Critique : Serial Experiments Lain
Le 09/12/2008 à 18:02Par Elodie Leroy
Lain est une jeune lycéenne renfermée et taciturne. Choquée par le suicide inexpliqué de sa camarade de classe Chisa, elle reçoit peu après le drame, un e-mail provenant de la disparue! Des phénomènes étranges vont dès lors se produire autour d'elle. Curieuse, la jeune fille décide de s'aventurer sur le « WIRED », à la recherche d'une explication à tous ces faits insensés. Au cours de ses explorations, d'autres suicides vont suivre la mort de Chisa. Tous ces disparus semblent avoir participé à un mystérieux jeu en réseau! Une question devient de plus en plus obsédante : qui est Lain ?
Nous sommes en 2008 et il y a maintenant dix ans que l'une des plus fascinantes séries d'animation a vu le jour : Serial Experiments Lain. Une série qui, en dépit des évolutions technologiques que le monde a connu entre temps, n'a pas pris une ride - on pourrait même dire que ses thématiques sont plus que jamais d'actualité aujourd'hui.
Série culte, Serial Experiments Lain reste au même titre que Ghost in the Shell l'une des manifestations les plus emblématiques du mouvement cyberpunk japonais de la fin des années 90, ayant par là même participé à l'instar du film de Mamoru Oshii à redéfinir les problématiques du genre de la science fiction d'anticipation à l'échelle mondiale (pour ne citer qu'un exemple, Matrix s'en est largement inspiré). Comme le souligne le producteur exécutif Akihiro Kawamura dans l'interview présente dans ce coffret 10e anniversaire, l'initiateur de la série, Yasuyuki Ueda (Hellsing, Ailes Grises), avait su anticiper non seulement l'impact de l'introduction de l'Internet mais aussi les problèmes de société que l'invasion du réseau dans notre mode de vie allait engendrer. Il faut dire que Ueda était épaulé par le scénariste Chiaki Konaka, à qui l'on doit aussi aussi les scénarios d'Armitage III : Poly Matrix (qui rendait un hommage appuyé à la littérature SF anglo-saxonne, à commencer par Le Neuromancien de William Gibson) et plus tard la très étrange série Texhnolyze.
Dans Serial Experiments Lain, chaque épisode, ou "layer" selon le terme susurré par une voix presque robotique, débute rituellement par les mêmes images - la mention "present day, present time", le générique entrecoupé d'un écran brouillé, les plans nocturnes sur la ville. Pourtant, à la manière de la série horrifique Boogiebop Phantom de la même époque, la série explore des thèmes aussi variés qu'intriguants à travers des histoires au premier abord indépendantes mais qui ont toutes pour dénominateur commun l'intervention d'une adolescente du nom de Lain Iwamura. A travers la quête de cette dernière, Serial Experiments Lain explore des sujets forts tels que la superposition du virtuel avec le réel, le culte de la technologie (la chambre de Lain progressivement envahie par les machines), les troubles identitaires voire la schizophrénie de certains internautes, l'émergence de communautés underground aux intentions ambiguës (les Knights) ou encore les dérives des gamers adeptes de jeux en réseaux.
Cela dit, en débutant par le suicide d'une adolescente, avec la perspective d'un phénomène de groupe et d'un effet boule de neige, Serial Experiments Lain affiche clairement ses intentions de traiter de l'adolescence et de ses troubles. Le personnage-titre, Lain, n'est autre qu'une collégienne introvertie vivant dans un environnement familial sain en apparence, mais où la communication s'est perdue depuis longtemps au profit de relations presque mécaniques. Peu à peu, Lain va se déconnecter de la réalité matérielle tout en révélant d'autres identités à travers le Wired. Allant jusqu'à remettre en cause sa parenté avec sa famille, elle va chercher des réponses à ses questionnements mystiques dans le virtuel et sombrer dans une certaine forme de paranoïa. Elle n'en paraîtra pas moins accéder à une forme de bonheur à travers le Wired, là où d'autres trouveront la mort psychique, voire physique, ou sombreront dans la drogue. A ce titre, Serial Experiments Lain peut aussi être interprété sous un angle philosophique puisque de nombreux éléments font douter de la réalité matérielle du monde dans lequel Lain évolue physiquement, des indices aussi bien narratifs (les scènes qui se répètent) que sonores (le son omniprésent des câbles) et visuels (les zones de vide, les formes se dessinant dans l'ombre, les silhouettes qui s'effacent) qui peuvent aussi laisser imaginer que l'histoire se déroule dans la réalité perceptive de la jeune fille. L'histoire emprunte des sentiers imprévisibles et le dénouement s'avère passionnant, ne répondant volontairement pas à toutes les questions et offrant de multiples possibilités d'interprétation.
Sur le plan formel, Serial Experiments Lain frappe par son apparente simplicité. Si l'animation à proprement parler n'a rien d'exceptionnel, l'esthétique brille par ses partis pris graphiques osés et fort bien exploités par une mise en scène hypnotique, succession de séquences énigmatiques baignant dans une atmosphère inquiétante et destabilisante. Utilisant de subtils effets sonores pour faire naître le malaise et des répétitions pour happer le spectateur, jouant sur les cadrages instables et les designs asymétriques (tels que la coiffure de Lain) pour provoquer une sensation de déséquilibre, la série possède quelques moments tout simplement glaçants, les touches horrifiques se voyant disséminer parcimonieusement mais avec une efficacité redoutable (voir les layers Girls et Distorsion). Serial Experiments Lain marque aussi l'une des nombreuses collaborations de Yasuyuki Ueda avec le character designer Yoshitoshi ABe, dont le style épuré participe à susciter de manière insidieuse cette impression unique d'étrangeté qui imprègne la banalité du quotidien et que l'on retrouve presque à chaque plan.
Pour beaucoup d'amateurs de science-fiction, la série Serial Experiments Lain n'a été égalée par aucune des tentatives postérieures du genre, en termes de réfléxion comme de capacité à anticiper l'avenir. On appelle cela une oeuvre visionnaire.
Pour le 10e anniversaire de Serial Experiments Lain, Dybex ressort l'intégrale de la série dans un splendide coffret collector, qui propose entre autres et pour la première fois une piste 5.1 française, en plus d'une galerie de suppléments inédits parmi lesquels une illustration et un manga inédit de Yoshitoshi ABe.