Fabrice Genestal : réalisateur de Krach
Le 03/09/2010 à 10:50Par Michèle Bori
Quelle vision aviez-vous de cet univers des traders et de la finance avant de faire le film ?
J'avais la vision d'un univers assez éloigné de moi et en même temps assez proche, puisque de par mes études, j'ai été amené à côtoyer des gens qui travaillaient dans la finance. Du coup, je ne savais rien de l'aspect technique du milieu - vu que je n'avais pas vraiment fait de travail "d'insider" sur les marchés financier - mais en revanche, j'étais un peu familier avec l'humain.
Et justement, qu'avez-vous découvert de surprenant en vous penchant sur le sujet ?
J'ai découvert deux choses. D'abord, l'existence de ces hommes qui sont à la recherche d'une formule mathématique, d'une martingale capable d'anticiper les fluctuations financières. Ces espèces d'alchimistes modernes qui passent leurs journées à tester des modèles mathématiques avec des informaticiens pour les faire appliquer par les traders. L'autre chose que j'ai découverte, c'est cet aspect à la fois violent et potache qu'il règne dans ses sociétés. D'une part, ces mecs-là sont ultra-individualistes et de l'autre, ils se comportent comme des étudiants de classe prépa et forment une petite communauté de happy-few qui vit en permanence repliée sur elle-même !
Etait-ce un challenge pour vous d'essayer de rendre ces gens-là attachants ?
Je ne sais pas si je les ai rendus sympathiques ou attachants. En revanche, je souhaitais créer chez le spectateur un sentiment d'attraction-répulsion. Qu'il soit conscient que les traders peuvent parfois flirter avec des attitudes moralement limites, mais qu'il puisse ressentir ce kif, cette adrénaline qui les pousse à faire le métier qu'ils font. Je pense que cela aurait été réducteur de laisser trop de place à une problématique dans la psychologie du trader qui m'aurait forcément amené sur le thème de la rédemption. Là, j'aurai juste refait Wall Street d'Oliver Stone, alors que je voulais plus m'attacher au côté pulsionnel d'Erwan. Cette pulsion que l'on connait tous et qui nous pousse à agir.
C'est aussi une pulsion autodestructrice non ?
C'est intéressant de le voir sous cet angle oui. On pense souvent que les traders ne sont mus que par l'appât du gain. Oui, ils ont un intérêt pour l'argent mais ce n'est pas tout. Car l'argent, ils en ont tous. Tellement qu'ils n'ont certainement pas assez de leur vie pour tout dépenser ! Mais il y a autre chose. Il y a chez tous les traders, je pense, et plus encore chez les traders puissants, une mégalomanie telle que tout devient une question de pouvoir, de puissance. Et comme chez tous les mégalomanes, il arrive à un moment où ils ont envie de tout dominer, puis de tout détruire. Juste parce que c'est ça le pouvoir suprême.
Votre film contient-il une morale ?
Oui et non. Je ne voulais pas donner de leçon de morale avec mon film. Mais je voulais quand même souligner que dans toute cette grande machine qu'est la finance, le trader n'est pas grand chose. Il est juste l'instrument, un peu triste, un peu pathétique d'un système. Et c'est assez effrayant justement, de voir que ce système de l'économie mondiale repose sur des gens qui ne vivent que pour la recherche naïve d'une formule magique qui leur permettra de gagner encore plus d'argent.
Et puisqu'on parle des traders, avez-vous montré le film à certains d'entre eux ?
Oui. Ils étaient d'ailleurs très enthousiastes. Pas forcément par le film en lui même, mais juste par le fait qu'un film parle d'eux ! C'est un monde très narcissique, qui forcément accueille avec plaisir un film qui le représente. Et contrairement à ce que peuvent penser certains journalistes, les traders qui ont vu le film ne m'ont fait aucune remarques sur le fond de l'histoire et sur le modèle mathématique employé par Sybille (ndla : un modèle basé sur les changements climatiques) qui servira plus tard à Erwan. En fait, c'est un modèle très connu dans le milieu de la finance et donc ils n'ont absolument pas remis en cause sa plausibilité.
Comment souhaitez-vous que le public perçoive votre film ?
C'est compliqué comme question ! En fait, j'aimerai bien que le public soit surtout séduit par l'aspect "alchimiste des temps modernes" du film. C'est vraiment l'aspect de l'histoire qui m'a motivé et donc, à mes yeux, c'est la chose la plus importante. Le fait que l'on soit encore dans cette "superstition" aujourd'hui et que de grandes sociétés puissent débourser des millions de dollars pour trouver une formule magique, c'est quelque chose qui moi me sidère. A l'époque où les politiques ne nous parlent que de rigueur, de responsabilités et d'anticipation des risques, c'est quand même assez étonnant...
Propos recueillis par Pierre Delorme