Rachel Se Marie
Le 20/03/2009 à 08:50Par Elodie Leroy
Rachel Se Marie marque le retour fracassant de Jonathan Demme vers le cinéma de fiction, l'auteur mettant à profit son expérience dans le documentaire pour créer des conditions de tournage favorisant l'improvisation des acteurs, du chef opérateur ou encore des musiciens. Interprétées avec un naturel bluffant par des comédiens hors pair, Anne Hathaway et Rosemarie Dewitt en tête, les scènes de famille qui se succèdent explorent une palette de sentiments extrêmement étendue, entre joie des festivités et cruauté des rancoeurs qui remontent à la surface. Finement écrit et jamais démonstratif, le scénario de Jenny Lumet prend vie grâce à la mise en scène virtuose et expérimentale de Jonathan Demme, le cinéaste insufflant toute sa couleur au film à travers des choix musicaux très personnels. Drame familial d'une rare authenticité, Rachel Se Marie est une véritable claque cinématographique.
Depuis le succès public et critique du Silence des Agneaux et de Philadelphia au début des années 90, Jonathan Demme s'est fait plutôt discret sur le grand écran, concentrant davantage ses efforts sur le genre du documentaire. Entre ses incursions dans le monde musical (Neil Young : Heart of Gold et bientôt Neil Young Trunk Show) ou politique (Jimmy Carter Man From Plains) et ses allers retours réguliers vers la Nouvelle Orléans (Right to Return : New Home Movies from the Lower 9th Ward, consacré à la reconstruction de la région suite à l'ouragan Katrina), le cinéaste semble avoir quelque peu mis en sourdine la fiction puisque sa dernière en date, Un Crime dans la Tête, remonte à l'année 2004. Avec Rachel Se Marie, Demme prouve cependant qu'il n'a pas perdu la main, loin de là. Mieux, il met à profit sa fibre documentariste pour fusionner les genres et signer l'un des drames familiaux les plus intenses de ces dernières années.
Tout juste sortie de sa cure de désintoxication, Kym (Anne Hathaway) se rend dans la maison familiale pour assister au mariage de sa soeur, Rachel (Rosemarie Dewitt). Mais l'accueil de cette dernière n'est guère chaleureux et la franchise invétérée de Kym n'est pas du goût de tout le monde. Peu à peu, sa présence va faire resurgir toutes les blessures et les conflits du passé, dont certaines vérités que tout le monde n'est peut-être pas prêt à affronter. La première chose qui frappe dans Rachel Se Marie, c'est l'incroyable authenticité qui imprègne chaque séquence, chaque réplique, chaque décor. Travaillant en étroite collaboration avec son chef opérateur Declan Quinn, Jonathan Demme nous entraîne caméra à l'épaule au beau milieu de la tourmente, au point que le spectateur a très vite l'impression de faire lui-même partie de cette famille, de participer aux festivités du mariage comme aux confrontations incisives entre Kym et son entourage. Comme une étrangère dans sa propre maison, cette dernière fait office d'élément perturbateur puisqu'elle ramène avec elle tout le lourd passé de la famille, faisant involontairement resurgir les rancoeurs, les jalousies, les insécurités de chacun. Une escalade malsaine et incontrôlable s'est enclenchée. Les égoïsmes de Rachel et de Kym s'entrechoquent et donnent lieu à des échanges d'une rare cruauté, la relation conflictuelle et finalement très touchante entre les deux soeurs agissant comme moteur dramatique. En choisissant le mariage du jeune couple comme contexte de ce réglement de compte, la scénariste Jenny Lumet apporte au premier abord une ironie cinglante à l'histoire puisque l'événement est synonyme de célébration de l'amour, de l'union, de la famille, et entre en contraste de manière saisissante avec la noirceur des sentiments qui remontent à la surface. Pourtant, à force de musique et de festivités, Rachel Se Marie distille peu à peu une étonnante note d'optimisme, voire de chaleur humaine. L'histoire de Kym est aussi celle d'une reconstruction, d'une réconciliation avec sa famille et avec elle-même.
S'appuyant sur le scénario remarquablement écrit de Jenny Lumet, fille de Sidney Lumet, Jonathan Demme saisit avec une incroyable virtuosité les interactions entre les êtres, les sentiments extériosées comme les petits gestes furtifs qui trahissent le malaise intérieur de chacun. La caméra se promène dans chaque pièce pour capter les souffrances et les joies qui s'entremêlent pour former un cocktail émotionnel d'une grande richesse. Pour s'approcher toujours plus de la vérité intime des personnages, Jonathan Demme fait travailler ses acteurs dans des conditions favorisant l'improvisation pour en tirer le maximum de spontanéité. "Nous avons choisi de laisser les choses se dérouler naturellement devant la caméra sans essayer de les manipuler", explique le réalisateur. "Nous n'avons pas fait de répétitions, et personne, pas même Declan (ndlr : le chef opérateur), ne savait à quoi allait ressembler la prochaine prise avant que les acteurs ne se mettent à jouer". Le résultat est tout simplement bluffant : le jeu des comédiens atteint un rare niveau de naturel, les émotions explosent à l'écran avec une intensité viscérale. La nomination à l'oscar de la meilleure actrice pour Anne Hathaway (Le Diable s'habille en Prada) n'était pas usurpée puisque la comédienne se révèle méconnaissable et s'efface complètement derrière le personnage de Kym, ex-junkie en quête d'affection et animée par un besoin quasi compulsif de faire sortir la vérité. La prestation de Rosemarie Dewitt (Afterschool) force elle aussi l'admiration, l'actrice parvenant à transmettre avec subtilité les conflits intérieurs de Rachel, personnage qui suscite des sentiments pour le moins contradictoires.
Emporté par sa démarche de réalisme, Jonathan Demme fait appel à ses amis et à ses connaissances pour interpréter les invités, afin que ces derniers aient réellement l'air de se connaître, et emploie exclusivement la musique diégétique pour porter le récit. "Nous avons demandé aux musiciens de jouer quand ils en avaient envie sans se soucier de savoir si la caméra tournait ou non", explique Suzana Peric, superviseur et monteuse de la musique. "Musicalement parlant, c'était un peu l'anarchie sur le plateau. Un vrai bonheur pour les musiciens mais un cauchemar pour les techniciens qui devaient les enregistrer !" Jouée par une troupe multiculturelle au sein de laquelle on retrouve le jazzman Donald Harrison Jr., le Palestinien Zafer Tawil mais aussi plusieurs des musiciens de la Nouvelle Orléans ayant oeuvré sur Right to Return : New Home Movies from the Lower 9th Ward, la musique accompagne les personnages tout au long du film, dont elle participe pleinement à définir le ton, la couleur, le charme. En plus d'être une oeuvre remarquable d'authenticité et de puissance émotionnelle, Rachel Se Marie réunit décidément toutes les passions de Jonathan Demme.