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Dans la visée de MR-73

Le 24/03/2008 à 08:03
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Dans la visée de MR-73

Nous avons souhaité donner la parole à ceux qui fabriquent le 7e Art hexagonal au jour le jour. Denis Rouden fait partie de ceux-là. Chef opérateur depuis maintenant 10 ans (son premier film à ce poste fût J’aimerais pas crever un dimanche de Didier Le Pêcheur en 1998), il est à son poste l'un des techniciens les plus doués en France. Après avoir officié sur des films comme Un jeu d'enfants de Laurent Tuel, Promenons-nous dans les bois de Lionel Delplanque, La Sirène Rouge d'Olivier Megaton ou encore Anthony Zimmer de Jérôme Salle, Denis Rouden nous a offert le sublime photo de MR-73 (qui marque sa deuxième collaboration avec Olivier Marchal après 36), sorti la semaine dernière sur nos écrans et dont même nos collègues américains du très sérieux site Variety ont souligné la beauté plastique (cliquez pour lire l'article).

 

A quel moment Olivier Marchal vous a parlé pour la première fois de MR-73 ?

Après 36 Quai des Orfèvres, Olivier ne savait pas trop quel allait être son nouveau film. Il hésitait entre une comédie, pour changer radicalement de genre, ou alors continuer dans le polar. Mais finalement, 36 ayant été un succès d’estime et une réussite commerciale, il a opté pour le deuxième choix. Il est parti sur l’idée de faire un film tiré de l’histoire du Gang des Postiches, mais rapidement le projet est tombé à l’eau. C’était trop gros, trop compliqué, et le travail avec les membres restants du gang n’était pas de tout repos. Bref un jour il m’appelle, il me dit qu’il vient de revoir quelqu’un et me parle de cette histoire qui lui été arrivé lorsqu’il était jeune flic. C’était, dans les grandes lignes, la trame de MR-73. A cette époque, Olivier était un peu fatigué. Il a décidé de mettre de côté tous ses projets en tant que comédien, et il est allé s’enfermer plusieurs semaines dans sa maison à Arcachon. Quand il est revenu, il avait écrit la première version de MR, qu’il m’a tout de suite fait lire. Ce n’était pas la version définitive, mais on pouvait déjà y voir ce qui allait faire la force du film. C’était palpitant à lire, bourré de détails et surtout très gonflé. Alors qu’on n’avait pas encore abordé l’esthétisme du film, je savais déjà en lisant le scénario qu’il faudrait un parti pris pictural très fort qui serait à la hauteur de l’histoire. Et c’est ce qui m’a motivé.

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Et justement, quelles ont été les premières idées que vous avez eu avec Olivier par rapport à la lumière du film ?

Quand il m’a parlé de l’image il m’a dit qu’il souhaitait quelque chose de très contrasté, un peu dessaturé ... il avait quelques idées en tête et quelques films références qui lui avaient plu, comme 21 grammes, mais sans trop réussir à mettre des mots sur ses envies. Une de ses certitudes était qu’il ne voulait pas une image normale, une image « passe partout ». Son idée étant de ne pas de faire un film ultra-réaliste, la lumière devait aller dans ce sens en ne paraissant pas naturelle, ou naturaliste. Donc à partir de ça j’ai eu quelques idées de mon côté, et je me suis dit qu’il serait peut-être intéressant d’essayer d’appliquer un traitement chimique au négatif de la pellicule (ndr : le procédé en question est un traitement sans blanchiment - bleach bypass en anglais - qui supprime totalement ou partiellement la fonction blanchiment durant le développement du négatif. En faisant cela, l'argent est retenu dans l'image au-dessus des teintes colorées. Cela donne l'impression d'une image en noir et blanc par dessus une image en couleur où la saturation est diminuée et le contraste et le grain augmentés.) Nous avons donc fait des essais en ce sens et Olivier a été convaincu. Par contre, l’idée de départ était que seules certaines séquences allaient être traité de la sorte, comme les flash-back par exemple, et que le reste du film allait être fait de manière plus traditionnel. Ce devait être du 50-50. Le problème est que lorsqu’on a commencé à tourner le film et qu’on a donc commencé à voir les premiers rushs, tous les plans qui n’étaient pas traités paraissaient beaucoup plus fades. Olivier m’a alors dit qu’il préférait que tous les plans aient le même traitement photochimique. Moi ça m’allait, mais c’était une décision osée. D’une part parce que c’est un procédé appliqué directement au négatif de la pellicule, et donc une fois que c’est fait, c’est irréversible, et d’autre part parce que c’est un parti-pris assez extrême, et qu’il ne fallait pas que ça sorte le spectateur du film.


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Sur le tournage, comment travaillez-vous avec Olivier Marchal ?

L’idée est la suivante. Lorsqu’on attaque une scène, je m’arrange pour éclairer tout le décor, de manière à ce qu’Olivier puisse faire à peu près tout ce qu’il désire en matière de plan sans avoir à bouger la lumière à chaque changement d’axe. Sur 36, Olivier avait travaillé avec Frédéric Tellier, un réalisateur de pub qui avait officié sur le film en tant que conseiller technique, réalisateur de deuxième équipe et cadreur. Généralement, comme nous avons l’habitude de tourner à deux caméras, Frédéric et Olivier choisissaient un axe pour la première caméra, et moi je prenais la seconde pour aller chercher un autre plan, un autre point de vue, de manière un peu plus libre. Le système à trois avait très bien fonctionné sur 36, et nous avons donc retravaillé de la même manière sur MR, sauf que cette fois c’était Berto qui était en charge de la première caméra. Olivier avait aimé son travail sur quelques films, et comme il était disponible, il a accepté de faire le film. En fait, c’est surtout le travail de préparation qui a été un peu différent, dans le sens où sur 36, Fred avait participé à toute la conception du film, du découpage et du story-board, alors que pour MR-73, Olivier était tout seul pour penser à sa mise en scène. Mais ce qui fait la force d’Olivier c’est qu’en plus de beaucoup réfléchir à l’aspect esthétique de ses films, il n’oublie jamais le jeu des comédiens. C’est un travers qu’on beaucoup de jeunes réalisateurs mais que lui n’a pas.


Avez-vous eu l’envie de sublimer la ville de Marseille en l’éclairant de manière spéciale ?

Pas du tout. J’étais très content de tourner à Marseille, parce que c’est la ville où je suis né et où je vis. Je connais bien la lumière de la ville, et je trouvais qu’elle se suffisait à elle-même. Il y a une certaine violence dans l’architecture et dans les couleurs de Marseille qui correspondait totalement au film. Du coup, il n’y a pas eu volonté de notre part de chercher à magnifier la ville, et faisant des plans complésants ou contemplatifs. Au contraire, c’était intéressant de se servir des lumières présentes pour éclairer les personnages. Je crois qu’il y a un plan large à un moment sur les quais, mais c’est tout.

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Denis Rouden, à gauche, sur le tournage de Jean-Philippe


Parlez-nous un peu d’un des détails marquant du film : les lunettes de soleil de Daniel Auteuil.

C’est drôle comme tout le monde parle de ces lunettes ! (rires) En fait ce sont les lunettes personnelles de Daniel. A la base, il ne devait les porter que pour une ou deux séquences, et ne rien porter du tout pour le reste du film. Mais une fois qu’il les a enfilés pour une scène au début du tournage, il ne les a plus quittés. Au début, j’avais un peu peur, à cause des reflets ou ce genre de choses, mais très vite on s’en rendu compte que lorsque Daniel les enlevait, on perdait un peu le personnage. C’est vrai qu’elles apportent un plus au caractère de Schneider, qui cherche à cacher ses yeux fatigués d’alcoolique.


Comment avez-vous tourné le plan séquence sur Olivia Bonamy qui étend son linge ?

Olivier voulait tourner cette scène entre chiens et loups, aux toutes dernières lueurs du jour. Le problème est que ce moment de la soirée ne dure que quelques minutes. Du coup, le plan séquence s’imposait. J’ai donc proposé à Olivier de bien répéter le mouvement, et de le tourner en continue du début du crépuscule jusqu’à la nuit noire. On aurait donc ainsi le choix entre différentes teintes de ciel, allant de la fin de journée à la nuit. A un moment, j’ai rajouté un peu de lumière sur le visage d’Olivia, avec une petite lampe de main en éclairage indirect. La prise suivante était celle de la nuit noire, et celle juste avant est celle qui a été retenue. Il n’y a donc pas de lumière rajoutée sur ce plan, il faisait quasiment nuit (il y a juste un peu de lueur du jour au fond) et j’ai du pousser la pellicule au maximum de sa sensibilité. Ensuite on rentre dans la maison qui était pré-éclairée, et il n’y a quasiment aucun rattrapage de diaph’ lors du passage de l’extérieur à l’intérieur.


Vous avez utilisé un étalonnage numérique sur MR-73 ?

En partie. En fait, comme on avait tourné en cinémascope, je voulais vraiment garder tout le grain et la texture de la pellicule traitée avec un procédé chimique. En fait, je trouve que l’étalonnage numérique en 2K fait perdre trop de définition par rapport au négatif d’origine. En plus, avec les contrastes hors-normes du sans blanchiment, le traitement numérique aurait vite montré ses limites. Ensuite, certaines scènes ont quand même du être traité en numérique. Et moi je vois la différence... ça peut être gênant pour ceux qui ont l’œil pour ce genre de détails. Mais bon, comme il y avait des fondus enchainés, des trucages numériques, et toute une séquence tournée en super-35 (la scène du chenil sous la pluie, qu’on a tourné à 3-4 caméras), le numérique était inévitable pour donner une homogénéité au film.

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Denis Rouden, derrière Alain Figlarz, sur le plateau de 36, Qui des Orfèvres


Est ce que ce genre de traitement un peu extrême est quelque chose facile à faire accepter aux producteurs et aux chaines de télé qui financent le film ?

Non. Au départ la Gaumont et les chaines de télé étaient un peu sceptique sur ce procédé. Mais le crédit de notre première collaboration sur 36 avec Olivier a vraiment joué en notre faveur. Il est certain que si nous n’avions pas fait ce film avant tous les deux, on ne nous aurait jamais laissé aller dans cette direction esthétique. Un problème presque similaire s’était produit à l’époque de 36. J’avais proposé de tourner le film en 35mm anamorphique. Or les producteurs avaient jugé que c’était peut-être trop lourd à gérer pour Olivier, dont c’était le premier gros film. De plus, lui-même ne savait pas trop à l’époque ce qu’apportait réellement le « vrai » scope. Du coup, on a tourné 36 en super-35. Lors de la prépa de MR-73, je suis revenu à la charge pour qu’on tourne en anamorphique, avec des optiques que j’aime beaucoup (la série Hawk). Olivier était convaincu par les essais que j’avais fait, les producteurs étaient emballés parce qu’ils n’avaient jamais produit un film en cinémascope, les investisseurs étaient rassurés parce que 36 avait été un succès : on avait donc carte blanche pour tout ce qui concernait l’image.


Sur quels critères choisissez-vous vos films ?

En fait je crois que c’est surtout par rapport au réalisateur. Bien sûr il faut que le sujet du film et le scénario me plaisent, mais il faut que je sente un courant passer avec le metteur en scène. Quand on commence à avoir un peu d’expérience, on sent ceux qui ont quelque chose en plus, qui ont des choses à raconter et qui ont un peu de talents. C’est avec ceux-là que j’ai envie de travailler, bien sûr. Lorsqu’un metteur en scène me plait, j’ai envie de l’aider dans son projet, et pourquoi pas l’aider aussi dans celui d’après ! J’avais rencontré Olivier sur 36, j’ai refait MR-73 à ses côtés avec beaucoup de plaisir. Pareil avec Isabelle Doval avec qui j’ai fait Rire et Châtiment et un Château en Espagne et Laurent Tuel (Un jeu d'enfants et Jean-Phlippe). Ensuite j’aime bien changer d’univers à chaque film. Là je sors de MR-73, avant j’avais fait une comédie (Un Château en Espagne) et un film d’aventure (Largo Winch), là je pars sur l’adaptation du Petit Nicolas... je n’ai pas envie de me spécialiser dans un genre précis, ou alors d’avoir une recette de lumière que j’applique à tous mes films. Je n’ai pas envie qu’on dise un jour « Tiens, ça c’est une image à la Denis Rouden ! ».

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Vous êtes un fervent défenseur du Cinémascope, quel regard portez-vous sur le cinéma numérique ?

J’ai fait un film en numérique, avec la Viper, qui s’appelle Un Roman policier qui va bientôt sortir au cinéma. Le film se passe entièrement de nuit et le résultat est plutôt convaincant. Pour l’instant je trouve que même si le résultat est là (à part pour les extérieurs jours qui partent dans des textures qui ne me plaisent pas beaucoup), les caméras ne sont pas encore adaptées aux tournages de fiction. Les visées ne sont pas terribles, leurs ergonomies ne sont pas très bien pensées... Pour l’instant, je reste amoureux du cinémascope, de ses profondeurs de champs très réduites et de son flou inimitable. Et puis j’aime bien me dire que la pellicule est une chose vivante, et pas juste une succession de 0 et de 1. J’aime me dire que je ne peux pas vraiment tout contrôler en tournant en 35mm, et qu’il y a une part d’incertitude. Sur MR-73, avec le traitement chimique, je ne savais pas toujours ce que ça allait me donner. Sur les intérieurs ça allait parce que je contrôlais un peu, mais sur certains extérieurs, je ne découvrais le résultat qu’après le passage dans les bains. J’aime l’image pour ses défauts, et la perfection du numérique ne m’intéresse pas forcément. Donc je ne suis pas pressé de tourner en numérique. Je résiste jusqu’au bout, et j’en profite un maximum avant que ça ne disparaisse. Mais bon, c’est le futur, donc je sais que j’y viendrais un jour.

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