Un Homme Qui Crie

Critique Un Homme Qui Crie

Pour son quatrième long métrage, Mahamat-Saleh Haroun se voit pour la première fois accorder l'honneur de figurer en compétition au Festival de Cannes 2010. Et le cinéaste ne repart pas les mains vides puisque Un Homme Qui Crie crée la surprise en remportant le Prix du Jury, une récompense amplement méritée. Il faut dire que Mahamat-Saleh Haroun délivre une œuvre touchante, artistiquement très aboutie, et dont le propos, s'il s'inscrit dans un contexte politique et social propre à son pays d'origine, s'avère au bout du compte très universel.

L'histoire plante son décor dans le Tchad d'aujourd'hui, alors que la guerre civile fait rage depuis des années. Si les premières séquences introduisent Adam (Youssouf Djaoro) et son fils Abdel (Diouc Koma) travaillant côte à côte dans la joie et la bonne humeur au milieu des riches touristes, l'annonce de l'affectation d'Adam au poste de garde-barrière mais aussi du licenciement de plusieurs de ses collègues tombe comme un couperet. A travers cette rétrogradation vécue par Adam comme une déchéance sociale, c'est la mondialisation qui est pointée du doigt, avec ses effets pervers puisqu'elle introduit dans cette histoire une tension malsaine au sein même d'une famille en créant une jalousie du père, angoissé de vieillir, envers le fils, qui ne boude pas les valeurs du consumérisme (le jeune homme immortalise chaque instant de sa vie avec son appareil photo numérique). Mais c'est finalement un fléau bel et bien interne au pays qui va tout faire basculer : la guerre civile va mettre Adam au pied du mur lorsque le chef de quartier, dont les pratiques sont celles d'un racketteur, le sommera de participer à l'effort de guerre. Un Homme Qui Crie est l'histoire déchirante d'un père de famille qui, cerné de toutes parts par les pressions sociales, va commettre un geste irréparable.

Outre son climat de peur et de tension, la force d'Un Homme Qui Crie réside dans le choix de son point de vue, celui d'Adam, et de sa relation avec son fils comme angle d'approche. Le regard empreint d'empathie du cinéaste condamne l'acte mais jamais l'homme, dont le destin n'est pas sans évoquer l'épreuve d'Abraham dans la Genèse. À ceci près qu'Adam ne reçoit en retour de son sacrifice que le silence et le désespoir. À partir ce la séquence déchirante du départ forcé du fils à la guerre, une douleur sourde envahit le film tandis qu'Adam ne parvient pas à assumer les conséquences de son geste. Avec pudeur et élégance, dans la sobriété des cadrages comme dans le jeu des comédiens (Youssouf Djaoro, formidable), Un Homme Qui Crie souligne le caractère destructeur de la guerre, constamment hors champ mais dont le poids est omniprésent puisqu'elle va jusqu'à briser la cellule familiale, gangrenant la société comme la culpabilité gangrène l'esprit d'Adam. Un Homme Qui Crie n'est pas un film sur la guerre mais sur ceux qui l'encaissent en silence, ceux dont les drames ne figurent dans aucun livre d'histoire. Un propos dont la dureté n'a d'égale que son caractère universel, pour un film poignant jusqu'à sa toute dernière image.