora et Alejandro, et la brutale révélation de la véritable cause des tourments d'Alicia, qui agira comme catalyseur permettant aux deux autres protagonistes de découvrir leur propre vérité. A travers les portraits de ces trois adolescents paumés et hantés par des conflits familiaux insolubles, Navidad capte le malaise de la jeune génération chilienne d'aujourd'hui, la première à avoir vu le jour en démocratie, celle qui n'a pas vécu les drames de la dictature, qui ne s'est pas battue pour ses convictions mais qui cherche encore ses repères dans un monde meurtri. Une génération en complet décalage avec la précédente mais qui encaisse de plein fouet le contrecoup du passé. Cette douleur sourde s'exprime à travers le manque affectif partagé par les trois personnages en plein questionnement identitaire, tous orphelins à leur manière. Décor presque exclusif du film (une seule scène se déroule dans le quartier alentour), la demeure poussiéreuse du père défunt d'Aurora s'apparente à un véritable personnage du film, symbolisant à elle seule le sentiment d'abandon des trois adolescents, leur besoin de sentir leur appartenance au monde en retrouvant leurs racines - en plus des disques de son père, Aurora emportera avec elle un peu de sa terre natale - l'importance de laisser derrière eux les fantômes du passé pour marcher vers l'avenir.

Caméra à l'épaule et sans aucun artifice, Sebastián Lelio filme ces adolescents avec une sensibilité à fleur de peau, cherchant la spontanéité plus que l'obéissance absolue à un scénario - qu'il a d'ailleurs livré à ses acteurs sans dialogue. Le cinéaste, qui se dit lui-même convaincu qu'il existe un « lien secret entre l'adolescence et le cinéma », parvient à faire vivre ses trois personnages sans aucun flash-back explicatif, les éléments de l'histoire personnelle de chacun restant constamment hors champ, se dévoilant peu à peu à travers des allusions, des larmes ou des récits arrivant à l'improviste. Il appartient au spectateur de décrypter chaque regard, chaque geste, tout comme Aurora et Alejandro tentent de déceler le vrai du faux dans le récit d'Alicia avant que celui-ci ne trouve sa cohérence, avec une brutalité libératrice. Navidad est l'histoire d'un passage à l'âge adulte dans la douleur mais aussi d'une renaissance, une histoire sublimée par une photographie d'une beauté à couper le souffle, portée par bande son à la fois mélancolique et porteuse d'espoir, libérée par l'une des scènes d'amour les plus émouvantes vue depuis longtemps.