Rock'Nrolla
Le 22/10/2008 à 08:01Par Michèle Bori
Guy Ritchie persiste et signe, son dernier film Rock'Nrolla s'inscrivant donc dans la droite lignée d'Arnaques, Crimes et Botaniques et de Snatch, en nous plongeant encore une fois dans le quotidien de petits gangsters gentils essayant de se dépêtrer d'une sale histoire avec de grands truands méchants. Mais là où ses précédents travaux pouvaient séduire par leur fraicheur et réussissaient à capitaliser sur la sympathie du public par le côté "petits films britanniques faits avec trois bouts de ficelle mais regorgeant d'une joyeuse énergie", Rock'Nrolla ne fait que trahir des limites du cinéma de Ritchie. Puéril, inodore et incolore, le film n'est qu'une resucée de Snatch avec plus d'argent, plus d'effets cheap et moins de charme. Coïncidence ou hasard : le nouveau film de Guy Ritchie sort quelques semaines après l'annonce de son divorce avec Madonna. Dans sa tristesse, on souhaite que cette expérience malheureuse lui apporte un peu de la maturité dont il manque cruellement pour devenir un réalisateur ayant des choses à dire, car pour l'instant, c'est loin d'être le cas.
La démarche était évidente. Tellement évidente même, qu'elle en était touchante de naïveté. Si on pouvait encore se permettre de la souligner discrètement il y a encore quelques mois, difficile de ne pas la pointer du doigt aujourd'hui. Depuis le début de sa carrière, Guy Ritchie n'a qu'une seule idée en tête : marcher sur les traces de son illustre maître à filmer, Martin Scorsese. Si la comparaison semblait légitime à la découverte de l'univers de ses précédentes réalisations (des films de gangsters pour la plupart) et à l'étude la mise en scène du bonhomme, pompée dans les grandes largeurs à celle du papa de Taxi Driver, elle l'est désormais encore plus après la vision de son dernier film, puisque l'anglais a décidé de suivre le même plan de carrière que l'italo-américain. Ritchie avait déjà fait son Mean Streets (Arnaques, Crimes et Botanique) et son Les Affranchis (Snatch), il ne lui restait plus qu'à mettre sur pied un troisième et dernier film pour boucler la boucle. C'est ainsi que naquit Rock'Nrolla, le Casino de Guy Ritchie. Toutes proportions gardées bien sûr.
Reprenant l'univers et la structure de Snatch, assombrissant un poil son propos mais lui enlevant aussi un peu de sa pertinence, poussant ses propres codes de mise en scène jusqu'à la limite du too much, allant même jusqu'à recopier la fameuse scène du "meurtre au stylo" de Joe Pecsi en remplaçant le fameux Watermann par un crayon de bois mal taillé, Ritchie tente de faire bégayer l'histoire et nous propose ici ce qui devait être son film le plus grandiose, le plus extrême, bref le plus "Ritchi-esque". La démarche est audacieuse. Le problème est qu'elle n'est pas sans risque. Pousser son propre cinéma dans ses derniers retranchements quitte à en dépasser les limites jusqu'à l'écoeurement - comme Scorsese l'avait fait avec Casino donc - a pour principale conséquence d'en rendre bien plus visibles ses failles et ses contradictions. Et avec Rock'Nrolla, elles sont sacrément visibles ces failles !
On savait le cinéma de Ritchie naïf, immature, inoffensif et brassant beaucoup d'air pour pas grand chose. On le savait, mais on l'aimait bien quand même, par sympathie pour le bonhomme d'une part et parce qu'il se dégageait de ses films un "je-ne-sais-quoi" qui rendait l'ensemble bancal certes, mais aussi foncièrement dynamique et rafraichissant. On appelle ça une âme. On pardonnait volontiers les erreurs de jeunesse du metteur en scène, en se disant qu'il avait la vie devant lui pour gagner la maturité qui le ferait progresser. Seulement voilà, dix ans après Arnaques, Crime et Botanique, le cinéma de Guy Ritchie n'a pas évolué d'un iota. Malheureusement pour lui, ce qui faisait le charme de ses précédents travaux (dont on détachera A la dérive par respect) semble s'être évaporé depuis Revolver, laissant place à un désagréable sentiment de déjà-vu et nous donnant l'étrange sensation que le garçon n'a jamais cherché à faire évoluer son travail, se reposant intégralement sur ce qui, selon lui, avait fait le succès de ses premiers films. Avec Rock'Nrolla tous les défauts que l'on remarquait sans pour autant broncher se retrouvent multipliés par 10. Encore plus bavard et plus artificiel dans son fond, encore plus tape à l'œil dans sa forme (de son plus petit mouvement de caméra jusque dans sa lumière "bling-bling" d'un très mauvais gout), Rock'Nrolla s'impose comme le worst-of ultime de son réalisateur. S'enfermant dans des clichés qu'il s'est lui même imposé, Ritchie, incapable d'insuffler le minimum syndical "d'âme" dont on parlait plus haut, peine à faire "vivre" son film et, pire encore, n'arrive même pas à nous faire rentrer dans un univers que l'on connait déjà (puisqu'il est le même que dans Arnaques ... et Snatch) ! En voulant faire du "sur-Ritchie", Ritchie fait donc du sous-Ritchie. Il faut dire aussi qu'entre temps, dans le même style, Joe Carnahan était passé par là avec son Mise à Prix qui pouvait déjà être qualifié de "Guy Ritchie sous amphèt'", donnant un sérieux coup de vieux à la filmo de l'anglais, se retrouvant donc battu sur un terrain qu'il avait lui-même construit.
Plus ennuyeux qu'une mauvaise parodie amateur comme on peut en voir des centaines sur le net, Rock'Nrolla est un donc ratage et l'exemple le plus frappant de cet echec artistique nous amène directement vers les personnages. La force d'un film de gangster réussi, c'est d'arriver à nous rendre attachantes des petites frappes avec lesquels le spectateur n'a, semble-t-il, rien en commun. Jason Statham, Benicio Del Toro ou Brad Pitt dans Snatch en étaient les parfaits exemples. Ici, malgré un casting en or composé d'acteurs potentiellement charismatiques (Gerard Butler, Tom Wilkinson, Jeremy Piven d'Entourage, Idris Elba de The Wire), aucun des protagonistes dépeints n'arrive à s'attirer notre sympathie, dans la mesure où ils se retrouvent tous sacrifiés sur l'autel d'une fausse "cool-attitude" nauséeuse, inlassablement plombée par une accumulation de poncifs, ridicules qui plus est ! L'intérêt du film en prend donc un sérieux coup derrière la casquette, une des intentions premières de Ritchie étant de dresser le portrait de caractères exubérants et hauts en couleurs. Et comme ce n'est pas le scénario - imbroglio sans queue ni tête à base de vol de tableau et de promotion immobilière - qui viendra sauver l'affaire, Rock'Nrolla est au final un film totalement insipide et surtout profondément ringard. En même temps, il s'agit d'une production Dark Castle (13 Fantômes, Gothika, ...). Il ne fallait donc pas s'attendre à un chef d'œuvre.