Interview de Xavier Dolan et ses acteurs
Le 06/10/2010 à 12:28Par Elodie Leroy
Nous avons rencontré le réalisateur/acteur et ses deux partenaires devant la caméra, Monia Chokri et Niels Schneider, qui reviennent sur le film dans l'interview que nous vous proposons de découvrir en vidéo. Vous retrouverez également ci-dessous la retranscription complète de l'interview de Xavier Dolan.
"L'idée d'être amoureux est plus forte que l'idée d'être amoureux de quelqu'un. L'idée de ne plus être seul est plus forte que l'idée d'être avec quelqu'un."
Filmsactu.com : Comment s'est passée la transition entre J'ai tué ma mère et Les Amours Imaginaires ?
Xavier Dolan : Pour moi, ce sont deux films très différents l'un de l'autre. J'ai tué ma mère est un film adolescent, viscéral, épidermique, très intense et très chargé sur le plan émotionnel. Les Amours Imaginaires est un film plus léger, plus estival, plus romantique, plus caustique. La charge émotionnelle est pas la même. Et puis, après J'ai tué ma mère, j'avais un peu de pression et je me suis dit que la meilleure manière de réagir était de désamorcer les attentes en empêchant la comparaison. C'est surtout quand les gens peuvent comparer que leurs attentes sont déçues. Pour moi, les deux films ne sont pas vraiment comparables. Le mandat du second est pas le même que le mandat du premier. Le style, la langue, le jeu, pour moi tout est différent. Cela ne veut pas dire que j'apprécie l'un plus que l'autre, mais la transition devait se faire de sorte que l'on ne puisse pas comparer les deux films.
Comment vous est venue l'idée de ce duel amoureux ?
J'étais en voyage avec Niels et Monia et nous avons eu envie de travailler ensemble. J'ai écrit ce scénario pour que nous soyons réunis professionnellement.
Cette histoire a-t-elle une résonnance personnelle ?
Par rapport à des échecs amoureux que j'ai pu vivre, oui. En revanche, notre amitié est dénuée de toutes ces embrouilles. Il n'y a pas d'ambigüité entre nous : nous sommes des amis et nous avons une relation saine. Le duel amoureux et l'amour à trois étaient des prétextes dramatiques efficaces pour que nous puissions jouer ensemble tous les trois.
Lorsque l'on tombe amoureux, jusqu'à quel point pensez-vous que l'on se recrée une idée de la personne dans sa tête ?
A 100%. Bien sûr, c'est un peu exagéré, c'est mon côté excessif. Mais je pense que l'on est toujours dans l'illusion de l'autre. C'est d'ailleurs pour cela que le couple vieillit. Au début, on est dans l'image de la personne que l'on aime. Avec le temps, la personnalité s'installe, la personne devient littéralement elle-même et ne répond plus aux codes visuels et aux projections que l'on s'était faites de cette personne. Elle devient un autre. D'où la fameuse phrase : "Je ne te reconnais plus !". Mais en fait, on ne connait jamais vraiment les gens. On connait ce qu'on veut connaître d'eux. Après, les mécanismes de flirts disparaissent, les charmes aléatoires et temporaires s'effacent. Beaucoup de gens sont déçus quand ils réalisent avec qui ils sont vraiment. On montre tous une façade de nous-mêmes pour plaire aux autres parce que l'on est convaincu qu'être soi n'est jamais gagnant.
Votre vision n'est-elle pas pessimiste ?
Pessimiste ? Non parce que quand on fait des films, on espère être contredit. J'ai tous les espoirs de contradiction pour ce film. D'ailleurs, c'est peut-être pessimiste mais en même temps c'est réaliste. Le film traite aussi d'être amoureux de l'amour plus que d'un individu. Ce n'est pas que je ne crois plus en l'amour, juste parce que jusqu'à maintenant, ce que j'ai vécu, c'est ça. Ce sont des idées d'amour. Par exemple, quand je revois certaines personnes dans la rue, j'ai peine à croire que j'ai pu les aimer. Je me dis : pourquoi ? Tout ça pour quelqu'un qui n'était pas mon genre. Parfois, il m'apparaît même absurde d'avoir été à ce point épris de gens étonnamment fades, inintéressants ou juste beaux. Je pense que c'est ce que les personnages vivent. L'idée d'être amoureux est plus forte que l'idée d'être amoureux de quelqu'un. L'idée de ne plus être seul est plus forte que l'idée d'être avec quelqu'un. Ils (Marie Camille et Francis, ndlr) font tout cela pour eux et non pas pour Nicolas. Ils ne le connaissent pas, ils n'ont aucune information sur lui. Il ne dégage rien de particulier. Moi, en tout cas, dans la vie, je ne serais pas émerveillé par cet être beau, certes, mais à la vacuité certaine. Eux, ce dont ils ont surtout envie, c'est de se réveiller avec quelqu'un le matin. Et pour avoir cela, ils sont prêts à tout.
Comment avez-vous défini ce personnage de Nicolas ?
Justement, il n'a aucune définition. Il ne se mouille jamais, il ne se commet pas, ce qu'il dit est généralement creux. En fait, c'est une image, c'est un symbole, c'est une surface. Il y a une raison pour laquelle on ne pénètre jamais sa substance : cela ne nous importe pas. Il n'est qu'un prétexte et pourrait être n'importe qui. N'importe qui de beau. Je ne cherche en rien à réduire les qualités de jeu de Niels (Schneider, ndlr). Il est d'ailleurs difficile de ne rien faire, mais pour ce film, c'était sa mission. Nicolas est un être conscient, mais en même temps, on n'a pas d'indice sur lui. On sait tout des autres personnages mais on ne sait rien de lui. Cela dit, peut-être que Niels voit son personnage différemment.
On reste marqué par la scène psychédélique de la soirée où il danse et où l'on voit la manière dont les autres personnages le voient. Qu'avez-vous voulu montrer avec ces images qui se superposent ?
Justement, ce sont des images. En le voyant danser, se trémousser, se laisser regarder - et ça lui plait beaucoup -, les personnages sont dans la visualisation, dans le fantasme, mais pas dans la réalité. Ils ne le regardent pas lui, ils voient autre chose. Sans être oniriques à proprement parler, ces images nous montrent que les personnages sont dans leur esprit et dans l'évocation. Nicolas évoque quelque chose mais il n'est rien. On va penser à Tadzio dans Mort à Venise, on va penser à untel, etc. Il existe à travers le regard des gens. Pour elle, il évoque le David de Michel-Ange, cette sculpture parfaite de l'homme. D'ailleurs, il l'évoque effectivement un peu. Et mon personnage, Francis, voit des dessins de Cocteau. Elle et moi ne sommes pas dans le matériel, dans le réel, mais dans un idéal. Tous les deux.
Comment choisissez-vous les musiques de vos films ?
Selon ce qui sert le mieux la scène. Les musiques dans Les Amours Imaginaires ne sont pas forcément des chansons que j'écoute toujours. On essaie avec les paroles et les mélodies de choisir des morceaux idoines, c'est-à-dire qui vont le mieux envelopper et accompagner une séquence. Cela dit, plus ça va et plus je vais essayer dans mon cinéma d'utiliser des chansons qui se jouent à la radio, dans la voiture, et non des morceaux surimposées. Je vais essayer de garder la notion de clip mais de la réduire toujours plus en utilisant des musiques qui se jouent dans le film.
Est-ce que la musique vous inspire lorsque vous écrivez ?
Beaucoup, énormément. Généralement, je n'écris pas sans écouter de musique. En revanche, j'écoute de la musique instrumentale quand j'écris. Sinon, les paroles me dérangent. J'écoute la bande-originale de La Leçon de Piano ou de La Double Vie de Véronique, par exemple.
Votre nom est très présent à tous les niveaux créatifs. Vous êtes à la fois réalisateur, scénariste, producteur mais aussi concepteur visuel, chef costumier... Est-il important pour vous de vous emparer complètement de l'œuvre ?
Oui. Il faut que cela ressemble à ce que j'avais imaginé. Je ne veux pas assumer les erreurs des autres, ou le fait qu'ils puissent ne pas avoir compris jusqu'au bout ce que je voulais. Je veux assumer moi-même les erreurs. C'est plus facile, pour moi. Sinon, j'en veux, je suis vindicatif. Par exemple quand on m'apporte une paire de souliers noirs alors que je voulais des souliers rouges. Je ne vais pas les dessiner pour dire ce que je veux. Je préfère qu'on prenne la voiture, qu'on aille les acheter et c'est fini.
Mais n'y a-t-il pas toujours, dans la création artistique, un décalage entre ce que l'on voit dans sa tête et le résultat final, même si on essaie de le réduire ?
Oui, mais jusqu'à maintenant, j'ai de la chance parce que je suis très content de mes films dans la mesure où ils répondent à ce que j'avais imaginé. Je pense que le fait de garder un très grand contrôle sur les divers départements artistiques y est pour beaucoup. C'est pour cette raison que je veux continuer comme ça. Evidemment, faire un film est un acte de collectivité. C'est tout un monde qui ne se réduit pas à une personne. Mais à l'origine, il y a une personne qui écrit. Et quand j'écris, je vois déjà le costume, je vois déjà la mise en scène, et il est dur de se défaire de cette vision originale. Par "originale", j'entends celle des premiers moments. Quand un artiste-peintre réalise une peinture, il ne demande pas à quelqu'un de faire son coup de pinceau, à un autre de mélanger ses couleurs, puis à un autre de faire les yeux... enfin, du moins pas à notre siècle. Une peinture, c'est un artiste. Un film, ce n'est évidemment pas la même chose puisque c'est un déploiement financier beaucoup plus vaste. On a besoin d'un directeur artistique et de bien d'autres personnes. Mais ces gens-là doivent répondre à une vision. Ils doivent la servir. Moi aussi, je dois servir cette vision. Le but n'est pas de me servir moi ou de me donner à moi ce que je veux. C'est le film qui est l'individu à servir.
Même lorsque l'on réalise une peinture, on n'obtient jamais exactement l'image que l'on avait dans la tête...
Oui, mais on est responsable. On assume le résultat. On peut demander l'avis des autres mais on ne les laisse pas peindre à notre place.
Quand vous regardez vos films à posteriori, si vous pouviez les changer, le feriez-vous ?
Oui, je pourrais tout changer. Disons, beaucoup de choses. La lumière, la mise en scène, les idées... Il y a des choses extrêmement amateur dans J'ai tué ma mère ! Il y a des choses audacieuses, des choses dont je suis fier mais il y en a d'autres qui me donnent envie de vomir. C'est très dur, pour moi, de revoir J'ai tué ma mère. C'est aussi très dur de revoir Les Amours Imaginaires.
Comment pensez-vous avoir évolué entre les deux ?
Techniquement, les deux films sont très différents. J'ai aussi évolué en tant qu'acteur.
Est-il difficile de continuer à jouer alors que vous portez aussi la casquette de réalisateur ?
Non, j'adore jouer. Rien n'est plus fort que le désir de jouer. Rien ne l'arrête, rien ne le complique. Il n'y a pas d'obstacle et je suis prêt à tout pour continuer.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je prépare mon troisième film, Laurence Anyways, qui est une histoire d'amour entre un transsexuel et sa fiancée dans les années 90. Il devrait sortir au printemps 2012.
Quels sont les cinéastes qui vous inspirent ?
Bergman, Clouzot, Woody Allen, Gus Van Sant, Louis Malle... Je suis inspiré par des cinéastes et surtout par des films. Ne me demandez pas lesquels ! Ce serait trop long. Vous avez combien de temps ?
Propos recueillis par Elodie Leroy