The Reader
Le 24/06/2009 à 10:21Par Elodie Leroy
Entre condamnation et nécessité de compréhension, The Reader aborde la question de l'Holocauste à travers le point de vue rarement abordé d'un homme issu de la "seconde génération". On reprochera au film son système narratif académique entraînant quelques lourdeurs et facilités, mais le propos n'en soulève pas moins des questions morales osées et pertinentes, en plus de délivrer quelques précieux moments intimistes sublimés par la composition de Kate Winslet.
"La notion du secret est centrale dans la Littérature occidentale", explique un professeur à ses élèves dans le film. Le secret et la Littérature sont justement au coeur de ce nouveau long métrage de Stephen Daldry, The Reader, adapté du roman du même nom de Bernhard Schlink qui avait fait couler beaucoup d'encre lors de sa sortie. Auteur de Billy Elliot et Les Heures, Stephen Daldry se fait plutôt rare sur le grand écran mais frappe les esprits à chacune de ses oeuvres. Même si sa dernière en date, The Reader, n'atteindra pas les sommets des films cités précédemment, elle ne fait pas pour autant exception à la règle de par l'audace de ses thématiques. The Reader revient en effet sur le plus sombre chapitre de l'Histoire contemporaine de l'Europe, à savoir le génocide des Juifs par les Nazis, à travers l'histoire personnelle d'un homme issu de la "seconde génération" - les Allemands nés après l'Holocauste - c'est-à-dire à travers un point de vue rarement pris en compte. Au lendemain de la guerre, un adolescent introverti du nom de Michael Berg (David Kross) fait la connaissance de Hanna (Kate Winslet), une jeune femme de trente-cinq ans dont il devient l'amant et The Reader. Des années plus tard, longtemps après le départ aussi soudain qu'inexpliqué de la jeune femme, Michael la retrouve sur le banc des accusés au procès des crimes de guerre Nazis.
Si The Reader n'entretient aucune ambiguïté sur l'atrocité de l'Holocauste, le propos fait controverse en raison du mélange de condamnation et de recherche de compréhension manifesté à l'égard de certains de ses bourreaux. En s'appuyant sur le regard très humain que Michael porte sur Hanna, un regard imprégné de sentiments intenses et contradictoires évoluant tout au long de sa vie, The Reader tente de répondre à une question simple : comment de telles horreurs ont-elles pu arriver dans un monde civilisé ? En faisant du personnage de Hanna un être humain à part entière, parfois misérable mais pas détestable, The Reader nous rappelle que nous ne sommes jamais à l'abri d'une répétition de l'Histoire. Comprendre l'incompréhensible, tel est le besoin de cette seconde génération qui porte en elle la culpabilité et la honte issues d'un crime qu'elle n'a pas commis mais avec lequel elle possède un lien inextricable. Un lien qui met en cause la construction même de l'identité de ces hommes et de ses femmes dont les parents sont potentiellement coupables ou complices d'un génocide. Ce fardeau s'exprime pleinement à travers le personnage de Michael, jeune homme taciturne qui garde ses distances vis-à-vis de sa propre famille pour se jeter dans une relation pleine de non-dits placée sous le signe de la Littérature, symbole de la Culture mais aussi de l'élévation du coeur et des sentiments. Portée par une mise en scène raffinée que n'aurait pas renié le regretté Anthony Minghella, l'un des producteurs du film, les séquences se déroulant dans l'Après-guerre s'avèrent tout simplement sublimes. Les scènes d'amour entre Michael et Hanna délivrent quelques moments intimistes d'une rare beauté, habités par un regard très féminin sur ce jeune garçon initié à l'amour par une femme ayant le double de son âge. En plus de délivrer une composition d'une grande profondeur qui lui a d'ailleurs valu l'Oscar de la Meilleure Actrice, Kate Winslet déborde de sensualité et de présence dans le rôle de Hanna, face au jeune David Kross qui s'impose comme la révélation du film.
Pourtant, The Reader n'atteindra pas le statut de chef d'oeuvre qu'il aurait pu avoir. Si le récit de la jeunesse de Michael déploie des trésors de mise en scène, il n'en va pas de même pour les scènes se déroulant dans le présent, dont l'académisme et la présence de plus en plus envahissante à mesure que le dénouement se rapproche confère à la narration une certaine lourdeur dans la deuxième heure. Ces scènes se justifient certes par les intentions du film qui replace le poids de l'Histoire dans le contexte d'une vie entière. Dommage que ce récit parallèle se complaise dans une certaine facilité dans sa manière de transmettre les émotions, et ce malgré l'interprétation toujours très juste de Ralph Fiennes. Stephen Daldry se fait presque subtil dans son portrait de Hanna (son secret personnel ne sera jamais verbalisé dans le film) mais ne retrouve pas la fluidité narrative des Heures dans son parallèle entre le passé et le présent de Michael. Ajoutons à cela des maquillages de vieillissement un tantinet visibles sur Kate Winslet, un défaut que l'intensité de jeu de la comédienne fait heureusement partiellement oublier. A défaut de satisfaire sur tous les plans, The Reader n'en demeure pas moins une oeuvre émouvante qui soulève d'importantes questions morales, ce qui est déjà beaucoup.