The Damned United

Malgré son statut de "sport le plus populaire du monde", le football (au sens européen du terme) ne se voit que très rarement placé au centre d'œuvres cinématographiques. Ou alors, juste pour évoquer une grande figure (Looking for Eric, Maradona by Kusturica, Zidane portrait du XXIe siècle), ou bien comme toile de fond, comme c'est le cas avec quelques films sud-américains sortis ces dernières années (L'année où mes parents sont partis en vacances, El camino de San Diego). Mais les vrais films abordant ce "sport de gentleman joué par des voyous" (Joue-la comme Beckham, She's the Man, Coup de tête, Jimmy Grimble, Shaolin Soccer ... on taira par politesse les deux Goal ! et 3 zéros) mettant en scène et dramatisant de "vraies" parties de foot sont plutôt rares. Surtout lorsqu'on les compare avec les productions américaines sur le Basket, le Foot US ou le Baseball ... C'est pourquoi, lorsque nous avons appris la mise en chantier d'un film sur Brian Clough, entraîneur mythique de Nottingham Forrest dans les années 70, nous ne pouvions que nous frotter les mains en imaginant un film qui aborderait enfin quelques aspects tactiques d'un sport moins rudimentaire qu'il en a l'air. Hélas, si le film s'avère intéressant de par sa tournure narrative et ses choix thématiques, il se montre néanmoins un peu plus décevant dès lors qu'il essaye de parler Football.

En s'attaquant à la vie de Brian Clough, Tom Hooper fait le choix de parler d'un homme rongé par l'ambition et le désir de surpasser un modèle. Un axe intéressant puisqu'en effet, Clough est certainement l'un des entraîneurs les plus charismatiques de l'histoire et son désir de réussite n'avait d'égal que son amour du beau jeu. Un personnage bicéphale donc, tantôt génial tantôt odieux et dont les écarts de langage et la mégalomanie étaient autant salués par les foules et la presse que mal vus par le petit monde conservateur du ballon rond. Bref, pour faire simple, Brian Clough était un peu le José Mourinho de l'époque. Sa phrase la plus célèbre fût d'ailleurs : "Je ne dirais pas que je suis le meilleur entraîneur, mais je suis dans le top 1". Le choix de faire un film sur l'homme, sur ses égarements, sur ses coups de sang, sur la manière dont son entourage devait apprendre à vivre à ses côtés, sur sa relation avec ses amis (en particulier son fidèle adjoint, Peter Taylor) et ses joueurs n'est donc pas dénué de sens ni d'intérêt, loin de là. The Damned United se pose comme un portrait qui nous fait découvrir l'ascension (puis la chute) d'un homme haut en couleur, d'un véritable "personnage" évoluant dans un milieu assez imperméable aux excès. En cela, le film de Hooper est une belle réussite qui nous gratifie de quelques jolies séquences dans lesquelles l'excellent comédien Michael Sheen (Frost/Nixon, The Queen, Underworld) s'en donne à cœur joie et cabotine juste ce qu'il faut pour nous rendre Clough sympathique. Le cinéphile venu se délecter d'une belle histoire est donc ravi... mais pour ce qui est du fan de foot, c'est une autre affaire !

En effet, Tom Hooper a fait le choix de se concentrer presque exclusivement sur les coulisses du sport, délaissant un peu trop le terrain. Une démarche qui ne déplaira pas aux néophytes, mais qui laissera les spécialistes sur le carreau, déçus que le film ne s'attarde pas un peu sur les qualités de tacticien de son protagoniste central. Car s'il était une figure médiatique forte, Clough était avant tout un footballeur hors pair qui à sa manière à tout simplement révolutionné son sport. Emergeant dans les années 70, une époque où le Football anglais brillait surtout par sa dureté et sa simplicité affligeante (le fameux "kick & rush" date de cette période). Clough fut le fervent défenseur d'un style plus léché, moins aérien, plus collectif, plus Joga Bonito comme on dit aujourd'hui. Dans tous les clubs où il est passé, il n'a cessé d'œuvrer pour offrir aux spectateurs des matchs de qualité, pleines de belles actions, loin des standards et des gimmicks de son époque. C'est pourquoi il fut un grand entraîneur, dont les ambitions tactiques sont encore étudiés aujourd'hui. Dans le film, cet apport au Football moderne est hélas très peu mis en exergue et se limite à quelques phrases parlant de "beau jeu". Une carence qui fait de The Damned United un film "grand public" (on imagine mal le chaland s'intéresser à des laïus technico-tactiques) mais qui le prive aussi d'une portée ludique et instructive, laissant ainsi les aficionados sur leur faim.