Le Cinéma enragé au Japon
Le 12/11/2010 à 10:00Par Yann Rutledge
Cette seconde édition de l'ouvrage (la première édition publiée chez Sulliver date de 2006) est l'occasion pour le journaliste notamment à Mad Movies et auteur de Category III - Sexe, Sang Et Politique À Hong Kong (Bazaar&Co, 2009) d'accorder à Koji Wakamatsu - dont on redécouvre aujourd'hui un peu tard les films - le rôle matrice de toute cette rage plaquée sur nitrate. Tandis que dans la rue, révoltes et contestations grondent contre l'autorité en place, Wakamatsu livre effectivement dans les années 60 toute une série de bobines politiquement engagées et formellement très abouties où s'enlacent dans un même lit Éros et Thanatos, grivoiseries et appel à la rébellion. Si au travers de Les Secrets derrière les murs, L’Extase des anges ou encore La Saison de la Terreur le cinéaste démontrera qu'un cinéma en marge des studios est tout à fait possible tant qu'est offert au public de quoi lui chatouiller la rétine, personne ne prendra sa relève militante. Les dérives meurtrières des groupes révolutionnaires nippons auront effectivement une résonance hostile au sein de l'opinion publique et porteront un coup fatal tant aux différents mouvements qu'au cinéma d'extrême-gauche. Or si le cinéma révolutionnaire n'est plus, le Pays du Soleil Levant ne s'est pour autant pas assagi.
L'extase des anges de Koji Wakamatsu
Alors qu'à la fin des années 70-début des années 80, le Japon connait un miracle économique sans précédent, les grandes théories révolutionnaires qui ont animées la génération précédente ont été balayées. L'idéalisme qui prévalait dix ans auparavant s'est mué en désillusion et en une incapacité à se projeter dans l'avenir. Et la jeunesse nippone de scander No future ! à l'unisson avec le Royaume-Unis. Le chef de file de ce mouvement marginal - situation paradoxale pour un mouvement aux fondements anarchistes et libertaires - est sans nul doute Sogo Ishii. Ce n'est pas tant de communiquer un message de révolte qui occupe Ishii mais de retranscrire de manière cinétique une hystérie générationnelle. S'il alterne avec plus ou moins de réussite productions indépendantes (bancales mais électrisantes) et films de studios (du coup moins personnels), le cinéma est pour lui avant tout un exutoire. De ses premiers cris de colère dirigés contre les institutions scolaires et sociales (Panic in High School, un trailer) aux films post-apocalyptiques (Burst City, un trailer) où s'affrontent divers gangs bardés de cuir et de clous tout droit sortis de Mad Max, son œuvre tient effectivement de l'épreuve physique et sensorielle. Bien qu'il ait par la suite pris une tangente plus onirique et suggestive (Le Labyrinthe des rêves, un trailer), Sogo Ishii a ouvert en grand les portes du possibles à toute la déferlante suivante du cinéma underground, de Shinya Tsukamoto (Testuo, Tokyo Fist) à Shozin Fukui (Rubber's Lover, 964 Pinocchio).
964 Pinocchio de Shozin Fukui
Kichiku de Kazuyoshi Kumakiri
Si le regard porté sur ces quarante années enragées n'est pas neuf pour qui s'est déjà procuré diverses publications anglophones, le livre de Julien Sévéon demeure essentiel parce qu'il reste à notre connaissance tout simplement le premier en France à traiter du sujet. Si les néophytes y trouveront assurément leur compte, ils n'éviteront pas la frustration de ne pas avoir accès en France à la majorité des films cités dans ces pages.