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Interview : Carlos Sorin (La Fenêtre)

Le 04/06/2009 à 18:32
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Interview : Carlos Sorin (La Fenêtre)

Réalisateur de Historias Minimas, Bombon el Perro et El camino de San Diego, Carlos Sorin est devenu une valeur sûre aux yeux de la critique internationale. Son dernier film en date, La Fenêtre, ou La Ventana dans sa langue d'origine, nous arrive cette semaine dans les salles obscures. En s'attardant sur le dernier jour d'un vieil homme dans l'attente du retour de son fils, le cinéaste argentin délivre une oeuvre riche et poignante, qui parvient avec un style dépouillé à nous faire vibrer à partir de détails d'apparence banale.

De passage à Paris il y a quelques semaines, Carlos Sorin nous a accordé un peu de son temps pour nous parler de ses inspirations, de l'élaboration de son univers sonore et visuel, de sa conception du cinéma.


FilmsActu.com : D'où vient l'idée de réaliser un film sur les derniers jours d'un vieil homme ?

Carlos Sorin : Il y a plusieurs origines. D'une part un conte de Raymond Carver, Trois Roses Jaunes, dont je voulais acheter les droits mais ils étaient tellement chers que j'ai renoncé. (rires) C'est une histoire magnifique, à mes yeux sa meilleure nouvelle, qui relate magistralement les derniers instants de la vie de Tchekhov. Le temps s'étire, les choses se déforment. Parmi les influences, il y a aussi Mère et Fils d'Alexandre Sokourov. D'autre part, un événement est survenu un an auparavant et m'a énormément influencé, c'est le décès de mon père. Tous ces éléments se sont combinés et ont donné naissance au film. Le plus difficile avec ce genre de cinéma, c'est d'arriver à déterminer quelle idée développer pour construire un film. Donc on cherche de l'aide dans le cinéma, dans la littérature, dans la peinture. Mais quand on est attiré par un sujet, on convoque inconsciemment plusieurs références qui finissent par s'articuler entre elles pour l'alimenter.

 

Interview : Carlos Sorin (La Fenêtre)


Etant donné que l'histoire met l'accent sur la solitude du vieil homme, on aurait pu s'attendre à voir un film déprimant mais il n'en est rien. La palette d'émotion est très riche. Aviez-vous à coeur de ne pas céder à cela ?

Evidemment, le film n'est pas une fête non plus ! Mais il est vrai que je ne voulais pas faire un film déprimant parce qu'en fin de compte, le dernier jour de la vie de cet homme peut très bien être un jour magnifique. A l'image du récit de Carver qui est plein de beauté jusqu'à la fin, ou de Mère et Fils de Sokourov. Il y a aussi une chose que je ne peux pas maîtriser parce qu'elle me vient naturellement, c'est le regard humouristique. J'ai donc tenté d'émailler le film d'éléments légèrement comiques, surtout vers la fin quand l'histoire commence à se faire plus dramatique, plus intense. J'ai incorporé un personnage un peu décalé qui est la belle fille mais aussi des détails qui redonnent au film un peu de légèreté, comme le bouchon de champagne.

 

Le film se déroule sur une journée mais suggère beaucoup sur le passé de cet homme et de son fils. Comment avez-vous travaillé à donner corps à ces personnages ?

Il y a un moment dans la vie où le présent se dilue et où le passé commence à prendre davantage d'importance. Je suppose que lorsqu'on arrive à 85 ans, qui est l'âge du personnage, les souvenirs d'enfance qui sont de l'ordre de la vie trouvent une intensité qu'ils n'ont pas pour quelqu'un de plus jeune. J'ai aussi eu l'immense chance de pouvoir compter sur l'aide d'Antonio Larreta, l'acteur principal qui est aussi écrivain. C'est une personne très sensible. Il a vraiment compris de l'intérieur le personnage.

 

Interview : Carlos Sorin (La Fenêtre)

 

Justement, comment avez-vous travaillé le personnage avec Antonio Larreta ? A-t-il apporté des éléments de son côté ?

Ce qu'il a surtout apporté et qui est le plus important, c'est le regard qu'il porte sur les choses, les nuances et la variété de regards. Pour moi, le regard est la chose la plus importante au cinéma. Je savais très bien qu'en partant d'un scénario très court d'à peine 32 pages je ferai un film très silencieux, donc un film de regards. Mais s'ils forment un élément essentiel de ce genre de films, les regards ne sont pas quelque chose que l'on peut écrire. J'ai obtenu de Larreta ces énormes nuances qui ont tant apporté au film. Parallèlement, de la part des acteurs non professionnels, j'ai obtenu ce que je recherchais. Par exemple, l'accordeur de piano est réellement un accordeur de piano. Il est beaucoup plus facile de montrer comment jouer à un accordeur de piano que d'expliquer à un acteur comment accorder un piano. De même, Maria del Carmen, qui joue l'aide-soignante, soigne effectivement des malades dans la vie. Cette tendresse, cette solicitude insupportable lui est venue le plus naturellement du monde (rires). C'était la même chose pour tout le casting, à l'exception du fils et de la belle fille qui sont interprétés par des comédiens. De toute façon, la colonne vertébrale du film repose sur Larreta. Sans lui, La Fenêtre serait un tout autre film et il ne serait certainement pas meilleur. Cela dit, au deuxième jour de tournage, Antonio a fait ses valises, il voulait partir. Son expérience en tant qu'acteur était celle de la scène de théâtre, un peu à l'ancienne, avec beaucoup de gesticulations et d'exagération. Or, je n'arrêtais pas de freiner son intensité de jeu pour qu'il me donne quelque chose de l'ordre du "non jouer". Il s'est vite senti très mal à l'aise et a voulu partir ! (rires)

 

Surtout qu'il est très immobile, dans le film, puisqu'il reste cloué au lit !

Oui, entre deux prises, il arrivait qu'il s'endorme dans le lit ! (rires)

 

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L'utilisation des sons est un aspect marquant du film, qu'il s'agisse du tic-tac de l'horloge dans les première et troisième parties, ou des bruits de la nature dans la seconde, qui ont un aspect très libérateur. Peut-on voir ces sons comme un élément se substituant aux dialogues pour exprimer ce que ressent le personnage ?

Etant donné qu'il s'agit d'un film avec très peu de dialogue et sans musique, mis à part celle du générique, la bande sonore prend effectivement une importance énorme. C'était depuis le début mon propos que d'élaborer une bande son très détaillée, très pensée et pas forcément réaliste. Elle se rapporte plus à l'émotion qu'à la situation concrète. Par exemple, dans la scène où Antonio sort de la maison, on entend le vent mais aussi les coups que donne ce vent dans le micro. Théoriquement, il s'agit d'un défaut technique dans la prise de son. Mais il sert le propos en renforçant l'ambiance et cette espèce d'inquiétude qui monte en lui. Tout devient chaotique et s'agite dans tous les sens, avec ce bruit menaçant du micro. Nous avons vraiment fait un travail expressionniste sur le son qui a bénéficié d'autant de soin que l'image. On entend souvent cette conception naïve selon laquelle le cinéma se résume à l'image et que le son est accessoire, alors que l'image change totalement avec le travail du son. En plus, la seule échappatoire pour une personne restant au lit est ce qu'il entend, comme une voiture qui passe ou un chien aboyant au loin. Ce genre de traitement du son permet de rendre la perception de la réalité du personnage.

 

Le film ne comporte pas de musique à l'exception de celle du piano, un élément qui semble intimement lié à la vie affective du personnage...

Je ne sais pas si vous vous souvenez d'Une Histoire Vraie de David Lynch, où le personnage prend son tracteur alors qu'il pourrait prendre le car. A travers ce tracteur, il cherche à exprimer à son frère ce qu'il ne peut pas lui dire. Il veut lui dire qu'il l'aime mais c'est quelque chose qu'il n'arrive pas à faire avec des mots. Mon approche est similaire dans le cas de ce piano. En faisant accorder le piano le jour du retour de son fils, ce vieux salaud veut lui dire qu'il l'aime, mais il n'arrive à le faire autrement. Pour quelqu'un comme lui, l'expression d'un tel sentiment passe par d'autres voies que le langage. On peut supposer que c'est sur ce piano que son fils a appris à jouer. J'aimais aussi l'idée que le bruit de la musique soit présent dans le film sans qu'il s'agisse vraiment de musique.

 

Si le travail sur le son est expressionniste, qu'en est-il de la photographie ?

Au contraire, le traitement de l'image est plus classique. L'image est très élaborée mais elle reste dans les limites du réalisme, sauf dans le rêve qui, a titre de métaphore, imite le style d'un film ancien. Je ne fais pas de fantastique ni de fantaisie et je m'autorise avec le son des libertés que je ne m'autorise pas avec l'image.

 

Interview : Carlos Sorin (La Fenêtre)

 

Puisque vous avez aussi occupé le poste de directeur de la photographie, avez-vous déjà travaillé avec des réalisateurs ayant une conception inverse ?

Ma formation en tant que chef opérateur s'est surtout déroulée dans le domaine de la publicité, qui est par définition très artificiel. Si je suis si attaché au style documentaire de l'image, c'est peut-être un peu par réaction à ces années que j'ai passées dans le milieu de la publicité. C'est un univers complètement faux à mes yeux, dont l'objectif est avant tout de faire en sorte que les gens achètent des produits. Le cinéma, c'est autre chose. C'est un peu comme si on comparait l'écriture d'un roman à celle d'une petite annonce : l'objectif n'est absolument pas le même.

 

Vous deviez prochainement tourner un film se déroulant dans le milieu de la boxe. Est-ce toujours d'actualité ?

Plus maintenant. Ce projet que je n'aurais pas dû accepter était très onéreux et avec toute cette crise, il ne peut plus se faire. A l'époque, je l'ai accepté parce que la boxe fait aussi partie de mes passions. Mais quand j'ai appris qu'il ne se ferait pas, j'ai pour ainsi dire poussé un soupir de soulagement. Finalement, je suis en train de faire avancer un projet plus personnel, plus modeste. Pour l'instant, ce projet est à l'état embryonnaire. Ca change tous les jours. Une chose est sûre, il ressemblera beaucoup plus à La Fenêtre qu'à mes films antérieurs. La Fenêtre représente un virage dans ma carrière et c'est une direction que je compte poursuivre. Jusqu'au jour où je regretterai et où je ferai un retour vers ce que je faisais avant. J'aime beaucoup ces cinéastes qui se cherchent en permanence, qui ne se reposent pas sur leurs lauriers. Je pense par exemple à Stanley Kubrick qui n'a fait que des chefs d'oeuvre mais ceux-ci sont tous différents les uns des autres. Autre exemple emblématique dans un autre domaine, Picasso. Beaucoup d'artistes font des expériences nouvelles à chaque oeuvre, avec le risque et les craintes que ça implique, et c'est quelque chose que j'admire.

 

Propos recueillis par Elodie Leroy








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