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Interview de Sergi Lopez

Le 27/01/2011 à 14:33
Par
Interview de Sergi Lopez (Carte des Sons de Tokyo)

Actuellement à l'affiche de Carte des Sons de Tokyo d'Isabel Coixet, où il partage l'affiche avec Rinko Kikuchi, Sergi Lopez élargit encore une fois son registre, déjà extrêmement varié. Remarqué par Manuel Poirier dans La Petite Amie d'Antonio puis Western, les deux premiers films d'une longue collaboration, l'acteur espagnol a par la suite mis son incroyable présence au service du rôle d'un psychopathe dans Harry, un ami qui vous veut du bien, de Dominik Moll, qui lui a valu un César en 2001. Par la suite, on l'a revu entre autres en trafiquant dans Dirty Pretty Things (Stephen Frears), en aveugle hédoniste dans Peindre ou faire l'amour (Arnaud et Jean-Marie Larrieu), ou encore dans le rôle glaçant du capitaine franquiste dans Le Labyrinthe de Pan (Guillermo del Toro).

De passage à Paris pour la promotion de Carte des Sons de Tokyo, Sergi Lopez nous parle de son expérience à Tokyo, du tournage des scènes qu'il partage avec Rinko Kikuchi et plus généralement des films qui l'attirent.

 

Filmsactu.com : Parlez-nous du tournage à Tokyo. Aviez-vous déjà séjourné là-bas et quelle impression la ville vous a-t-elle laissée ?

Sergi Lopez : C'est une ville exceptionnelle. Je ne la connaissais pas du tout et à présent, j'ai beaucoup de mal à séparer le souvenir que j'en ai de celui du film. J'ai passé six semaines là-bas mais je n'ai pas eu le temps de faire du tourisme. Mais rien qu'à travers le tournage, on a visité, on a vu, on a vécu dans plein de lieux différents. C'est une ville hypnotique, qui ne ressemble à aucune autre. Le mode de vie ressemble à celui de l'Occident mais il y a une autre façon de marcher, de se regarder. Le rapport avec les gens, surtout, est différent. Il y a un autre langage corporel, une autre vision du monde. Les Japonais sont très silencieux, très respectueux, et en même temps, c'est un endroit où vous pouvez vous déguiser comme vous voulez ou parler fort. Ici, en France, on marque davantage la différence. On relève que les Japonais sont petits, font des photos, etc. Mais là-bas, les gens sont respectueux de la différence. Après, il y a aussi la cuisine : on mange très bien là-bas. La ville a aussi un son particulier. Les gens ne font en général pas de bruit. Par exemple, quand vous attendez au feu rouge, vous vous dites : "C'est bizarre, c'est très silencieux". Mais à Tokyo, vous sentez en permanence la présence d'une masse. La ville est très peuplée. Vous sentez cette présence mais elle ne fait pas de bruit. C'est complètement différent de Paris : quatre Parisiens font autant de bruit que quatre cent Japonais.

 

Interview de Sergi Lopez (Carte des Sons de Tokyo)

 

Avez-vous senti avec les acteurs japonais une différence culturelle dans l'approche de votre métier ?

Oui. Il est difficile de répondre mais c'est fascinant. Bien sûr, certains détails nous frappent en tant qu'Occidental, par exemple le fait qu'ils s'inclinent quand on se rencontre pour la première fois. Le deuxième jour de tournage, l'un des acteurs m'a fait un cadeau. C'était des cartes postales du Japon, c'était tout bête, mais il m'avait écrit un mot très respectueux. On note tout de suite ce genre de détails formels. Mais au-delà de ces aspects, vous avez surtout l'impression, quand vous voyez les acteurs jouer, qu'ils sont possédés par leur rôle. Il y a quelque chose à l'intérieur qui correspond à ce que recherchent tous les acteurs, partout dans le monde. Rien que l'interprète de l'ingénieur du son : en l'entendant parler, vous aviez l'impression qu'il était habité.

 

Est-ce que vous connaissiez certains des acteurs japonais ?

Non, je ne connaissais personne. J'avais vu Rinko (Kikuchi, ndlr) dans Babel mais je n'avais qu'un vague souvenir du film. Et puis nous nous sommes croisés au Festival de Venise, elle est venue vers moi et m'a appris que c'était elle qui allait jouer avec moi dans Carte des Sons de Tokyo. Je ne connaissais pas du tout les autres acteurs. Mais avec Rinko, il s'est passé quelque chose d'énorme.

 

Justement, comment s'est passé le tournage des scènes érotiques ?

Ça s'est super bien passé. C'est un film complexe, très difficile à résumer, et c'est ce que j'aime. Je suis de plus en plus à la recherche de films qui ne ressemblent à aucun autre. Si l'on me parle d'une comédie romantique ou d'un thriller, je ne suis pas si enthousiaste que cela. Il y a dans Carte des Sons de Tokyo les ingrédients d'un film noir, avec une tueuse professionnelle au Japon, mais il y a aussi une histoire d'amour très forte, un ingénieur du son qui raconte le film. C'est un film complexe comme Isabel (Coixet, ndlr). Dans l'histoire d'amour que je vis avec Rinko, il y a entre autres beaucoup de scènes érotiques. On s'embrasse et on fait l'amour dans un espace où nous nous rencontrons, dans un hôtel très particulier. C'était formidable. Habituellement, les scènes d'amour sont gênantes : les personnages partagent une  intimité que les acteurs n'ont pas sur le tournage. Mais dans ce film, une chose dont je suis très fier, c'est qu'il y a une véritable écriture sexuelle. Dans la plupart des films, ce genre de scènes est fait de manière très conventionnelle. Comme si dans les films, les gens mangeaient ou dansaient différemment les uns des autres, mais faisaient tous l'amour pareil. Au point qu'il n'y a en général qu'une seule ligne de scénario : "ils font l'amour". Oui, mais comment ? Dans Carte des Sons de Tokyo, tout était écrit, chaque geste, chaque posture et chaque parole était précisée. On savait par exemple à quel jeu mon personnage jouait avec sa copine. Ce genre de détail est aussi une manière de parler de la relation que j'entretiens avec Rinko. Ce couple s'est construit un alibi en se disant que ce n'est que du sexe, qu'ils ne s'aiment pas, mais on sent l'amour émerger dans ces scènes.

 

Interview de Sergi Lopez (Carte des Sons de Tokyo)

 

Souvent, dans les films, les scènes d'amour ne font pas avancer l'histoire, alors que dans celui-ci, elles font évoluer les personnages et leur relation.

Je suis d'accord. Les scènes d'amour racontent leur relation et la manière dont elle évolue. On sent que dans la deuxième scène, ils n'en sont pas au même stade que dans la première. Dans la troisième non plus, et ainsi de suite. C'est ce qui arrive dans la vie et dans toutes les histoires d'amour. Tout ce que l'on partage de près quand on s'embrasse, quand on se touche, fait grandir la relation, ou pas. C'est un film très sensuel, d'ailleurs. On y boit du vin rouge, on mange beaucoup. Il y a des sons, des goûts, des contacts physiques. C'est aussi un film qui a une approche très féminine. Bien sûr, c'est tourné par une femme. Mais il ne tombe jamais dans les clichés sur le masculin qui impose et décide de tout. C'est un film très sensitif et j'adore ça.

 

Qu'est-ce qui vous plait dans la sensibilité de la réalisatrice ?

Elle est difficile à saisir. Elle est plein de choses à la fois. Elle peut être désagréable mais aussi très tendre. Elle est perfectionniste, intelligente. Elle écrit très bien mais en même temps, elle aime l'improvisation et le chaos. Ses films sont très riches, ils parlent de la mort et de la douleur mais aussi de l'amour. Le film lui ressemble beaucoup. Sa sensibilité n'est pas manichéenne. Sur le tournage, elle est toujours très proche des acteurs et veille à leur bien être.

 

Vous explorez des registres très différents mais on vous voit rarement dans des grosses productions. Qu'est-ce qui vous attire dans un film ? N'avez-vous jamais été tenté par des productions de gros calibre ?

Je le suis de moins en moins. Je suis tenté d'explorer des choses, mais pour moi, "gros" ne veut rien dire. Si je fais un jour une grosse production, c'est parce qu'elle m'attire pour d'autres raisons. J'ai besoin de me sentir impliqué dans l'histoire qui est racontée. J'ai énormément de chance, je me sens même privilégié parce qu'on me propose des personnages et des styles de films différents. J'aime explorer des univers nouveaux. Après, si un film me plaît, qu'il soit gros n'est pas un frein. Mais ce n'est pas une motivation en soi.

 

Est-ce que ce n'est pas aussi parce que le cinéma grand public est de plus en plus formaté ?

Bien sûr, il y a beaucoup de cela. La tendance actuelle est inquiétante. Il y a des tas de gens intelligents qui trouvent des formules. Alors qu'il n'y en a pas. Ils raisonnent en fonction des entrées qu'un concept va engendrer et qui leur permettra de produire d'autres films. Ces théories ont une raison d'être, mais ce genre de films ne m'attire pas. Je ne veux faire que des films qui me plaisent, qui me troublent ou qui me font rire. Evidemment, je ne vais pas faire que des films petits et donc très peu payés ! (rires). Mais l'argent n'est pas le but. C'est comme tomber amoureux : on en rêve tous. C'est pareil avec un film, quand on tombe amoureux, c'est génial.

 

Propos recueillis par Elodie Leroy







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