Pharaon
Le 02/10/2007 à 14:28Par Yann Rutledge
Evocation de la vie de Ramsès XIII, qui prend le pouvoir à la suite de son père dans une époque difficile, avec une population appauvrie, un système administratif en décadence, une armée en révolte et une caste de grands prêtres puissants, Pharaon est une oeuvre magistrale au propos d'une intelligence rare et à l'inventivité visuelle incontestable. A (re)découvrir d'urgence !
Film colossal, Pharaon a été pour le cinéaste polonais Jerzy Kawalerowicz une sorte de remise en question esthétique et thématique, le cinéaste étant jusqu'en 1967, année de réalisation du film, plus habitué à des histoires ne mettant en scène qu'une petite poignée de personnages confinés dans un espace en huis clos : Mère Jeanne des Anges (Matka Joanna od aniolów, 1961) et Train de Nuit (Pociag, 1959), édités chez nous par Malavida, sont là pour en témoigner. En adaptant le roman Le Pharaon (Faraon, 1897) de l'écrivain polonais Boleslaw Prus (1847-1912), le cinéaste opère une évolution radicale de son cinéma, et s'essaye au blockbuster antique qui faisait à l'époque les beaux jours du cinéma américain. Epaulé par son chef opérateur Jerzy Wójcik (Mère Jeanne des Anges, Cendres et Diamands), Kawalerowicz y met de côté le noir et blanc et le format académique (1.33:1) de ses précédents films pour embrasser le format scope et la couleur, se donnant ainsi la possibilité d'offrir au public un spectacle total. Mais à la différence des péplums hollywoodiens qui favorisaient les séquences spectaculaires, Pharaon est une oeuvre qui tente de concilier reconstitution fidèle (sans être tape-à-l'oeil) de l'Egypte antique avec une atmosphère plus intimiste, plus psychologique. Le film met d'ailleurs principalement en avant les discussions politiciennes plutôt que les habituelles séquences de bataille du genre.
Car ce qui importe par dessus tout à Jerzy Kawalerowicz ici, c'est de dresser le portrait d'un empire en pleine chute, dépassé par les différents groupuscules et clans qui prennent petit à petit de la voix grâce à l'appui du peuple. Habilement et à sa manière, le cinéaste dresse dans son film le tableau de l'Union Soviétique tentant de contrôler les aspirations de liberté qui fleurissaient ça et là en Europe de l'Est : en pleine décadence, l'Union est vouée à disparaître comme l'Egypte de Ramsès XIII.
Malgré le succès critique et public de son film, Jerzy Kawalerowicz ne retourna au genre que 35 ans plus tard en adaptant le roman de Henryk Sienkiewicz Quo Vadis ? ; le film du même nom sera malheureusement son dernier film, le cinéaste nous ayant quitté le 27 décembre 2007.