John Rambo : Le Director's Cut décortiqué
Le 02/08/2010 à 12:45Par Arnaud Mangin
L'occasion faisant le larron, LionsGate (aux États-Unis) et Metropolitan (en France) profitent légitimement de la sortie en salle de Expendables : Unité Spéciale pour mettre sur le marché une nouvelle édition de John Rambo, proposant un director's cut. Une démarche qui, en général, fleure bon l'opportunité commerciale (ce qui est un peu vrai ici), d'autant plus que compte tenu de la liberté de ton de la version d'origine et surtout de l'énorme boucherie qu'était le film, la director's cut existait déjà, en quelque sorte. Et pourtant, Sylvester Stallone nous propose bien là une alternative repensée par rapport à ce que nous avions découvert il y a deux ans et demie, parvenant à raconter une histoire sensiblement différente en réorganisant quelque peu son imagerie. Une vraie force narrative due à la qualité du montage, qui avait déjà fait ses preuve dans la version de 2008 en racontant énormément de choses sans s'attarder en palabre. La méthode est la même, mais elle emprunte une autre direction. Par conséquent, ce montage de 2010 n'est ni vraiment meilleur ni plus mauvais... Il essaye tout simplement autre chose.
Vous pouvez également retrouver le test complet du Blu-Ray sur ce lien.
Bien évidemment, cette analyse contient des spoliers que nous déconseillons de lire à ceux qui n'aurait pas du tout encore vu le film.
Premier point important, ceux qui se ruent sur un director's cut dans l'espoir d'y découvrir des séquences inédites en pagaille seront horriblement déçus puisque le propos n'est même pas là. On peut même dire que ceux qui auront vu le film une seule fois à sa sortie sans en avoir gardé un grand souvenir ne verront peut être pas la différence. Avec un petit écart de seulement 8 minutes (la version salle dure 1h31 et le director's cut 1h39, en comptant 10 minutes de générique de fin), on y retrouvera quelques plans et séquences inédites mais rien qui ne saute réellement aux yeux. Pas la peine d'espérer y trouver des scènes d'action supplémentaires ou encore un peu plus de sang... Il y en avait déjà assez comme ça. Les plus importants changements visuels étant ceux qui apparaissaient dans les scènes coupées de l'édition précédente. Néanmoins le film change de façon importante sur deux aspects : le personnage même de John Rambo ainsi que sa relation avec Sarah (interprétée par Julie Benz). En effet, si la version de 2008 peignait un personnage décalé du reste du monde, déshumanisé et acceptant son statut de machine de guerre refoulée ne demandant qu'à exploser sans le moindre sentiment, le montage de 2010 file dans la direction opposée.
D'un montage à l'autre la part d'ombre négative du personnage s'oriente un peu plus vers la lumière et c'est enfin une lueur d'espoir que l'on offre à un mastodonte qui était jusque là condamné à ne jamais ressortir de ses souffrances passées. Le premier montage allait même excessivement loin en expliquant que le personnage était un psychopathe qui avait le meurtre dans le sang et qui n'attendait que certaines opportunités... Ici, nous apprenons au détour d'un dialogue qu'il était un éleveur de chevaux avant d'aller au Vietnam. C'est le jour et la nuit. Et c'est dans ce contexte que la position de Sarah prend une importance toute autre que dans la version salle puisque cette dernière passe du simple faire-valoir au pivot qui fait radicalement changer la psychologie du personnage principal. C'est après quelques échanges avec cette dernière (seule personne à qui il a adressé la parole depuis des années) qu'il décide de revoir sa position sur le monde... Et c'est après la disparition de cette dernière qu'il finit par se déchainer pour basculer dans la sauvagerie la plus pure. Passerelle qui a son importance sur la progression des scènes violentes du film.
Analysons ce montage dans le détail :
Le film change dès son introduction. Après les extraits de (vrais) journaux télévisés, on enchaine immédiatement sur le quotidien de Rambo en tant que chasseur de serpents, là où la version de 2008 s'ouvrait ensuite sur une séquence sauvage où l'armée birmane forçait des villageois à courir sur un champ de mine. Cette séquence n'arrivera que bien plus tard. La capture des serpents est plus longue (il en attrape un de plus) avant de proposer un échange entre le héros et son équipage tandis qu'ils sont sur leur bateau. Une ouverture en douceur qui développe la sérénité du personnage en cohésion avec cette nature. Le film ne change plus jusqu'à l'arrivée des missionnaires et de la première tentative de Sarah de convaincre Rambo de les conduire en milieu hostile. C'est seulement après cet instant que la séquence des mines est proposée. Une position judicieuse puisqu'elle développe la progression des méthodes de ces soldats en totale contradiction avec les propos des missionnaires (et qui sera répétée deux fois) pour mieux prendre conscience de l'univers dans lequel se déroule film. Mais une position pratique également puisque Sarah revient à la charge pas moins de trois fois et, pour une question de rythme, il fallait bien proposer quelque chose entre chacune de ces interventions.
C'est ainsi que l'on a droit à une première relance de cette dernière tandis que Rambo répare l'hélice de son bateau et une seconde, tard le soir, sous une pluie battante. Des séquences qui figuraient parmi les scènes coupées du précédent disque, mais réétalonnées, remixées et recadrées en 2.35 pour l'occasion. Ces échanges sont d'ailleurs moins longs que précédemment puisqu'ils s'étalaient parfois sur pas moins de 4 minutes. Ils ont pourtant une importance primordiale puisque c'est à ce moment là que Sarah cerne la psychologie profonde de John Rambo, qu'elle arrive à l'extraire et à le convaincre malgré elle que la nature humaine n'est pas forcément noyée dans la sauvagerie. Chose qu'il défend sans conviction. En tout cas le bonhomme est bien plus bavard et passe soudainement moins pour le monolithe un peu benêt de la version 2008. Stallone en profite au passage pour mettre un coup de canif dans l'endoctrinement américain des forces armées, qui explique pourquoi il a souffert. Un dialogue qui peut paraitre un poil pathos et convenu mais qui fait écho avec la séquence précédente, où l'armée birmane enrôle de force de jeunes enfants. Ces rencontres s'enchainent sur le premier voyage en bateau où ils se dévoilent un peu plus l'un à l'autre en parlant de leur passé. Rambo est définitivement humain...
Le premier revirement du film s'entame sur la rencontre avec les pirates que Rambo abat pour protéger les autres. Compte tenu des séquences précédentes, on comprendra qu'il veut surtout protéger Sarah. La version 2008 ne lésinait pas sur les effets gores. Ici, le plan en contre plongée où il abat un homme de trois balles dans la tête est remplacé par un plan large, hors champs avec un seul coup de revolver. Une censure ? On prendra plutôt ça comme une façon d'assagir le personnage et ses méthodes et de proposer une petite séquence "soft" qui ne fera que donner plus de poids à celles qui arriveront plus tard. Le changement suivant est très important à titre symbolique puisque Rambo dégaine son couteau (son fameux couteau !) qu'il avait caché sur son bateau pour transpercer violemment les bidons d'essences dont il se sert pour brûler le bateau des pirates qu'il vient de tuer, avant de l'abandonner dans le brasier. Rambo qui abandonne son couteau, c'est un peu comme si Robin des bois renonçait à son arc.... Cette scène indique clairement qu'il veut tourner le dos à la guerre et à la mort, comme si abattre des hommes l'avait meurtri et elle ne figurait pas dans le montage de la version salles. En 2008 il effaçait des traces, ici il efface une facette de sa personnalité...
Le second revirement survient lors de l'attaque du village dans lequel se sont rendu Sarah et les autres missionnaires. La scène a droit à un léger changement laissant penser que Stallone s'est autocensuré : les meurtres d'enfants ont disparus ! Ca ne durait qu'une petite poignée de secondes mais les plans du premier montage dévoilant un enfant se faisant tirer dans la poitrine et un autre éventré par une baïonnette ont été supprimés. Quelque secondes additionnelles expliquent que si les soldats ont attaqué ce village, c'était pour enrôler des enfants dans leur camp. La séquence s'enchaine sur un montage plus doux, où, tandis que Sarah se fait maltraiter par les soldats birmans, Rambo serre dans sa main la croix qu'elle lui a donné avant de partir. Un homme serein, qui va alors devoir devenir à nouveau ce qu'il déteste être pour aller la sauver lorsque le prêtre vient lui demander d'aller chercher les otages. A titre narratif, sa première réelle manifestation de violence ne surviendra que lors de la séquence du tir à l'arc. La scène du prêtre impose un nouveau changement majeur dans la narration et le développement du personnage. Dans la version de 2008, après cet échange, Rambo se mettait à forger sa machette en se parlant à lui-même en voix off, pour se forcer à admettre qu'il a le meurtre dans le sang. Cette voix a disparue ici et est remplacée par un sermon du prêtre qui prie pour les otages avec de nombreuses allégories sur la vie auxquelles Rambo fini par s'identifier. Là encore, le discours n'a plus rien à voir. Il ne se prépare plus pour faire un massacre ou par position morale, mais s'arme pour délivrer celle qui compte désormais pour lui. Par ailleurs, la conception de l'arme prend un sens puisqu'il s'agit de remplacer, avec un certain prolongement, le couteau dont il s'était débarrassé un peu plus tôt.
Il n'y aura pas de changement notable jusqu'à la séquence de sauvetage nocturne. C'est lors du passage survival, où tous les héros courent pour leur survie, que Stallone entretient la relation entre son personnage et Sarah en plus de justifier un détail tout bête qu'on n'avait pas forcément noté dans la version salle. A savoir que Sarah a le pied blessé, que c'est pour cette raison que les chiens les poursuivent et c'est pour le même motif que Rambo entraine les bêtes dans une autre direction en utilisant l'odeur de la jeune femme. Il l'aura au préalable pansée avec sa chemise... Voilà pourquoi, dans la version de 2008, il se retrouve en t-shirt sans explication ! Autre ajout très discret, lorsque Rambo demande au sniper de tirer en l'air pour attirer l'attention sur lui, la déflagration fait si peur à Sarah qu'elle se protège contre lui. On aura ensuite droit, de ci de là, à quelques plans en plus (Sarah qui tombe à cause de l'onde de choc de l'explosion de l'obus) ou en moins (le violent coup au visage que se prend le mari de Sarah) jusqu'à la super fusillade finale qui varie très peu, bien que plus longue de quelques secondes et quelques plans. A titre d'exemple, le bateau lance-flammes est un peu plus utilisé que dans la version salles.
En réalité, le grand changement survient lors de la conclusion de cette bataille et qui rebondit sur tout ce qui a été modifié auparavant. Le premier montage dévoilait John Rambo en train de contempler le résultat d'un carnage de façon détachée. Dans le director's cut, il ne lâche pas Sarah des yeux tandis qu'elle recherche son mari (elle l'appelle de façon plus insistante) sans ne réellement tenir compte de tout ce qu'il y a autour. On regrettera d'ailleurs cet aspect tant la scène est plus belle dans le premier montage, au même titre que la musique qui l'accompagne alors qu'elle est un peu charcutée ici. Le passage est effectivement très vite expédié pour ne se focaliser que sur les deux personnages principaux. Au rang des plans inédits on constate dorénavant qu'ils se font un adieu de la main, avant de voir Rambo s'éloigner. La version salle ne suggérait rien de particulier sur l'avenir des personnages, mais on comprend ici qu'ils ne se reverront plus jamais à partir de cet instant.
A la question "quelle version est la meilleure ?", il est difficile de répondre tant Stallone n'a pas réellement proposé d'amélioration tangible d'un montage à l'autre, mais a suggéré deux façons de bricoler se narration pour développer deux traits de caractère distincts. Si vous êtes vraiment fan du film, n'hésitez pas à acquérir les deux pour avoir toutes les options possibles à portée de main, d'autant plus que si les montages se complètent, il en est de même pour les bonus, n'ayant rien à voir d'un disque à l'autre.